Un black-out total semble désormais couvrir la tristement célèbre livraison à Edm-sa des groupes qui se sont révélés, sinon défectueux, du moins défaillants. L’affaire a pourtant tant défrayé la chronique que nul ne peut affirmer ne l’avoir pas entendue pour qu’elle soit aujourd’hui en passe de tomber dans l’oubli total, comme si elle n’avait tout simplement jamais été.
C’est au moment même où Mme Bintou Camara, ministre de l’Energie et de l’Eau à la faveur du réaménagement du gouvernement le 1er juillet 2023, est au cœur d’une vive polémique depuis sa visitesur-prise du 22 octobre dernier dans la caverne d’Ali Baba d’EDM-sa où elle a découvert, affirmant elle, la perte de 59 citernes en seulement quatre jours, chacune d’elles ayant une capacité de transport de 45 000 litres de carburant. La tempête soulevée depuis a occulté carrément un scandale pourtant bien antérieur à l’arrivée de Mme Camara à la tête du département de l’Energie et de l’Eau, celui de l’acquisition par Edm-sa des groupes pour le renforcement de ses capacités. Cette opération d’achat découle d’un contrat (N° 22/522 DG/DP) portant la date du 06 décembre 2022. Le prestataire désigné, qui a mal exécuté ledit contrat, s’appellerait CASE CONSTRUCTION, une société peu connue du grand
public et à propos de qui certains parlent de montage relevant du délit d’initié. Mme Camara est muette sur ce fameux contrat qui a vu mobiliser plus de six milliards de francs CFA pour un résultat décrié pour de bonnes raisons.
Qu’à cela ne tienne, le nouveau directeur général d’EDM-sa nommé par ses soins vers la fin du mois de septembre dernier, Abdoulaye Djibril Diallo, n’en pipe non plus mot, en tout cas n’a posé jusqu’ici aucun
acte tendant à montrer qu’il se préoccupe de cette affaire. Il a fallu un communiqué très accusateur
produit le 11 décembre par la cellule de communication du ministère de l’Energie et de l’Eau, qui a
vivement dénoncé une cabale médiatique savamment orchestrée et distillée dans certaines presses et
sur les réseaux par des personnes visées par les enquêtes en cours et leurs acolytes », pour que les
langues se délient et reparlent de l’affaire des groupes défaillants. Ainsi, on apprendra que dès la mi-juin 2023, soit un peu plus de six mois après la passation du fameux contrat à CASE CONSTRUCTION, le
constat avait été fait à Edm-sa que le nombre de groupes, au terme du contrat, avait miraculeusement évolué de 27 à 31, avec en plus l’indisponibilité des puissances de 5 000 KVA initialement pré-
vus pour le site de Mopti-Sévaré (8 x 2500 KVA au lieu de 4 x 5000 KVA).
Cette décision, aussi inattendu que cela puisse être, avait été prise par le fournisseur. A cette supercherie s’ajoutent les faiblesses relevées sur l’ensemble de l’opération. En effet, on pointera le manque de manuels de pièces de rechange, (manque pour lequel le fournisseur, CASE CONSTRUCTION, arguera avoir des difficultés à trouver les références de filtres, raison pour la-
quelle les anciens filtres sont déposés afin de servir de base pour s’approvisionner sur le marché local), la limitation de puissance des groupes (aucun d’entre eux n’arrive à atteindre 70% de sa charge nominale). En plus, lesdits groupes ne peuvent être exploités en moyenne qu’à 40% de leur charge.
Ce n’est pas tout. Il y a l’échauffement excessif des groupes contre lequel CASE CONSTRUCTION a
déposé des régulateurs de température, mais les pannes sont récurrentes sur les génératrices (6 cas
enregistrés dont 3 sur le même groupe (notamment le groupe 625 KVA de Siby), la récurrence de dé-
fauts de TC (Transformateur de Courant) sur les deux groupes 850 KVA installés à Bla (des TC ont même été récupérés sur un groupe indisponible du parc d’EDM-sa pour dé-
panner), etc.
Au regard de tout ce qui précède et d’autres non-dits, le directeur d’Edm-sa à l’époque, Koureissi Konaré, a été dans une gêne terrible. Il a naturellement cherché à savoir les raisons des défaillances. Le
23 juin 2023, il organise une réunion avec le fournisseur. Une précision de taille s’imposait d’emblée :
le contrat N° 22/522/DG/DP du 06 décembre 20222 était bien relatif à la fourniture et à l’installation de 27 groupes neufs conteneurisés de types Perkins et de deux transformateurs pour les centres EDM-sa, et non des groupes de récupération, défectueux de surcroît, pour un montant de 6 269 000 000 FCFA (Six
Milliards Deux Cent Soixante Neuf Millions de francs CFA). Mais quelque chose cloche au-delà de
tout. Non seulement la direction de la production d’EDM-sa n’avait jamais été saisie en amont pour
préparer un cahier de charges pour le dossier qui n’a pas fait l’objet d’appel d’offres, en plus il se trouve que ledit dossier a pourtant été validé par le département juridique malgré la violation évidente de la règle de passation des marchés et, pire, sans que toutes les précisions techniques ne soient données au fournisseur.
A la question de savoir quel mécanisme a permis à CASE CONSTRUCTION d’acquérir la fourniture de
ces groupes malgré la non-émission d’un DAO (Dossier d’Appel d’Offres) sur le marché par EDM-sa,
Adama Sanogo, le patron de cette société, n’a pu donner aucune explication. Ce silence est suffisamment indicatif de la transgression des règles de passation des marchés publics. A la date où a lieu cet échange, 23 juin 2023, seulement 13 groupes électrogènes sur une commande initiale de 27
passée à 31 avaient été livrés à Edm-sa mais ne répondaient aux attentes.
Sur les 13 groupes, 11 avaient été installés sur leurs sites, mais il restait à installer les deux groupes de Ménaka. Bref, le marché a été irrégulièrement conçu, frauduleusement exécuté et il convient de déterminer comment et pourquoi. Or, tout semble indiquer que cette scandaleuse affaire est en train d’être purement et simplement passée par pertes et profits, si elle ne l’est pas déjà définitivement. Assurément, EDM-sa risque de demeurer longtemps encore au creux de la vague.