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Contribution : Les dirigeants maliens face aux préoccupations sécuritaires de la région de Gao
Publié le lundi 15 janvier 2024  |  L’Inter de Bamako
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La septième région du Mali vit et continue à vivre depuis le 31 mars 2012 le pire calvaire de son histoire, peut être depuis la conquête marocaine par Djouder.

Ville carrefour, métissage séculaire des cultures africaines, méditerranéennes, européennes, Gao est chargé d’histoire à cause de ses trésors archéologiques, de sa mosquée pyramidale datant de l’époque médiévale, de sa culture si riche, etc. Gao est à la fois le symbole de l’apogée de l’histoire noire portée à son apogée par les illustres empereurs Sony Ali Ber et les Askia pendant des siècles et plus tard Fihroun, assisté de tous les leaders sédentaires Songhay, Arma et Peulh. Pendant la colonisation, Gao est devenu le quartier général, voire la capitale des résistants soudanais dont Djibo Bakari.

L’apport de Gao à l’indépendance du Mali est éminent. Ses notables ont préféré rattacher leur territoire à la jeune République du Mali plutôt que de dépendre du giron nigérien. Le statut de Tombouctou et de Gao, à la veille de l’indépendance du Mali, était un enjeu majeur. Gao fidèle à sa devise a répondu sans ambages à l’appel du Mali. Ainsi à l’indépendance du Mali, Gao était la région la plus vaste incluant toutes les régions septentrionales actuelles (Tombouctou, Kidal, Taoudenit et Ménaka). Sous le régime de Modibo Keïta, Gao jouissait de tous les égards à cause du patriotisme de ses citoyens. Il en résulte la réalisation de nombreuses infrastructures dont l’abattoir frigorifique. Sous le régime du Général Moussa Traoré, Gao a commencé son odyssée. Car cette ville est suspecte de rébellion et d’un possible renversement de Général Moussa Traoré (GMT) par un ressortissant de cette contrée. Aussi les visites officielles de GMT à Gao et dans ses cercles étaient-elles toujours l’occasion d’étaler les muscles de l’armée, les armes les plus redoutables. Sous les autres régimes bien que Gao continue à jouer son rôle historique en luttant efficacement contre la rébellion de 90 à travers le Gandakoye (1992), Gao est toujours craint des autorités démocratiques. Le discours de feu IBK en1994 à l’Assemblée régionale a irrité les élus régionaux. Il déclarait ouvertement que le gouvernement de Alpha Oumar Konaré n’intégrera pas tout “jeune koroboro venant du Ghana“. La réplique a été à la hauteur de la teneur de son discours. Son statut de beau-frère de la région a été écorché. Conséquence du discours, plusieurs rebelles touaregs ont été intégrés dans l’armée malienne avec des grades de leur choix et les éléments du Gandakoye écartés. Une véritable frustration pour les jeunes résistants du Gandakoye qui rêvaient de faire carrière dans l’armée après avoir défendu leur terroir et aidé les Forces armées maliennes (FAMa). Sous le régime d’ATT, la région a eu l’un de ses plus beaux cadeaux, c’est-à-dire le pont de Wabaria et la route bitumée menant vers la frontière du Niger. Même sous Amadou Toumani Touré Amadou Toumani Touré (ATT), la région de Gao défraie la chronique à cause d’Air Cocaïne, des cellules terroristes actives, des prises d’otages et autres crimes. De l’avènement de la transition sous Amadou Haya Sanogo et Pr Dioncounda, Gao est vidé de toute autorité malienne. Les drapeaux du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Ansar Dîne et Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) sont devenus les seuls décoratifs visibles des lieux. Mais ils n’ont jamais pu conquérir l’âme des populations restées sur place très attachées à la République du Mali. Les jeunes patrouilleurs, patriotes et Nous pas bouger, les leaders traditionnels, les imams, les journalistes de la presse libre, ont continué à scander le Mali, brandir son drapeau au risque de leur vie. Malgré les assassinats ciblés du MNLA, les amputations et flagellations du MUJAO, les accusations de complicités des résidents avec les ennemis, Gao a démontré sa loyauté, sa fidélité au Mali.

Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) l’a reconnu après son élection à la présidence en 2013 rendant ainsi un vibrant hommage seulement par le discours à la jeunesse de Gao, à la résistance civile. Oui, Gao a été outragé, humilié. Mais Gao a résisté. La région entière à travers ses populations a fait échec au projet d’érection d’Etat laïc du MNLA et de la sharia raciste, noyau de l’état islamique du MUJAO. Si Gao et ses leaders avaient trahi le Mali, l’Azawad aurait vu le jour. Même au cœur des bombardements de Serval et des FAMa sur Gao en 2013, des jeunes téméraires déguisés en agents infiltrés, en taupe renseignaient l’armée sur les positions de l’ennemi en ville. Une fois leur ville libérée, les jeunes de Gao de concert avec Serval et le commandement des FAMa ont sensibilisé les citoyens à remettre leurs armes aux autorités maliennes et les dossiers divers de l’État récupérés çà et là. Ils ont préservé la mémoire de l’État, le trésor immatériel de la patrie, une autre preuve de leur dévouement à la nation. La jeunesse de Gao désarmée sera martyrisée par l’armée nationale de l’époque. Des jeunes manifestants désabusés ont été abattus en 2016. Pourtant en 2013/14 cette même jeunesse a joué un rôle décisif pour le retour des FAMA à Kidal toute chose à laquelle s’oppose Serval et plus tard MINUSMA. Gao a essuyé bien de larmes de sang après 2016. À titre d’illustration le MOC issu des arrangements sécuritaires entre le Mali et les insurgés de Kidal sous l’égide de la médiation algérienne, ont provoqué le chaos, accru l’insécurité de façon inouïe.

Le 18 janvier 2017, l’attentat contre le Mécanisme opérationnel de Coordination (MOC) a constitué un autre désastre, endeuillé toute la région et au-delà le Mali. Avant cette date fatidique, Gao a été régulièrement pilonné par des obus comme la Bande de Gaza sous les bombes d’Israël. Tout cela a suscité peu de réaction de la part de notre autorité dont les représentants s’empressent à prendre le premier avion pour rejoindre Bamako comme des expatriés. D’autres calamités se sont abattues sur la région: des incendies qui consument pâturage et bétail. Les photos de ce sinistre ont fait le tour des réseaux sociaux. L’origine est inconnue des autorités exécutives.

Encore, encore des malheurs. Enlèvement d’opérateurs économiques échangés contre des millions. Vol de bétail sous le nez et la barbe des autorités régionales plongées dans une indifférence névrotique. Recrudescence de l’insécurité dans la ville de Gao et sa banlieue, malgré les patrouilles nocturnes de l’armée.

Progressivement, la psychose s’installe plus amplifiée qu’en 2012 ou 2019. Après l’incident diplomatique récent entre l’Algérie et le Mali, les prix de carburant grimpent jusqu’à 2500 F CFA. Seul Gareka est resté solidaire des populations de Gao en gardant le prix normal. Réaction timide de l’autorité légale pour sévir contre les commerçants indélicats et terroristes. Gao a connu des flambées de denrées alimentaires, juste après l’attaque contre le bateau «Tombouctou» le 7 septembre 2023. Là aussi règne un silence radio des autorités. L’eau et l’électricité ont tellement manqué… Désastre! La couleur de l’eau de Gao mérite d’être inscrite dans le registre des records. Toutes les frontières terrestres, fluviales semblent se fermer. Gao est isolé comme frappé par un embargo à la cubaine. Toutes les issues de secours vers l’Algérie et le Niger obstruées. Celles-ci menant vers Sevaré bouchées comme un nez enrhumé, plein de morves attendant un liquide de physiodose pour être décongestionné.

Pourtant, la ville résiste, les habitants sont en vie, une véritable grâce divine. Ce tableau sombre connu de tous les dirigeants maliens est le cadeau de plusieurs fins d’années révolues, offert aux résidents. Doit- on conclure que nos autorités sont indifférentes aux préoccupations sécuritaires de la région de Gao, au bien-être de ses populations? Est-ce cet isolement résulterait d’erreurs humaines de gouvernance au plan régional ou une orchestration d’un échec spécifique à quelques fonctionnaires insouciants prenant en otage la nouvelle politique de “refondation du nouveau Mali” ou simplement tentant de remettre en cause la montée en puissance des FAMa qui fait débat après chaque attaque à Kobé distant de quelques kilomètres du camp Firhoun? Quelle est la responsabilité des autorités exécutives de la région dans l’entretien de cette indifférence assimilée par les résidents du mépris tout court? Les autorités nationales sont-elles mises au courant des situations d’urgence, en temps réel pour soulager les citoyens maliens de Gao? Quel regard objectif l’État porte-t-il sur le désastre de la région? ssÀ l’échelle de la région, les responsabilités sont-elles évaluées pour surmonter les blocages? Quel poids réel représente Gao dans le retour d’une paix véritable au Mali et dans le dispositif opérationnel des Forces armées maliennes (FAMa) comparée à Kidal, Ber ou une autre contrée du Mali? De l’avis de nombreux résidents de Gao et de communautés réfugiées, Gao est oublié des gouvernants. Tout leur effort est tourné vers la libération de Kidal. L’amour de notre État, caricaturent certains résidents de Gao, est paradoxalement offert avec profusion aux rebelles qui renient l’autorité légale. Il est notoirement refusé aux citoyens pacifiques, loyaux qui répondent sans sommation à l’appel du Mali.

Aussi suggèrent-ils à nos gouvernants actuels d’éviter de reproduire les erreurs du passé, d’éviter de dorloter les renégats en poussant les patriotes à la détresse. La situation sécuritaire délétère régnant à Gao doit interpeller d’abord les autorités régionales. L’État doit rester en alerte pour assurer à chaque portion de son territoire les privilèges dont les populations ont besoin pour vivre, travailler et se mouvoir, etc. Au regard de la position très stratégique de la région (frontières Mali-Niger-Burkina Faso), le résident de Gao comprend mal la passivité de l’État, l’indifférence des autorités régionales face à l’insécurité amplifiée sur l’axe routier Gao-Ansongo. L’armée doit mener des patrouilles régulières sur ce tronçon, observer avec ses drônes toute l’activité terroriste qui se joue souvent juste derrière le camp Firhoun ou le long du fleuve, dernier refuge des populations. La population a manifesté son raz-le-bol à travers des marches “ir hortou“, “ir faara“, “ir nadji“, etc. Il en résulte toujours un mur de silence. L’État doit écouter et comprendre le désarroi des populations. Après la visite du Premier ministre, Dr Choguel Kokalla Maïga à Gao en 2023, il est fort souhaitable que le président l’emboîte le pas en 2024 pour fêter la reconquête du territoire national dont le couronnement a été le 14 novembre 2023 l’entrée des FAMa à Kidal. Il entendra de vive voix les doléances des résidents, recevra les bénédictions des doctes et imams comme à Nioro du Sahel, rassurera les désespérés qui doutent de leur nationalité malienne. Bref, il actualisera son regard sur l’étendue des défis à surmonter. Il fera de l’immersion tout court. C’est le souhait exprimé depuis 2021 lors d’enquêtes que nous avons effectuées dans vingt et une (21) localités de Gao/Tombouctou (de Ouatagouna a Soumpi) avec une compatriote résidant en France dans un document intitulé: ‘‘Arbres à palabres. Quand les femmes prennent la parole pour prévenir et résoudre les conflits”.

Récemment, le 26 novembre 2023, lors du Forum Universitaire de Bamako, tenu au Mémorial Modibo Keïta, nous avons présenté un thème similaire sur les causes de la rébellion de la jeunesse touarègue. Cette communication est intitulée: “Entre acte de rébellion, de mercenariat et engagement politique. Que disent les récits des jeunes en armes?’’ Dans ce document, les jeunes expriment leurs avis sur les causes des rebellions touarègues. Il vient en complément de l’opinion des femmes de Gao/Tombouctou. Le contexte est certes différent mais les propos des jeunes en armes méritent de la réflexion surtout de l’anticipation de la part de nos autorités régionale et nationale. Les autorités de la transition auront beaucoup à gagner en faisant de Gao un indicateur fiable d’évaluation de la stabilisation de l’arrière- pays. Si Gao qui regorge de tant de ressources, phosphate (Bourem), manganèse (Tassiga), étain, l’or (N’Tillit), de l’eau (projets de barrage à Tosssaye, Labbezanga), n’est pas sécurisé totalement, Kidal, Ménaka, Douentza, jusqu’à Léré vont sauter. Gao est un maillon essentiel de la sécurité nationale. Les Français, les Algériens, les Marocains, les Mauritaniens, les Russes le savent. Cette ville est située sur un méridien vital qui permet de contrôler la Méditerranée jusqu’à Londres (examiner bien le vrai sens de Gao en Songhay). Nous devons rappeler humblement nos autorités à leur devoir de porter assistance aux populations vulnérables de la région de Gao en extrême danger. Qu’Allah inspire nos princes à être vertueux et servir humblement leur peuple.

Alhassane GAOUKOYE, Enseignant chercheur à l’ULSHB, Kabala.
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