«L’Afrique est mille fois plus riche que l’Europe en sous-sol, mais aussi mille fois plus pauvre en développement. Il suffirait que les présidents africains créent leur propre monnaie et l’Europe immigrera vers l’Afrique» ! Ces propos attribués au président Vladimir Poutine de la Fédération de Russie ont récemment relancé le débat sur la nécessité de mettre fin à l’hégémonie du franc CFA, soit à l’échelle nationale ou communautaire (Cédéao ou Uémoa).
Pour la stabilité économique des pays de la zone et surtout leur émergence économique, l’hégémonie du CFA (sigle de franc de la Communauté financière africaine dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine et de franc de la Coopération financière en Afrique dans les pays de l’Union monétaire de l’Afrique centrale) a été et est toujours remis en cause. Il est vrai que cette monnaie a longtemps été un vecteur de pénétration des marchés pour les firmes françaises, de mainmise de l’Hexagone sur les économies des ex-colonies françaises, donc un moyen de pression sociopolitique et économique.
Aujourd’hui elle l’est de moins en moins pour deux raisons principales selon des économistes. D’une part, le rattachement à l’Euro concerne l’ensemble des pays européens de la zone euro. De l’autre, dans un marché mondialisé, l’essentiel de la compétition se fait en dollar. De fait, indiquent les experts approchés, la surévaluation du franc CFA nuit à certaines firmes françaises exportatrices comme en témoigne les exemples de Dagris dans le domaine du coton ou de la Fruitière dans le domaine des fruits.
Au lieu de favoriser leur développement, le franc CFA a plutôt contribué au sous-développement des pays de la zone à cause surtout du mécanisme de garantie. Ainsi, jusqu’en 2019, ces pays étaient obligés de verser 50 % de leurs réserves de devises auprès du Trésor public français. Très critiquée ces deux dernières décennies, cette «obligation» a été officiellement supprimée pour les huit pays d’Afrique de l’ouest en 2020 à la suite de réformes sur le franc CFA. Initiées depuis plusieurs années, les discussions entre les parties prenantes ont abouti à travers la signature d’un nouvel accord de coopération monétaire entre la France et l’Uémoa le 21 décembre 2019. C’était en marge d’une visite d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire.
Cette réforme repose sur les 4 axes, dont le changement de nom de la devise. En effet, les autorités de l’Uémoa ont indiqué leur souhait de passer du «franc CFA» (XOF) à «l’ECO». La suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations au Trésor français ; le retrait de la France des instances de gouvernance de la Zone, et la mise en place concomitante de mécanismes ad hoc de dialogue et de suivi des risques sont les trois autres axes de cette réforme.
Une réforme monétaire loin de combler les attentes en Afrique de l’ouest
N’empêche que le régime de change reste toutefois inchangé ((1 Euro est égal à environ 655 francs CFA), avec le maintien de la parité fixe entre l’euro et la devise de l’Union ainsi que le maintien de la garantie de convertibilité assurée par la France. L’accord du 21 décembre 2019 est complété par une convention de garantie, texte d’application de l’accord signé avec la BCEAO. Le changement du nom de la monnaie, ses modalités comme son calendrier relèvent exclusivement des attributions souveraines de l’Uémoa.
Malheureusement, ce changement tel que présenté le 21 décembre 2019 par Alassane Dramane Ouattara (président en exercice de la Conférence des chefs d’État de l’Union économique et monétaire ouest-africaine/UEMOA) et son hôte, Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse à Abidjan est loin des attentes. D’abord, la réforme a été amorcée au niveau de la Cédéao sur laquelle la France a peu d’influence et non de l’Uémoa dont les pays sont sous l’emprise économique et politique de la France. Sans compter que les populations de la Zone réclamaient et réclament encore l’arrimage de la nouvelle monnaie à un panier de devises. Un manque de souveraineté monétaire toujours actuel
Mais au-delà de cet enjeu de gestion des réserves, la réforme du franc CFA n’a pas touché au problème plus large de la fixité du taux de change du franc CFA, toujours arrimé à l’euro. Depuis 1945, le cours du franc CFA a été arrimé au franc puis à l’euro, afin de garantir la convertibilité et la stabilité de la monnaie. «L’absurdité fondamentale du système zone Franc, aujourd’hui comme dans le passé, c’est que la monnaie est rattachée à un Euro, lequel évolue en fonction de sa propre conjoncture», décrit Pierre Jacquemot, universitaire et diplomate français.
Un propos partagé par Demba Moussa Dembélé (Directeur de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène/ARCADE) qui (lors d’un débat) a dénoncé une «politique monétaire très restrictive» liée à ce taux de change fixe. «La zone euro et nos pays sont à des niveaux de développement extrêmement différents», a-t-il expliqué. Mais, l’ECO annoncée par ADO et son parrain de l’Elysée reste arrimée à l’Euro avec la France comme la garante. Même en dépit de l’absence de quelques privilèges, dont elle jouissait du temps du défunt CFA, cela est inconcevable pour les élites de la zone et aussi pour les dirigeants des pays non francophones de la Cédéao, le Nigeria notamment. En tout cas, la réforme annoncée par Macron et ADO regorge trop «d’incohérences» qui ne peuvent que faire douter les sceptiques.
«La France considère toujours le continent africain comme sa propriété … Nous voulons sortir du franc CFA… », a martelé une célèbre activiste africaine. Un avis partagé au sein de l’intelligentsia africaine qui se bat depuis des décennies pour un changement radical dans les relations entre les pays africains, francophones notamment, et la France qui tire l’essence de sa puissance (économique, politique et diplomatique) de sa position en Afrique.
La réforme ou la suppression de la monnaie pose une problématique complexe et sérieuse. En effet, disent des experts, «s’il est facile de créer sa propre monnaie, il n’en est de même pour ce qui concerne sa stabilité, sans laquelle, la monnaie pourrait être un facteur de déstabilisation et d’insécurité économique». En dépit des vicissitudes, le franc CFA a été une monnaie stable. Une stabilité qui n’a malheureusement presque jamais profité à l’économie des pays de la zone. En effet, à quelques exceptions près (Côte d’Ivoire et Sénégal), elle n’a pas été capable d’impulser l’émergence socio-économique de nos Etats !