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Dégradation de la forêt classée de Kekoro : des cadres complices tapis dans l’ombre !
Publié le vendredi 29 decembre 2023  |  mali flash
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La forêt classée de Kekoro, dans la région de Bougouni au Mali, connaît une dégradation très avancée due à l’exploitation de l’or. La faune et la flore y sont en souffrance : les oiseaux ont commencé à migrer sous d’autres cieux et sur 200 hectares, les arbres ont laissé place à un vaste espace désertique. La complicité de certains cadres administratifs pointés du doigt.

Le 8 septembre 2022, le Chef de cantonnement forestier de Bougouni, le Commandant Seydou Dao, est alerté par un haut cadre de l’administration régionale sur la présence d’un groupe de Chinois dans la forêt classée de Kékoro. Discrètement, le chef du cantonnement forestier de Bougouni dépêche sur place un de ses agents qui parvient à obtenir des images montrant les bulldozers, les bennes et autres matériels avec lesquels ces individus exploitent l’or. Ces images, selon un cadre de l’administration régionale, ont été envoyées au gouverneur de la Région de Bougouni de l’époque, le Général Kéba Sangaré.

Le mardi 13 septembre 2022 à 4h du matin, une mission conjointe composée par le Chef de cantonnement forestier, ses 5 agents et un peloton de la garde nationale forestière de Bougouni (15 Personnes) s’est rendue sur place. Au cours de cette descente préparée en tandem avec le Procureur de la République près le Tribunal d’instance de Bougouni, 28 personnes de nationalité étrangère (27 Chinois et 1 Ghanéen) sont arrêtées et mises à la disposition de la justice.

Le procureur de la République a requis l’ouverture d’une information judiciaire. Le juge d’instruction, Bekaye Mementa, a placé sous mandat de dépôt à la prison centrale de Bougouni les 28 suspects. En outre, le Chef de poste forestier de Sanso, Abdoulaye Haïdara, et le chef de Service de l’hygiène et de l’environnement de Bougouni, Bah Abdoulaye Yattara, ont été aussi placés sous mandat de dépôt.

Deux jours après cette mission sanctionnée par l’interpellation de 28 suspects, soit le 14 septembre 2022, une mission, comprenant un conseiller technique au ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable et deux cadres de la direction nationale des Eaux et Forêts, est dépêchée à Bougouni. Elle y est restée jusqu’au matin du 22 septembre, jour de la fête nationale.

Des discussions ont été menées avec les cadres dépêchés par le département en charge de l’Environnement. Au bout d’intenses négociations, il a été retenu que les Chinois paient la somme de 200 millions de Fcfa, soit 150 millions de Fcfa pour la transaction et 50 millions de Fcfa comme dommages compensatoires.

Cette sanction a été prise conformément à l’article 110 de la loi 10-28 du 12 juillet 2010 déterminant les principes fondamentaux relatifs à la gestion des ressources du domaine forestier national. « La superficie évaluée dans le rapport s’étendait à 200 hectares, ce qui faisait environ un milliard à payer par les contrevenants. Mais les discussions menées par les missionnaires venues de Bamako, ont fixé la transaction à 150 millions de nos francs et 50 millions pour les frais de reboisement compensatoire », souligne le Commandant Seydou Dao.



Carrière clandestine dans la forêt classée / Ph : MD

Le 21 septembre 2022, le chef du cantonnement forestier de Bougouni reçoit un appel téléphonique du juge d’instruction qui l’informe de la venue des représentants des Chinois pour la transaction. Ils viendront effectivement dans la soirée pour le paiement. Et les délégués venus de Bamako sont restés pendant toute la journée dans le bureau du Commandant Dao, selon notre source.

Le versement est fait contre-remise de quittance du Trésor public. Après le départ des représentants des Chinois, apprend-t-on du Commandant Dao, les débats ont commencé dans son bureau. Le Colonel-major Bakary Traoré de la DNEF (Direction nationale des Eaux et Forêts érigée depuis en Direction générale, membre de la délégation venue de Bamako) propose au chef du cantonnement forestier « d’appeler le ministre en charge de l’Environnement maintenant pour savoir la conduite à tenir ».

Mais celui-ci piqua une colère noire : « C’est quelle conduite à tenir et d’ailleurs, vous devriez d’abord appeler la Directrice au lieu du ministre ou bien le ministre est forestier ? ». Il ajoute : « Je n’ai pas eu de réponse de leur part… Je leur ai immédiatement dit qu’à part les remises, aucun franc ne sortira de ce bureau et que la répartition des remises d’une transaction forestière suit un arrêté très clair ». Mais le Colonel-major Bakary Traoré persiste et signe : « Il faut attendre les instructions du ministre, lequel donnera la clé de répartition de l’argent ».

Le Commandant Dao nous confie qu’il a cédé sous la pression en remettant à la délégation venue de Bamako la somme 7 500 000 Fcfa. Cette somme, confesse-t-il, représentait la part qui revenait à lui et ses collègues conformément aux textes en vigueur. Toutefois, il affirme avoir refusé d’enlever le moindre centime sur le montant mentionné (150 000 000 de Fcfa) sur la quittance suivant le bordereau de versement au Trésor public n°0490909 et le versement de 40 millions Fcfa en guise de reboisement compensatoire comme prévu par les textes en vigueur : la loi n°10-028 du 12 juillet 2010 dans son article 110.

Interrogé sur la question, le conseiller juridique du ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable, Joseph Traoré (qui était de la mission), donne sa version des faits. Selon lui, les 7 500 000 de Fcfa ne sont pas pour le chef de cantonnement, mais pour les agents qui étaient sur le terrain.

Il nous apprend qu’il a été auditionné au niveau de la Direction générale de l’Agence nationale de la Sécurité d’Etat sur ce dossier pour des fausses allégations formulées contre lui. Selon lui, il est question de disparition d’une somme de 10 millions de Fcfa dans son bureau sur les 50 millions de Fcfa destinés au reboisement de la zone censés être payés trois jours après le paiement de 150 000 000 de Fcfa pour la réparation des dommages. Joseph Traoré soutient qu’il a même voulu porter plainte contre les auteurs de ces allégations avant de renoncer à son action en justice suite aux nombreuses interventions.

Entre-temps, le chef du cantonnement forestier de Bougouni est informé par une tierce personne de la présence d’autres groupes de Chinois dans la même forêt classée. Immédiatement, il alerta le Préfet de Bougouni et le juge d’instruction. Le 10 octobre 2022, une deuxième mission sera sur les lieux, dirigée cette fois-ci par le Directeur général adjoint des Eaux et forêts et le conseiller juridique du Ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement Durable, Joseph Traoré qui se trouvait sur les lieux avec une équipe des agents forestiers. Six Chinois et leur interprète sont appréhendés par la mission.



Quatre des six chinois arrêtés par une deuxième mission / Ph : MD

Selon le maire de la commune rurale de Domba, Cheick Abou Diarra, les auteurs de cette agression contre une forêt classée ne disposaient d’aucun document légal. Me Mamadou Gaoussou Diarra, avocat constitué par les Chinois, confirme que ses clients ne disposaient pas de document d’exploitation.

À son retour de cette mission, le chef de cantonnement apprend que lui et le directeur régional des Eaux et Forêts de Bougouni, Moussa Fodé Sissoko, sont convoqués, le 11 octobre à 9 heures, à la Direction nationale des Eaux et Forêts (DNEF). A son retour de sa convocation, le commandant Dao est informé par le directeur régional des Eaux et Forêts qu’ils ont été tous les deux relevés de leurs fonctions et mis au compte de la Direction nationale des Eaux et Forêts.

Selon Cheick Abou Diarra, les termes du protocole d’accord signé entre le cantonnement forestier de Bougouni et les exploitants chinois pour reboucher les trous ne sont pas respectés sur le terrain. Ledit protocole d’accord disait à son article 5 que la durée des travaux de mise en l’état de la forêt « est de 4 mois à compter de la date de signature du présent procès-verbal de transaction (précisément le 21 septembre 2022) » et cette durée « devra expirer le 21 janvier 2023 ».

« Ils ont pu continuer avec leur illégale pratique d’exploitation minière », déplore l’élu local. Toujours, selon le maire de la commune de Domba, la mairie, qui en est pourtant l’Autorité compétente, n’a même pas été mise au courant de ce protocole d’Accord. « Alors qu’après la signature d’un protocole d’accord dans une commune, je crois que le suivi incombe en premier lieu à tous les élus locaux. Mais, malheureusement, l’élu communal que je suis n’y ait jamais été impliqué », conclut-il.



Selon des informations recueillies auprès de sources qui ont requis l’anonymat, le ministère en charge de l’Environnement aurait demandé aux Chinois de payer 150 millions de Fcfa afin de poursuivre leurs activités. Les Chinois auraient, toujours selon les mêmes sources, opposé leur refus catégorique. Entre-temps, une mission conduite par la directrice générale des Eaux et Forêts s’est rendue sur les lieux en décembre 2022 pour saisir le matériel des Chinois.

Très furieux, les Chinois contestent le nombre de matériels déclarés par la mission de la Direction Générale des Eaux et Forêts : 24 pelleteuses, 9 Pickup et 13 groupes électrogènes. Selon Me Mamadou Gaoussou Diarra, ses clients ont porté plainte contre X au Tribunal d’instance de Bougouni pour la disparition de milliers de litres de carburant et d’équipements.

Suite à cette plainte, le juge d’instruction décide de se rendre dans les locaux de la Direction Générale des Eaux et Forêts pour inspecter le matériel saisi. La directrice générale ordonna à ses agents de ne pas laisser le juge accéder au lieu, selon une source judiciaire qui souhaite rester dans l’anonymat. Par la suite, la directrice générale des Eaux et Forêts est inculpée et placée sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction.

Après plusieurs tentatives de rentrer en contact avec la Directrice Générale des Eaux et Forêt sans succès, nous avons eu le directeur général adjoint, Abdoulaye Tamboura. Il nous a fait savoir que la procédure n’est pas terminée et qu’il évite de se prononcer sur un dossier qui est au niveau de la justice. Selon lui, la justice est mieux indiquée pour apporter les éléments de réponse à nos questions.



Site clandestin de lavage d’or / Ph : MD

Des tentatives de corruption et des pressions
Pour acheter le silence du chef du cantonnement forestier de Bougouni en vue d’étouffer l’affaire, selon ses dires, une proposition lui est faite avec une enveloppe de 30 millions de Fcfa. Le Commandant Seydou Dao décline l’offre et transmet le dossier à la Justice. Pour obtenir la libération des Chinois ainsi emprisonnés, des « spécialistes en négociation », essaient de soudoyer le juge d’instruction en lui proposant la somme 60 millions de Fcfa, nous confie une source au sein du Tribunal d’instance de Bougouni.

Me Mamadou Gaoussou Diarra refuse de se prononcer sur ces manœuvres auprès du Chef de cantonnement forestier ou du juge d’instruction. Ces faits rapportés, souligne-t-il, sont antérieurs à sa constitution comme d’avocat de la défense.

Le juge d’instruction chargé du dossier a reçu des menaces, lesquelles l’ont contraint à restreindre ses activités sportives et à prendre des mesures de sécurité supplémentaires, rapporte une source proche du Tribunal d’instance de Bougouni. Par la suite, il a sollicité une mutation dans une autre ville.

Le Préfet de Bougouni, qui a piloté le dossier, a été muté à Ségou. Seydou Dao, lui, a été relevé de son poste du chef de cantonnement forestier. « L’exploitation illégale dans la forêt classée est un acte que j’ai beaucoup combattue en effectuant deux missions, qui ont malheureusement conduit à ma relève de mon poste de chef de cantonnement », lance le Commandant Seydou Dao.

L’état actuel de la forêt classée est une catastrophe sans précédent
Membre de la coordination nationale de veille stratégique et citoyenne du Réseau “Joko ni Maaya”, Fousseyni Mariko estime que la forêt a subi une destruction environnementale qui se passe de commentaires. « La destruction d’une forêt, surtout classée, est une catastrophe sans précédent, car elle met en danger tous les bienfaits de la forêt », déplore-t-il.

Selon Fousseyni Mariko « les exploitants illégaux, sur environ 10 sites, ont détruit 10 000 hectares de ce patrimoine national ». D’après les constats faits par les spécialistes, ces exploitants illégaux d’or ont sévi dans cette zone durant des mois au cours desquels ils ont sauvagement détruit plusieurs parties de ladite forêt classée. « Un vrai scandale environnemental », s’écrit l’acteur de la société civile, car elle met en cause tous les bienfaits de la forêt. Suite à une destruction massive de cette partie de la forêt qui a entraîné la déforestation et la dégradation, selon lui, de nombreuses espèces végétales et animales ont disparu.



Une carrière clandestine sur les 11 découvertes dans la forêt classée / Ph : MD

« Aujourd’hui, dans la forêt classée de Kékoro, les rares animaux survivants se retrouvent isolés, courant le risque de manquer de nourriture et de ne plus pouvoir trouver de partenaires pour se reproduire. La fragmentation des habitats naturels a diminué aussi la capacité des animaux à se cacher et à fuir. Ils sont aujourd’hui devenus des proies plus faciles pour les braconniers », dit-il.

Dans une interview, le directeur général adjoint des Eaux et Forêts déplore l’utilisation des produits chimiques sur le site censé être protégé. Selon lui, l’utilisation de ces produits chimiques a occasionné des incidents majeurs sur l’environnement. « Des oiseaux ou autres animaux de cette forêt périssent très souvent après s’être abreuvés et d’autres, contraints à vider les lieux pour d’autres points d’eau non pollués », conclut-il.

Il ressort des informations récentes émanant du maire que la réparation de la faune et de la flore commence peu à peu grâce au débroussaillage entrepris, il y a trois mois, par les agents des Eaux et Forêts comme indiqué dans le protocole d’accord signé.

Enquête réalisée par Maïmouna DIALLO avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

Source: Cenezo
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