Rappelez-vous les jugements à «l’emporte-pièce» du colonisateur sur l’indigène colonisé : tous des menteurs ! L’occidental va droit au but, il ne s’encombre pas de fioritures pour dire ce qu’il doit dire. En arrivant en Afrique, ces occidentaux rencontrent des africains doublement marqués : a) la suprématie du «Blanc» (technologique, scientifique, militaire, intellectuelle, etc.) sur le «Noir» est indéniable. Et cette suprématie fait courber l’échine, elle fait baisser les yeux au vaincu, elle dévalorise le vaincu, etc. Le corollaire de cette situation pour l’africain sera la négociation et l’évitement pour survivre.
En empruntant cette voie tortueuse du «béni-oui-oui» qui redresse l’échine lorsque le «Commandant» a le dos tourné, sera taxée d’hypocrisie et de mensonge. Or l’’indigène est en train de négocier sa survie dans une ambiance de prédation arbitraire ! Ce comportement face au pouvoir, le nègre le garde encore aujourd’hui, louvoyant entre docilité et révolte ; b) un héritage médiéval lourd à porter. En effet, malgré les incantations des culturalistes sur la grandeur des royaumes médiévaux du Soudan Occidental, les certitudes ne résistent pas à l’analyse.
En amont et en aval des «royaumes/ maisons de guerres» (Mahir Saul : 2003), la conception du pouvoir et des rapports dominants/dominés reste une question disputée. On navigue entre prédation pure et dure de roitelets «gaspilleurs» et ce que Abou Traoré dit Diop nomme le «complexe de Kankou Moussa» (Abou Traoré dit Diop : 2011). Ce désir morbide de paraître qui a transformé pendant des décennies l’Ouest africain en un vaste champ de batailles improductives et de ruines.
Entre gérontocratie et aristocratie, les masses populaires sont confrontées à un pouvoir fort qui ponctionne sans reverser en services et infrastructures. Une caste de griots «laudateurs» est toujours là pour dire que les princes ont tout bon et que leur pouvoir quasiment divin ne peut être contesté par un mortel ! Comme nous l’avons dit par ailleurs, cette «médiévalisation» de la conception du pouvoir a été véhiculée jusqu’à nous aujourd’hui, s’illustrant dans la toute-puissance des gouvernants, les dépenses somptuaires et improductives et la «crédoïsation» des positions du prince du jour (Joseph Tanden Diarra : 2007).
Hier comme aujourd’hui en nos contrées, le prince ne ment pas, il ne se trompe pas, il ne trompe pas, sa parole et son avis sont «sacralisés» par cette peur panique et les «griotismes» hérités des mondes médiévaux soudanais et de l’humiliation coloniale.
La lente dégringolade d’un pays ?
C’est dans une liesse extraordinaire que les Soudanais ont accueilli leur indépendance en 1960. L’éphémère Fédération du Mali qui n’a pas pu résister aux appétits de «jeunes premiers» des Pères de l’indépendance est rapidement un mauvais souvenir. Malgré les errements que connaîtra cette Première République de Modibo Keita et ses camarades, il faut avouer qu’ils ont fait rêver les maliens : un rêve d’égalité et de justice, un rêve d’équité de travail et d’indépendance, la vraie. Ce sont les méthodes et les instruments idéologiques pour réaliser ce rêve qui poseront problème aux maliens.
Le 19 novembre 1968, des militaires à travers le CMNL (Comité Militaire de Libération Nationale) s’emparent du pouvoir. Deuxième moment de liesse pour un peuple malien transi d’espérance, mais l’euphorie sera de courte durée ! Ces militaires vont vivre le pouvoir comme un enfant orphelin qui reçoit «un nouveau jouet». Les maliens déchanteront rapidement entre les «vrais-faux complots» et les déportations dans les bagnes du Nord. Et malgré les tentatives de troquer l’uniforme contre le «boubou blanc» avec l’écriture d’une constitution conçue sur mesure pour le Général Président, le pays s’enfoncera dans la misère et la médiocrité en gouvernance. N’est pas le Général de Gaulle, qui veut !
26 mars 1991, le peuple malien, mûri dans la souffrance, les privations et la «mal gouvernance» manifeste un ras-le-bol général qui aboutit à ce que nous savons : ATT achève ce que le peuple avait si bien commencé dans les jours enfiévrés de mars 1991. Le Président François Mitterrand et le discours de la Baule vont accoucher d’un «démocrate» comme les occidentaux les aiment (incolore, inodore et sans saveur) ! Cette fois-ci les militaires n’auront plus la latitude de faire comme leurs prédécesseurs (le peuple est jaloux de sa victoire à mains nues sur la dictature). Nous sommes dans l’ère des Conférences Nationales en Afrique et le Mali n’y coupera pas. Le «démocrate ATT» se replie (à contre cœur ? Je ne sais pas) sur ses Fondations et ses démarches de bons offices pour la paix sous d’autres cieux, attendant son heure !
La troisième République est inaugurée par Alpha Oumar Konaré candidat de l’ADEMA (Parti de masse et des enseignants, pourrait-on dire). Les maliens se disent que désormais le pays est sur les rails, tout va bien, on chante ATT sur tous les tons, ce «militaire qui a laissé volontairement le pouvoir aux civils, c’est si rare en Afrique !» C’est pourtant sous cette présidence ADEMA (1992-2002) que les choses vont commencer sérieusement à gâter, en ce qui concerne notre rapport à la démocratie en tout cas ! Un hiatus béant entre l’idéal démocratique et ce qui se vit sur le terrain va s’étaler aux yeux de tous.
Les historiens et analystes devraient pouvoir décrypter ces dix années où un certain nombre de pratiques «déviantes» vont commencer à miner la «jeune démocratie à la malienne» (népotisme, corruption à grande échelle, détournements de fonds publics, traficotages en tous genres, etc.). La seule circonstance atténuante qu’on peut reconnaître à cette «présidence bâclée» est la jeunesse des institutions, l’ampleur démesurée de la demande sociale après plus de vingt ans de privations, les perturbations liées aux impatiences d’un peuple aux appétits inassouvis, etc.
Mais, tout cela n’explique pas la béance qui va se créer entre les élites au pouvoir et le gros du peuple ! Pendant ce temps, au-dedans comme au dehors on commence à chanter les éloges d’une démocratisation réussie en Afrique de l’Ouest ! Nous reviendrons plus loin sur cette propension du Nègre à se contenter du «médiocre» et cette condescendance du «Blanc» à le (le Nègre) louer pour sa médiocrité !
En 2002, on se rend compte que dix ans d’exercice du pouvoir ont eu raison de la cohésion de l’ADEMA. Le parti est passablement en lambeaux, les dissidences et fêlures ont été nombreuses, raison pour laquelle, certains analystes (à tort ou à raison) verront dans l’alternance de 2002 une trahison de la «maison ADEMA» par Alpha Oumar Konaré. L’écriture de l’histoire politique de la troisième République nous en fera l’exégèse un jour.
En revenant aux affaires en 2002, le Général a désormais troqué son uniforme contre la tenue civile. Auréolé du prestige d’une transition «passablement réussie», d’une stature de «réconciliateur» et dans une ambiance où les maliens sont déjà «dégoûtés des hommes politiques», le retour est lu par les maliens comme un rejet de la classe politique dans son ensemble.
En effet, la démocratie ne se décrète pas comme l’Occident voudrait le faire croire ! Dès l’entame de ce premier mandat, le ton est donné par un premier gouvernement pléthorique : «Tous à la soupe !» Dès lors, le ton est donné, les pratiques d’hier sont reconduites sans vergogne. La courtisanerie entre dans la danse, que ce soit celle d’ici ou celle des pays occidentaux, tous nous «chantons l’exemplaire démocratie malienne», un exemple pour la sous-région ! Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Le second mandat du Général-Président est obtenu «à l’arraché», on ne change pas une équipe qui gagne, n’est-ce pas ? Malgré un taux de participation «aux talons» (spécialement dans les villes et du côté des intellectuels), la fuite en avant est engagée, secondée, qu’elle est par de grands chantiers (routes, logements sociaux, barrages, ponts et autres). Le Général- Président voudrait bien faire, mais en a-t-il les moyens et la latitude ? Un concept nouveau est né : le consensus- Une politique du consensus- Un gouvernement de consensus, etc.
Sur les plateaux de télévision, on nous ressasse ce nouveau concept «tard venu» pour illustrer «l’invention politique» en Afrique. Les maliens, plus spécialement, les politiques, opportunistes à l’excès, s’en donnent à cœur-joie ! Sinon, comment comprendre que le Parti de masse (et d’autres) dont nous avons parlé tantôt aient pu se rabaisser à cette «manipulation politicienne» ? Aux côtés des inconditionnels du système, inamovibles et rivés aux postes les plus juteux, gravitent tous les autres, ça va, ça vient, suivant les humeurs du «prince».
Dans une ambiance lourde de «ressentiment avalé» les maliens assistent à la «mise à mort de la politique» et au partage du «gâteau national». Bien sûr quelques voix s’élèvent pour tirer la sonnette d’alarme, des voix d’ici (il faut le reconnaître : Des journalistes, Les auteurs (Le Sphinx) d’ATT- cratie, Harmattan 2006, ce brulot qui n’a pas été suffisamment lu, l’ADJ du Dr. Diop, le trublion de notre politique, malgré ce qu’il est, etc.) et de maliens de l’extérieur (Dr. Dialla Konaté par exemple et bien d’autres), mais dans une ambiance où la réflexion intellectuelle s’arrête aux montages des coups pendables, ces voix ne seront pas entendues.
Assistants impuissants à ce «dépeçage» en règle du pays, tous les maliens vont s’y mettre. C’est à celui qui pourra en tirer le maximum pour lui-même et ses dépendants ! Tous les coups sont permis. Pour masquer la «chose» et mettre un peu de «baume» sur les yeux des partenaires financiers, bilatéraux et autres (qui commencent à se demander si on est en démocratie ou en ploutocratie), on met en place des mécanismes (inopérants) de contrôle (Contrôleur Général, Vérificateur Général, Médiateur de la République, l’EID qui continue son petit bonhomme de chemin, etc.). Face à un homme désormais mu seulement par l’argent, que peut faire un mécanisme de contrôle rendu inopérant par le fait de son créateur ? Lors de son passage au Ghana, le Président Obama disait en substance que l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts mais plutôt d’institutions fortes.