Dans foulée des interrogations qui fusent de partout sur les allures répressives de la justice sous la Transition, le Garde des Sceaux est monté au créneau en personne pour tenter d’apporter des éclairages. Mahamoudou Kassogué s’y est pris par une apparition sur un plateau de l’Ortm où il a abordé avec les confrères une kyrielle de sujets brûlants parmi lesquels les tendances actuelles de la lutte contre la corruption.
Le passage du ministre à l’émission «Mali Kura Taasira» a essentiellement porté sur les réorganisations de l’appareil judiciaire ainsi que sur les actions menées dans le cadre de son redressement après une longue période d’errements imputables à l’instabilité au sommet du département, selon ses dires.
La perte de confiance des justiciables dans la justice serait justement corollaire à cette inconstance, soutient l’illustre invité de la chaîne nationale, qui s’est par ailleurs longuement employé à mettre en exergue ses propres empreintes à la tête de la justice. Opérationnalisation du parquet dédié à la cybercriminalité, redynamisation de l’inspection judiciaire figurent au nombre des actions que Monssieur Kassogué revendique et brandit comme une gloriole en même temps que l’avènement d’une cellule de communication et d’une direction nationale des Droits de l’Homme exhibée comme un démenti aux présomptions de violation dans ce domaine.
L’offensive médiatique du Garde des Sceaux passe soigneusement sous silence des questions brûlantes comme l’indépendance de la justice sous la Transition ou encore les appréhensions de l’opinion sur une saine distribution de la justice entre autres sujets qui fâchent. Elle consacre en revanche un grand effort de persuasion aux orientations répressives du mécanisme anti-corruption. Sur la question, l’ancien Procureur du Pôle économique et financier a plutôt fait étalage de son option sans ambages pour une doctrine antinomique des principes sacro-saints de préservation des droits de l’individu en la matière. Il ressort de ses démonstrations et explications, en tout cas, une remise en cause à peine voilée de certaines vertus démocratiques naguère perçues comme des acquis définitifs. En clair, l’élan iconoclaste insufflé à la lutte contre la corruption n’est ni plus ni moins qu’une prépondérance de la présomption de culpabilité sur la présomption d’innocence. Et pour cause : la tendance ne se traduit pas seulement par une abolition de fait de la liberté comme exception. En plus de restaurer à la détention ses privilèges peu glorieux qu’on croyait révolus, le nouveau système répressif de la corruption est présenté par le ministre de la Justice sous les traits d’une chasse exclusive à une catégorie de nantis triés sur le volet. La stigmatisation est ainsi poussée à un point tel que la lutte contre la croisade donne l’air de se ravaler à un simple filon économique pour les autorités. Alors que d’autres manifestations perverses du phénomène sont porteuses d’énormes dégâts et de frustrations sociales inestimables, le premier responsable de la Justice n’a le regard rivé que sur l’opportunité de renflouer les caisses de l’Etat en faisant rendre gorge à d’éventuels responsables pris en défaut de mal gestion des affaires publiques. Pour ce faire, Mamoudou Kassogué se délecte de l’avènement, sous son magistère, de «l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués» chargés de remettre l’Etat dans ses droits. Cette structure atypique, à en croire ses explications, vise à décourager les tentations d’enrichissement illicite par l’expropriation et découle d’une autre révolution de la loi pénale autorisant la justice à mettre la main sur les biens des prévenus dès le déclenchement d’une procédure. Sauf que cette réforme corrobore la même tendance rétrograde et liberticide que la prépondérance de la présomption de culpabilité et le mépris de certains droits élémentaires. La saisie conservatoire des biens d’un prévenu étant privative de tout moyen d’une défense adéquate, la probabilité est forte qu’un justiciable devienne une proie facile pour une justice avide d’accaparement pour le compte du trésor public et par voie de conséquence plus encline à culpabiliser qu’à disculper.
A.KEÏTA
Source : Le Témoin