La corruption et les malversations financières sont donc devenues des faits de société et ont tendance à être banalisées. Cette banalisation contribue à cultiver chez de nombreux Maliens l’esprit d’accaparement et la course à l’argent facile. Tous les moyens sont bons pour s’enrichir, et il faut s’enrichir le plus vite possible. Il n’est pas rare que le cercle des parents et des proches qui vient congratuler un des leurs, nommé à une haute fonction politique ou élu à un poste juteux, lui rappelle qu’il doit mettre à profit le laps de temps pendant lequel il assume sa charge pour se mettre définitivement à l’abri du besoin.
Si les nominations sont souvent «fêtées», les limogeages, sont vécus comme des «deuils» dans la famille des intéressés, chez les parents et les proches, et souvent chez les ressortissants de la même localité. Elles ont un coût économique. Les malversations financières et la corruption privent l’État de ressources importantes qui auraient pu servir à financer des investissements, ou à faire face à ses charges de fonctionnement.
Qu’il s’agisse du policier à un barrage routier qui demande de l’argent pour un sucrerie, du thé, du juge qui négocie son verdict, du journaliste qui vend l’espace rédactionnel au mieux-offrant ou d’un ministre exigeant une commission pour donner son feu vert à un investissement, la corruption en Afrique, pourtant omniprésente, est longtemps restée sous-étudiée. Après les indépendances, les africanistes, alors dans leur majorité, encore des Européens, ont été réticents à accabler les pouvoirs postcoloniaux. L’agronome René Dumont, auteur en 1962 du best-seller L’Afrique noire est mal partie, fut la grande exception. À ce jour, l’argument «Il y a de la corruption partout, aussi en Europe» vise à banaliser le phénomène.
En Afrique la corruption pénalise surtout les Africains démunis, un pauvre à deux fois plus de risque de se faire extorquer de l’argent qu’un riche. L’Organisation non-gouvernementale (ONG) Transparency International publie depuis dix (10) ans un «baromètre global de la corruption en Afrique» qui reflète les vues de quelque 47 000 personnes dans trente-cinq (35) pays du continent. Selon l’édition 2019, «plus de la moitié des Africains interrogés déclarent que la corruption s’est aggravée», que leur gouvernement ne fait pas assez pour l’enrayer et que les policiers sont les plus corrompus (47% des personnes sondées estiment que la plupart d’entre eux, sinon tous, sont vénaux, devant les fonctionnaires (39%), les parlementaires (36%), les hommes d’affaires (36%), l’entourage du président (34%) et les juges (34%).
À l’échelle mondiale et sur huit (08) ans, de 2012 à 2019, douze (12) pays africains se trouvent parmi les vingt (20) lanternes rouges dans le classement des pays perçus comme les moins corrompus. En quoi la corruption et les malversations financières nuisent-elles à la poursuite et à la consolidation de l’expérience démocratique au Mali ? La question revêt une triple dimension: politique, sociale et économique. Les auteurs de ces pratiques se recrutent presque exclusivement dans certaines couches sociales privilégiées et minoritaires; fonctionnaires, magistrats, agents des Forces armées et de sécurité, membres des professions libérales, commerçants, industriels, notabilités traditionnelles ou religieuses.
La corruption et les malversations financières érodent la confiance ou ce qu’il en reste des citoyens envers l’élite dirigeante et renforcent chez eux la perception déjà largement répandue d’un «État prédateur». La perte de confiance des gouvernés envers les gouvernants est de nature à saper les fondements mêmes du système démocratique en portant atteinte à la légitimité des institutions qui symbolisent l’État La cote d’alerte est déjà atteinte au Mali comme l’attestent les résultats de certains sondages d’opinion réalisés entre 2001 et 2004.
Safounè KOUMBA