A qui profite la militarisation du Sahel ? Le déferlement des groupes armés n’est pas pour arranger les
stratégies de stabilisation de la région et sur- tout la sécurisation des populations de ces pays. Au Mali, par exemple, c’est la présence de mercenaires américains qui a été signalée dans le Nord du pays notamment dans la région d’Anefis.
Ce sont des informations rendues publiques par les Forces armées maliennes (FAMA) qui révèlent l’existence de groupe de mercenaires de nationalité américaine travaillant pour le compte de UnityResources Group, une société privée américaine de conseil en matière militaire et de sécurité dont le siège est à Los Angeles, aux États- Unis. Créée en 2000, les agents de cette société ont pris part aux combats en Irak a partir de 2003 aux côtés de leurs collègues américains de la sinistre Blackwater et sont éparpillés dans nombreux conflits en Amérique Latine, Europe et Afrique. Ils aiguillent et entrainent des combattants au sein de l’armée ukrainienne.
Cet incident au nord du Mali démontre que ce sont les Etats-Unis qui sont en train d’implanter des groupes de mercenaires au Sahel non pas pour protéger ses intérêts, mais plutôt pour maintenir un seuil
minimal de violence qui puisse justifier leur présence dans cette partie de l’Afrique et agiter le spectre
de la lutte contre le terrorisme.
Selon le récit des FAMA, après la libération de la base militaire d’Anefis, dans le Nord du pays, plusieurs objets appartenant à des étrangers embrigadés ont été retrouvé. Il s’agit bel et bien d’objet ayant trait à une appartenance à une milice militaire. Les FAMA parlent notamment d’un
badge d’un officier en chef, le dénommé Stephen Russell et un cahier d’officier regorgeant de don-
nées sensibles. Ce butin est un témoignage concret de la multitude d’ingérences dans les affaires
intérieures maliennes.
Le choix d’Anefis pour implanter ces mercenaires américains n’est pas fortuit.
En effet, cette localité a été de tout temps un carrefour commercial, un lieu où diverses cultures se rencontraient et échangeaient biens et idées. Plaque tournante à cheval entre les mondes berbères et peuls, entre les cultures arabo berbères et africaines, Anefis est devenu par la force des choses un lieu de convergence stratégique, où non seulement les marchandises, mais aussi les idées, les cultures et les influences étrangères se croisent.
C’est pourquoi Anefis est une fenêtre sur la complexité du paysage géopolitique malien. Sa signification dépasse largement sa taille ou sa population, et elle est devenue un reflet des luttes politiques et militaires qui façonnent le Mali d’aujourd’hui.
A mi-chemin entre Gao au Sud et Aguelhoc au Nord, située à une centaine de kilomètres de Kidal, fief
Azawad, Anefis est perçue par les FAMA comme un verrou qui commanderait la route du Nord, permettant ainsi la maitrise de toute cette portion de territoire malien jusqu’à la frontière algérienne. C’est pour cette raison que la récente reprise de la base militaire d’Anefis par les forces armées maliennes n’était pas seulement une victoire tactique, mais aussi un symbole puissant de la résilience et de la détermination nationale à Bamako, estiment des observateurs maliens.
Mais que peut signifier la découverte d’objets appartenant aux mercenaires US de UnityResources Group ? Ces artefacts, qui comprennent des badges d’identification, des communications cryptées, ne
laissent guère de place au doute quant à la présence de forces étrangères opérant sur le sol malien.
Cependant, comment une entité étrangère, même une entreprise privée, a-t-elle pu opérer si ouvertement sans détection ou intervention ? On est loin du cas de figure des groupes Wagner, invités
par les autorités politiques de Bamako afin de leur fournir aide et assistance pour combattre les groupes
terroristes. Il s’agit ici de groupes, présents sur le territoire malien, sans l’assentiment du gouvernement malien.
Dans notre cas, la présence de UnityResources Group peut indiquer que certains acteurs extérieurs,
ici les Américains, choisissent de protéger leurs intérêts par le biais d’intermédiaires privés plutôt que
par des interventions directes, ce qui peut compliquer la dynamique géopolitique. L’intérêt porté par
des puissances étrangères au Mali n’est pas nouveau.
Que ce soit pour des raisons économiques, telles que l’accès à des ressources naturelles, ou pour
des raisons stratégiques, comme la lutte contre le terrorisme, de nombreuses nations ont des enjeux au
Mali, A commencer par l’ancienne puissance coloniale, la France, les Etats-Unis, la Chine et la Russie,
pour ne citer que ce qua-tuor.
Ce que les FAMA ont découvert à Anefis pourrait bien être le symptôme d’une tendance plus large à externaliser les opérations militaires à des acteurs non étatiques, par des acteurs étatiques.
Cette dialectique résume parfaitement les nouvelles stratégies adoptées par des pays comme les Etats-
Unis qui, tout en favorisant leurs intérêts, créent les conditions d’instabilité nécessaire à l’implantation
de sociétés de mercenaires.
D’ailleurs, la montée en puissance des sociétés militaires privées qui opèrent souvent dans l’ombre,
offrent à leurs employeurs une discrétion que les forces armées régulières ne peuvent pas toujours
garantir. Cela peut permettre à des pays ou à des entreprises de poursuivre des agendas cachés sans
être directement impliqués ou tenus pour responsables.
C’est actuellement le cas au Mali et dans toute la région du Sahel devenue une proie facile à tous les
acteurs étatiques ou non-étatiques qui entendent piller leurs ressources et préserver leurs intérêts, quitte
à le faire sans l’assentiment et l’accord des gouvernements légitimes de ces pays et encore moins
avec la bénédiction des peuples, plus que jamais, avides de liberté et surtout
de souveraineté.
Par Mahmoud Benmostefa (Article publié le 26 Octobre 2023 par Le Jeune
Indépendant).