Ce matin, dans décryptage : l’État. Depuis 1960, le drapeau de l’État malien flotte sur les bâtiments publics.
Les historiens ont déjà renseigné le fonctionnement des États précoloniaux et de la colonisation. Venons-en à l’État malien tel qu’il existe depuis 1960. On pourrait dire que l’État est un construit social et politique dans lequel les individus et les groupes sont censés s’épanouir. Dit autrement, l’État, Hini en Songhay, est un espace éducatif et protecteur des citoyens. C’est aussi l’ensemble des services publics soumis à une autorité. C’est dans ce cadre que le père de l’indépendance, Modibo Keïta, a fondé l’État malien le 22 septembre 1960 après l’échec de la Fédération du Mali (Sénégal-Soudan) en août 1960, après 80 ans de colonisation. Modibo Keïta avait une vision politique de l’État, adossée à une logique émancipatrice. Il a rêvé d’un État de droit protégeant ses concitoyens contre l’arbitraire, garantissant les libertés des individus et des groupes. Mais les abus de sa milice populaire provoquent alors un rejet de son régime par une partie des Maliens. Son régime est emporté par le putsch militaire du lieutenant Moussa Traoré en novembre 1968. Le rêve de Keïta d’un État démocratique et uni se brise.
Un État démocratique et solidaire
Le nouveau chef de l’État malien, Moussa Traoré, croyait avoir trouvé la martingale pour construire un modèle d’État, arcbouté sur une vision essentiellement militaire. Il s’écroule faute d’ouverture politique et en raison de la marginalisation des syndicats, des associations, etc. Il s’agit d’un pouvoir absolu et autoritaire. La répression sanglante des manifestants du mouvement démocratique en mars 1991 par son régime précipite la fin de son règne. Le 26 Mars 1991, le putsch militaire du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT) dégage le régime de Moussa Traoré. Ensuite, en avril 1992, les Maliens élisent démocratiquement l’historien et archéologue Alpha Oumar Konaré. Il travaille à un modèle étatique démocratique et ouvert sur le Monde : biennale africaine de la photographie, multipartisme, flamme de la paix, liberté de la presse, etc. L’État est désormais pensé comme un incubateur où se développent le pouvoir d’agir et le bien-être du citoyen. En juin 2002, de retour au pouvoir par les urnes, ATT prolonge la vision de l’État de Konaré. De plus, il met en place des réformes sociales : assurance maladie obligatoire, logements sociaux, etc. Dans ce cadre, la notion d’État-providence prend tout son sens. Désormais, les Maliens attendent tout de l’État, donc des pouvoirs publics : être protégés et subvenir à leurs besoins. C’est le temps de l’État solidaire.
Écart entre l’État rêvé et l’État réel
Mais, en mars 2012, le projet d’un État protecteur et solidaire s’assombrit à cause de la rébellion du Mouvement national de l’Azawad (MNA), devenu plus tard MNLA. Au-delà de cette rébellion, le narcoterrorisme (Aqmi, Mujao, Ançar Eddine, etc.) constitue un facteur majeur de l’affaissement de l’État malien. Ni la volonté du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), entre 2013 et 2020, ni celle de la communauté internationale (Minusma et Barkhane) ne permettent de reconstruire un État malien inclusif et responsable. Même la promesse d’IBK de réaliser un projet de société démocratique viable ne tiendra pas. Finalement, le narcoterrorisme, le contentieux des législatives et les contestations populaires du M5-RFP viennent à bout de son régime. Le 18 août 2020, le putsch militaire du colonel Assimi Goïta met fin au régime d’IBK. Décryptage : l’écart entre l’État rêvé et l’État réel a toujours serpenté la plupart des régimes maliens. Les causes : mauvaise gouvernance, non prise en compte des défis de la jeunesse (emploi), rébellion, inégal développement entre les territoires ruraux et urbains, difficulté de construire un lien d’appartenance à la nation malienne, manque de partage de valeurs communes (République), narcoterrorisme, impunité, etc. Conséquence : la construction de l’État est tortueuse, le rapport des Maliens à l’État demeure mitigé. Aujourd’hui, faire État de Kayes à Kidal, c’est avant tout faire société ensemble pour que chaque citoyen trouve sa place.
Se réinventer
Mardi, 14 novembre 2023, onze ans après avoir perdu Kidal, de nouveau le drapeau malien flotte sur la ville de l’Adrar des Ifoghas. Les combats entre le Comité stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD) et les Forces armées maliennes (FAMa) ont tourné à l’avantage de ces derniers. Une satisfaction psychologique importante pour les Maliens. Les rapports de forces s’inversent.
Le gouvernement malien tente d’apaiser les tensions. Il "… réitère son engagement à exercer la souveraineté du Mali sur l’ensemble du territoire national et à œuvrer pour la paix, la stabilité et la réconciliation nationale", extrait du communiqué du gouvernement du 14 novembre 2023. Pour l’instant, tout est d’équerre à Kidal. Mais, le contexte demeure instable. Le CSP-PSD ne perd pas le nord. Il ne s’avoue pas vaincu à travers ces différents communiqués. Comme dit un proche kidalois, "le plus dur commence". En plus de la victoire militaire, il est donc nécessaire d’apaiser les tensions pour éviter le scénario catastrophe d’une alliance entre le CSP-PSD et le GSIM (Aqmi) contre les FAMa.
Comment reconstruire l’image d’un État inclusif et solidaire ? Les autorités de la transition doivent se réinventer pour conduire les Maliens sur le chemin de l’unité. Les considérables défis sécuritaires et de développement, le retour des réfugiés et des déplacés, le processus de retour à l’ordre constitutionnel, etc., sont plus que jamais pressants. Faire état, c’est avoir une vision de la nation et de la République.
Pour terminer quelques questions :
Comment mieux organiser les relations entre l’État et les citoyens ?
Quelles solutions pour équilibrer les relations entre Bamako et Kidal ?
Quelle vision pour la nation et la République dans l’État ?
Mohamed Amara
Sociologue
Source : Mali Tribune