Dans l’interview ci-dessus, Tiégoum Boubèye Maïga, journaliste, ancien conseiller à la communication de la présidence de la République et acteur du Mouvement démocratique au Mali, livre ses analyses une semaine après la reprise de Kidal par les FAMa. Entretien.
Mali Tribune : Après une absence de 11 ans, l'armée malienne est de retour à Kidal. Quelle est votre réaction ?
Tiégoum Boubèye Maïga : Comme tous les Maliens, je suis très content qu'on ait passé ce cap-là. Mais il y a beaucoup d'autres étapes qui restent à faire. De passage, il faut féliciter les Forces armées maliennes qui sont restées un peu sur le traumatisme de 2014 où elles avaient été très maltraitées lors de la visite du Premier ministre, Moussa Mara. Et, c'est depuis ce jour-là que l'Etat a perdu pied à Kidal. Il convient de les féliciter et de les encourager dans leur mission de sécurisation des personnes et des biens, ainsi que dans leur mission de préservation de l'intégrité territoriale.
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Mali Tribune : Quelles sont les prochaines étapes pour l'armée malienne à Kidal ?
T. B. M. : Pour moi, il serait mieux dès maintenant que les autorités passent à une nouvelle étape. La victoire militaire, je pense qu'elle est incontestable. Il faut déjà penser à faire la paix avec les Maliens qui sont restés là-bas. Il ne faut pas que ces Maliens-là perçoivent les militaires comme une force d’occupation.
Il faut faire la paix avec nos parents qui ont animé la rébellion. Cela suppose qu'on le veuille ou non, l'Accord pour la paix et la réconciliation pour le moment est le seul instrument qu'on a en main malgré ses faiblesses, mais qu'il faut réanimer et réactualiser, remettre au goût du jour afin que, de manière durable, on puisse avoir la paix dans cette partie septentrionale.
Il faut aussi que l'Etat s'active à être présent, pas seulement l'administration, il faut satisfaire les besoins les plus élémentaires des populations. Ça fait longtemps que les enfants de cette partie de notre territoire ne vont pas à l'école.
On a chanté et dansé le mardi, mais maintenant mettons-nous au travail parce que le plus difficile reste à venir. Parce que nos parents qui sont partis sans combattre, nul ne connaît leur intention. Ils ont juste dit que c'est une étape, qui est passagère. Donc, il ne faut pas leur donner l'occasion de reprendre les armes. Il faut dès maintenant prendre contact avec ceux qui parmi eux sont fatigués de faire la guerre contre le Mali.
Bref, il y a du boulot.
Mali Tribune : Pensez-vous qu'il aurait été préférable de prendre Kidal par la guerre ou par le dialogue ?
T. B. M.: J’ai toujours été contre la guerre. Depuis qu'ils ont lancé le raid sur Kidal, j'ai dit non, on n'a pas besoin d'aller faire la guerre avec nos parents pour les amener à la raison. Sur le choix que les autorités ont fait, au vu des résultats, pour le moment ils ont raison. Mais je suis persuadé qu'on aurait pu mettre pied à Kidal sans tirer un seul coup de feu.
Une fois qu'on fait la bagarre, le temps de la paix devient plus long. Vingt ans de négociations valent mieux que deux jours de guerre. On a fait deux mois de guerre et tout ce qu'il y avait comme négociation et petit acquis qu'on avait grâce à l'Accord pour la paix et la réconciliation sont tombés à l'eau. Donc, il faut reprendre à zéro. C'est pourquoi je dis, il faut arrêter de danser et chanter.
Mais, c'est leur mission de faire la paix. Et il faut vraiment qu'ils aillent faire la paix et faire en sorte que la paix soit durable cette fois-ci et mettre les gens en confiance pour que Kidal, Tessalit, Anéfis et toutes les zones qui ont été reprises dans le cadre du désengagement de la Minusma que les populations de ces zones se reconnaissent dans l'armée du Mali et qu'elles-mêmes sont des Maliens.
Mali Tribune : En 2014, l'armée malienne avait failli récupérer cette ville emblématique, mais sans succès. Cette fois-ci, c'est la bonne, selon vous ?
T. B. M.: Vous l'avez dit déjà. Cette fois-ci, l'armée a utilisé les gros moyens pour parvenir à ses fins. Je pense que nos parents qui étaient opposés à l'Etat ont dû mesurer le rapport de force qui n'est pas en leur faveur. Des militaires aguerris et bien formés avec toutes sortes d'équipements (drones, aéronefs) et qui ont bénéficié aussi de l'appui de Russes qui sont-là.
Le gouvernement parle d'instructeurs russes, visiblement, c'est quand même les gens de Wagner il ne faut pas jouer sur les mots. L'apport de ces gens-là a dû être décisif dans la prise de la ville de Kidal. Pour moi, ce n'est pas ça le plus important, ceux qui sont partis, il faut savoir où ils sont. C'est maintenant qu'il faut négocier, comme on a dit, on va négocier en position de force.
Visiblement on est en position de force, c'est maintenant qu'il faut tendre la main. Tous ceux qui s'occupaient de la médiation avant la guerre, l'Algérie et un certain nombre de pays voisins, il faut les remobiliser pour que cet espace du pays soit un havre de paix où on peut vivre tranquillement. Ça fait longtemps que les armes crépitent dans ces zones.
C'est le moment de déposer les armes. Cette zone-là, à l'instar de beaucoup de zones du pays, est très en retard. Il n'y a rien là-bas et la guerre n'a jamais facilité quoi que ce soit. Il faut travailler à ce que la victoire du mardi soit une victoire pérenne et qu'on prenne des actions pour que les populations soient en confiance et reviennent et que nos frères de la CMA reviennent et repartent sur des nouvelles bases.
Mali Tribune : Est-ce que vous estimez que la reprise de Kidal marque le début d'une véritable paix et une réconciliation durable ?
T.B. M.: Je souhaite que tout le monde cesse de faire la guerre. Il est temps de passer à autre chose.
Mali Tribune : Quel est le futur de la CMA et de l'Accord de paix de 2015 ?
T. B. M.: L'avenir de la CMA, c'est eux qui décident de voir. Mais je pense que l'Accord dans tous les cas comme ça a été dit, il y a des insuffisances et on peut se mettre à table pour le rectifier.
L'accord date de 2015 et ça fait huit ans. Avant ces huit ans, nous avons vu qu'il y a beaucoup de failles. Pour moi, c'est ça l'Accord pour la paix et la réconciliation. Ce n'est pas un Accord de paix, mais un Accord pour la paix et en appliquant, on essaie de voir quelles sont les insuffisances qu'on peut corriger et les manquements qu'on peut enlever et avancer.
Mais on ne peut pas faire de la propagande autour de ces insuffisances en mettant l'accent sur le fait que l'Accord va faciliter la partition du pays. Ce n'est pas vrai. Certes, l'Accord a été signé dans des conditions particulières aux régions du Nord. Mais la finalité de l'Accord, c'est de bénéficier à l'ensemble du pays.
Maintenant que les gens qui voulaient faire la guerre, ont fait la guerre il faut travailler à faire la paix. Je pense que l'Accord peut nous aider à faire la paix.
Source : Mali Tribune