La question de nos enfants, de notre jeunesse est une problématique essentielle, une priorité absolue. Le jour où ces jeunes décideront de rester et de hisser des mouvements sociaux, le pays sera ingouvernable. Alors, les gouvernants ne sauront plus quel argument tenir. Les récentes arrestations n’augurent rien de bon pour la stabilité du pays: nous sommes en guerre, nous sommes en pleine lutte contre la corruption et les malversations financières. Ça ne va pas du tout, comme le clame avec désespérance la majorité des Maliennes et Maliens. Quand on observe l’état et la détresse, notre pays aujourd’hui ressemble à un patient agonisant aux urgences d’un hôpital sans médecin, ni infirmier de garde. Cela doit changer.
Le Mali comptait environ trois (03) millions d’élèves, de lycéens et d’étudiants, dont 30 000 à 40 000 sortent chaque année du système et viennent s’ajouter aux 50 000 jeunes sans emploi, ni perspective d’emploi. Et comble de l’absurde, les trois quarts d’entre eux suivent des formations dont le pays n’a aucun besoin.
Nous le savons tous et personne n’en parle, comme si nous avions volontairement accepté de sacrifier ces jeunes générations. Au Mali, une personne qui travaille fait vivre de dix (10) à quinze (15) personnes. Ce qui explique que la majorité des Maliens ne vivent plus; ils survivent. Et c’est là une autre réalité.
Notre jeunesse est notre avenir et sa volonté de s’impliquer pour participer à la reconstruction du Mali est une formidable opportunité. La population malienne est très jeune. 60% à moins de vingt ans. Elle veut sa part et ne reculera devant rien pour l’obtenir, comme le font sous ses yeux des dirigeants avides, des fonctionnaires corrompus. Mais la contestation sociale n’est pas seulement protestataire, cette jeunesse peut être aussi le ferment d’un renouveau de la politique et de la culture.
Nos jeunes générations sont de plus en plus audibles, notamment à travers les réseaux sociaux; elles sont de plus en plus inquiètes aussi. Elles souhaitent prendre part au débat, animées par le désir partagé d’agir pour leur pays. Mettre cette jeunesse au centre des préoccupations politiques permettrait de fixer de nouvelles priorités juvéniles et de repérer les segments où la puissance publique peut apporter des coups de pouce efficaces et orienter positivement cette énergie. Et même, pourquoi pas, comme au judo, tirer profit des déséquilibres et des trébuchements pour aller plus loin plus vite.
Le temps est révolu où, sans trop de volonté, après des études sommaires, on pouvait facilement s’insérer dans la vie active. La compétition est aujourd’hui autrement plus rude. Elle l’est au niveau du pays, que le surgissement des nouvelles technologies a mis, dans certains domaines, sur la même ligne que les nations technologiquement les plus avancées. Mais le Mali reste encore victime de vertigineuses inégalités de développement en matière d’accès à des biens essentiels: alimentation, eau potable, électricité, santé, instruction.
La compétition est aussi beaucoup plus disputée au niveau individuel, et ce dès l’enfance. Et les embuches ne manquent pas. Un jeune, ou sa famille, qui décide de mettre la barre haute dans l’acquisition des connaissances, même s’il fait le bon choix, rencontre inévitablement de multiples embuches.
Obstacles de la pauvreté qui complique toutes les démarches quotidiennes: transports, achats de livres et de fournitures, voire financement de la corruption à laquelle notre système d’enseignement n’échappe malheureusement pas.
Obstacles d’un monde professionnel qui n’échappe pas davantage aux stratégies de survie à court terme: emplois réservés aux cousins plutôt qu’aux compétents, crainte de ceux dont la qualité professionnelle peut menacer les positions acquises. Obstacles de la volonté, minée par le découragement, et qui pousse certains à la paresseuses routine de grins interminables ou le thé, les réseaux sociaux et la chicha se substituent à l’exigence de se construire.
Quand ce n’est pas dans les cas extrêmes, la délinquance, la fuite, voire les tentations sataniques du djihadisme. J’ai plus d’une fois rejoint un groupe de jeunes réunis dans la rue autour d’un thé pour prendre le pouls de cette jeunesse et sentir les vrais problèmes du pays. Notre responsabilité face à nos jeunes générations est vertigineuse. Les Maliennes et les Maliens aiment profondément leur pays ; où qu’ils soient, ils éprouvent un besoin viscéral d’y revenir régulièrement, au risque d’en tomber malade si leur situation les en empêche.
Il faut agir pour notre jeunesse, en commençant par lui garantir de pouvoir faire face à ses besoins immédiats, tout en anticipant ses attentes. Le seul besoin d’un enfant n’est pas d’aller à l’école; un jeune doit pouvoir s’épanouir, s’ouvrir au monde, s’amuser, faire du sport, etc. Tout ce parcours d’apprentissage et d’études, nos enfants le traversent avec la perspective de construire un jour leur vie et de fonder un foyer.
Hélas, ce projet relève pour la plupart du rêve inatteignable. Si rien ne change, et de la manière la plus forte, notre jeunesse n’aura pas d’avenir en Afrique. Des millions de jeunes y sont à la recherche d’un emploi, d’autres millions d’élèves et étudiants vont les rejoindre dans quelques années. Cette tragique réalité constitue une véritable bombe sociale à retardement.
Nous avons tous négligé leur désespérance. Ceux qui se jettent dans la mer sur des embarcations précaires en sont l’effroyable démonstration. Ceux qui se jettent dans le fleuve sur les ponts à Bamako en sont la parfaite illustration de la désespérance de la jeunesse. Ces jeunes prennent le risque de mourir, abandonnent leurs familles et leur terre, persuadés que la seule issue, aussi périlleuse elle, se trouve au bout de l’horizon.
Il est urgent de créer les conditions pour retenir notre jeunesse. Il est impératif de redonner l’espoir d’un avenir possible, de les convaincre que les dirigeants se soucient véritablement d’eux. Et ils doivent le prouver par des actes. La tâche est immense, mais je la crois possible.
Elle peut s’amorcer simplement, en organisant la jeunesse afin qu’elle participe au processus économique de création de richesses. Pour cela, il faudrait notamment répertorier tous les biens et produits que notre pays importe. L’importation est une des grandes causes du chômage dans bien des pays, il faut faciliter sinon favoriser la création d’entreprises qui répondent aux besoins internes.