L’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (Unesco) vient de publier un rapport intitulé : «Le rôle des agents chargés du maintien de l’ordre : assurer la sécurité des journalistes, lors des manifestations publiques et des élections». L’Unesco déclare recenser, entre janvier 2019 et juin 2022, au moins 756 attaques individuelles contre les journalistes, lors de 89 élections dans 70 pays.
Dans le cadre de la célébration du 2 Novembre, Journée internationale de la fin de l’impunité, pour les crimes commis contre les journalistes, l’Unesco a publié ce rapport : «Le rôle des agents chargés du maintien de l’ordre : assurer la sécurité des journalistes, lors des manifestations publiques et des élections». Il s’agit d’un document de 20 pages celui-ci donne un aperçu sur la tendance inquiétante, à la hausse des violences commises à l’encontre des journalistes. L’Unesco revient sur les obstacles, auxquels sont confrontés les journalistes pour exercer de façon libre leur profession.
Selon le rapport, «la mission des agents chargés du maintien de l’ordre et celle des journalistes sont différentes, mais se renforcent mutuellement. Les agents chargés du maintien de l’ordre sont responsables du maintien de l’ordre, public et de la protection, des droits des citoyens, tandis que les journalistes, s’efforcent de fournir des informations précises et fiables aux citoyens. La manière dont les agents chargés du maintien de l’ordre et les journalistes atteignent leurs objectifs respectifs peut être différente, mais leurs chemins, le plus souvent, se croiseront et ils seront amenés à travailler sur les mêmes lieux ».
Trouver un équilibre entre le maintien de l’ordre et le droit à la liberté d’expression
Le document officiel de l’Unesco rapporte, que les journalistes peuvent se trouver en danger, dans de nombreux cas, lors de la couverture de rassemblements publics. «La difficulté à laquelle sont confrontés les agents chargés du maintien de l’ordre, dans le monde entier consiste alors à trouver un équilibre, entre le maintien de l’ordre et de la sécurité publics, le droit à la liberté d’expression et le droit des journalistes à rendre compte des événements, en toute sécurité et sans entrave», précise-t-il.
Selon le rapport, des attaques contre des journalistes, en rapport avec la couverture de manifestations et des émeutes ont été enregistrées dans au moins 101 pays, sur la période allant de janvier 2015 à août 2021. «La grande majorité des attaques contre les journalistes couvrant les manifestations publiques ont été perpétrées par les agents chargés du maintien de l’ordre et comprenaient des agressions telles que des passages à tabac et des arrestations arbitraires. Dans le même temps, un nombre important d’agressions, physiques et verbales ont été perpétrées par des manifestants et des personnes participant aux manifestations. Les journalistes ont également fait l’objet de descentes, dans les bureaux de presse et de destructions physiques de matériel journalistique en représailles à la couverture des manifestations. Les agents chargés du maintien de l’ordre ont arrêté des dizaines de journalistes couvrant des manifestations en Asie, en Afrique subsaharienne, en Amérique du Nord, en Europe, en Amérique latine, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Certaines de ces arrestations ont été temporaires et n’ont pas donné lieu à des poursuites, ou ont été abandonnées ultérieurement, par les autorités. Dans certains cas, des journalistes ont été arrêtés individuellement ; dans d’autres cas, plusieurs journalistes ont été arrêtés alors qu’ils couvraient les manifestations», nous certifie le document de l’Unesco.
Augmentation de la violence à l’encontre des femmes journalistes
Les chiffres contenus dans le rapport constituent des sources d’inquiétudes. «Entre janvier 2019 et juin 2022, au moins 759 journalistes et professionnels des médias ont été agressés en période électorale dans le cadre de 89 élections organisées à travers 70 pays du monde. 338 professionnels des médias ont été agressés physiquement, dont 9 qui ont été assassinés. 167 ont été détenus arbitrairement. 123 ont été gênés dans leur travail. Et 131 ont fait l’objet de menaces et d’intimidations. 42 % de l’ensemble des journalistes (320) agressés en période électorale l’ont été par des agents chargés du maintien de l’ordre. 29 % des journalistes agressés (218) étaient des femmes. Au cours de la même période, 129 médias ont fait l’objet d’attaques, allant des menaces et de la censure aux raids et aux incendies, en passant par des suspensions et des fermetures forcées». Depuis 2015, l’organisme onusien a recensé au moins 13 journalistes tués lors de la couverture des manifestations.
L’Unesco lève le voile sur la violence sexiste à l’endroit des femmes et annonce que l’intimidation et la violence à l’encontre des femmes journalistes ont augmenté. «Ces dernières subissent toute une série de menaces dans l’exercice de leur profession, allant de l’intimidation, de la menace et du harcèlement sexuel à des cas extrêmes de violence collective, de détention, d’atteintes sexuelles et de viols. Dans les zones de conflit armé, les femmes journalistes sont exposées aux mêmes dangers que leurs collègues masculins, mais en outre, elles doivent faire face à des menaces supplémentaires de violence sexuelle, d’intimidation et de discrimination fondée sur le sexe. Trop souvent, nombre de ces crimes ne sont pas signalés, en raison de la stigmatisation culturelle et professionnelle».
Le rapport note que certains gouvernements ont reconnu le problème, avant de prendre des mesures pour réduire les violations commises par les agents chargés du maintien de l’ordre. «En 2021, la plus haute juridiction française, le Conseil d’État, a jugé que les journalistes n’étaient pas tenus de quitter les lieux lorsque les forces de l’ordre ordonnaient à une foule de se disperser. Ils doivent simplement se positionner à l’écart des manifestants, de manière à ne pas être confondus avec eux et à ne pas entraver le travail des agents chargés du maintien de l’ordre. Les journalistes doivent pouvoir continuer à observer et à obtenir des informations sans restriction ». La même année, ajoute-t-il, « la Cour suprême du Brésil a jugé que l’État devait être tenu pour responsable si des journalistes étaient blessés par des policiers alors qu’ils couvraient des manifestations publiques. La décision a été prise dans une affaire concernant le journaliste Alex da Silveira, qui a perdu la vue de l’œil gauche, après avoir reçu une balle en caoutchouc tirée par la police militaire de Sao Paulo, lors d’une manifestation en mai 2000».
Des recommandations pertinentes
Dans de nombreux pays, constate le rapport, les actions des agents chargés du maintien de l’ordre contre la presse, soulignent la nécessité d’un dialogue public plus approfondi, sur l’intersection entre liberté d’expression-y compris la liberté de la presse-et nécessité d’assurer l’ordre public.
Le rapport formule plusieurs recommandations. Il s’agit entre autres de cultiver de bonnes relations professionnelles, entre les agents chargés du maintien de l’ordre et les médias les plus susceptibles de couvrir les manifestations publiques ; de faciliter le travail des journalistes, en leur en leur donnant autant d’accès, que possible à un rassemblement public et à toute opération de maintien de l’ordre ; d’identifier les zones de presse / un périmètre défini, pour les médias qui leur permettront d’agir en toute sécurité ; de respecter la sécurité des journalistes et s’abstenir de toute forme d’obstruction, de force ou de pression à leur encontre ; d’encourager les membres de la presse accrédités à être facilement identifiables en affichant le mot «PRESS» sur leurs vêtements et leur équipement ; de protéger les médias et garantir un environnement de travail sûr, en prenant des mesures préventives appropriées, efficaces et opportunes, y compris une protection policière contre les attaques de groupes hostiles, et d’allouer des ressources suffisantes pour assurer aux médias une protection adéquate, lors de rassemblements publics.
Chiaka Doumbia
Meurtre d’Abdoul Aziz Djibrilla : La Directrice générale de l’Unesco condamne
Dans un communiqué de presse en date du 16 novembre 2023, Audrey Azoulay, Directrice générale de l’Unesco, a condamné le meurtre au Mali d’Abdoul Aziz Djibrilla, journaliste de Radio Naata de Labbezanga le 7 novembre 2023.
«Je condamne le meurtre d’Abdoul Aziz Djibrilla. J’en appelle à toutes les parties prenantes pour s’assurer que les journalistes et les professionnels des médias puissent entreprendre en toute sécurité leur travail essentiel pour informer les populations. Les auteurs de ce crime doivent être poursuivis.»
Abdoul Aziz Djibrilla était l’animateur d’une émission diffusée sur Radio Naata à Labbezanga. Il a été tué par des hommes armés non identifiés alors qu’il se déplaçait avec des collègues à Gao, dans le nord du Mali. Deux autres journalistes ont été enlevés au cours de l’attaque et un autre a été blessé.
L’Unesco promeut la sécurité des journalistes au travers des campagnes de sensibilisation mondiale, de renforcement des capacités ainsi que par un certain nombre de mesures, notamment dans le cadre du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité.