Mésestimée par une bonne partie du corps médical, méconnue du citoyen lambda, ignorée des médias, l’hémophilie est source de souffrances et de stigmatisation pour ceux qui en sont atteints.
“Mon fils a été exclus de l’école qu’il fréquentait. Il est atteint d’hémophilie et ses camarades de classe ne voulaient pas qu’il s’approche d’eux, pensant que sa maladie est contagieuse”. Lors de son témoignage, les larmes ont coulé spontanément des yeux de Maïmouna Dembélé, venue récupérer le facteur 8 nécessaire au traitement de son enfant.
Le garçon, âgé de onze ans, était en classe de 5e année. Il disputait un match de football lorsqu’il s’est blessé après une chute. Comme sa plaie saignait de manière abondante et continue, il fut amené à l’hôpital. Une injection qui était supposée arrêter l’hémorragie ne fit qu’empirer les choses.
Fort heureusement parmi les soignants se trouvait un médecin expérimenté, qui ordonna que le garçon soit transféré avec une note médicale au professeur Yacouba Lazard Diallo, hématologue à l’Hôpital du Mali, afin que soit faite la prise en charge adéquate.
Maïmouna et son fils ont été directement transférés à l’Hôpital du Mali. Entre-temps, une semaine s’était écoulée et l’enfant avait perdu beaucoup de sang. Après des injections du facteur de coagulation l’état du patient s’est amélioré.
Chaque fois que son enfant tombe malade, Maïmouna le conduit désormais à l’Hôpital du Mali. Mais elle ne le cache pas : avant de comprendre ce qui arrivait à son fils, elle avait fait le tour de tous les tradithérapeutes et de tous les charlatans qu’on lui recommandait. Bref, elle était allée partout où elle espérait trouver une solution pour son enfant.
D’autres témoignages le confirment : l’hémophilie est très mal méconnue dans notre société. A défaut de comprendre et de savoir expliquer ce qu’est la coagulopathie, on se fie à des stéréotypes qui classent le mal au même niveau que les autres maladies hémorragiques.
On se trouve donc dans une situation de très faible communication sur l’hémophilie. Ceux qui doivent sensibiliser et porter la voix des malades ne sont pas eux-mêmes suffisamment informés. Tous les journalistes interrogés par nous sur leur degré de connaissance admettent n’avoir jamais entendu parler de cette maladie génétique. C’est pour remédier à cet état de fait qu’est lancé le concours Hémofiliko. Celui-ci sera l’occasion de mettre la lumière sur l’hémophilie et de récompenser les meilleures productions journalistiques.
Cela est d’autant plus nécessaire que lorsque le bon message manque, les préjugés prennent le relais. Beaucoup présentent l’hémophilie comme un effet de la sorcellerie, l’œuvre d’un esprit maléfique. On ne manque pas de mettre une fois de plus les femmes sur le banc des accusés. “Cela ne peut être dû qu’au fait que la femme a couché avec son mari pendant ses menstrues. Donc, son enfant paiera le prix de cette indécence”, entend-on dire.
Le poids des préjugés négatifs est aujourd’hui très fort, ainsi que nous le détaille Malado Coulibaly. Les connaissances de notre interlocutrice sont sommaires. “Je sais que l’hémophilie est une maladie du sang et pas plus, nous dit-elle, et cette petite information, je l’ai acquise auprès de ma belle-sœur, car la fille de celle-ci en souffre. Avant que la mère ne sache la vérité, elle avait été convaincue par un marabout que quelqu’un avait par jalousie a ensorcelé l’enfant, car cette dernière avait un avenir prometteur”.
Il est important de souligner que le manque d’information contribue à augmenter les complications. Selon les recherches effectuées, quand un hémophile ne suit pas de traitement, son espérance de vie est de moins de 18 ans. Le non traitement empêche certains petits de profiter de l’insouciance de l’enfance. Ils doivent éviter constamment de se blesser et se dispenser de nombreuses activités physiques. Il n’existe que trois centres assurant la prise en charge des hémophiles au Mali : l’hôpital de Sévaré, le CHU Gabriel Touré et l’Hôpital du Mali. C’est pourquoi le personnel soignant qui s’occupe des patients se montre tout particulièrement méticuleux.
Kankou Camara, l’infirmière chargée des hémophiles à l’Hôpital du Mali, souligne que tout n’est pas simple avec les malades. “Nous sommes tellement soucieux de leur état. Beaucoup n’ont aucune idée de la gravité de leur maladie. Nous leur passons toujours un coup de fil à l’approche de leur rendez-vous”. Malgré cette implication du personnel soignant, certains hémophiles négligent leur rendez-vous dès qu’ils vont mieux.
Il existe deux types d’injections pour les hémophiles. La première se fait en cas de blessure. L’autre est sous-cutanée, se fait tous les 28 jours et ne concerne que les patients atteints de l’hémophilie sévère (A).
Il faut noter que notre pays bénéficie du programme Emicizumab (Hemlibra) qui ne prend en charge que les hémophiles (A) sévères et opère uniquement à l’hôpital du Mali. Les patients recensés reçoivent leur injection sous cutanée lors d’un rendez-vous programmé.
Oumou Fofana
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L’HEMOPHILIE EN QUESTION
Un mal à ne pas négliger
Face à cette pathologie mal connue, la côte d’alerte est atteinte. Mais la prise en charge du traitement est encore insuffisante.
Les spécialistes prennent la précaution de vous prévenir quand vous abordez le sujet : contrairement à ce que beaucoup pourraient croire, l’hémophilie n’est pas une maladie nouvelle, mais un mal longtemps méconnu et sur les méfaits duquel il est indispensable de tirer la sonnette d’alarme.
Selon les estimations de la Fédération mondiale de l’hémophilie (FMH) sur les 22 millions de Maliens, 3800 sont des hémophiles. En dépit de sa relative modeste dimension, le chiffre est doublement inquiétant. D’abord parce qu’il traduit une progression continue l’Association malienne de lutte contre et les autres maladies coagulations (Amalhec) créée en 2012 avec 20 malades contre 250 aujourd’hui. Ensuite comme toute pathologie mal diagnostiquée ou prise en charge tardivement, l’hémophilie, qui est une maladie du sang à l’instar de la drépanocytose, peut générer de très graves conséquences.
Ces mises en garde sont inlassablement et avec force assenées par le professeur Yacouba Lazard Diallo. Hématologue à l’Hôpital du Mali, il est également chargé des hémophiles appuyés par le programme Emicizumab (Hemlibra) financé par la FMH et qui n’inclut que l’hémophilie sévère (A).
Tous les 28 jours, les hémophiles sévères doivent respecter leur rendez-vous pour l’injection du facteur. “L’hémophilie a toujours existé dans notre pays, insiste notre interlocuteur, elle était juste ignorée. Aujourd’hui encore, la méconnaissance qui l’entoure – même au sein des milieux professionnels – complique sa prise en charge. Pourtant, au vu du nombre des patients qui en sont atteints, le mal n’est pas à négliger. Maintenant, nous essayons de faire connaitre la maladie et de briser les clichés associés à elle. Nous demandons aux autorités de nous aider de soulager nos patients à notre tour”.
Le défi à relever pour les spécialistes est de taille. En effet, l’hémophilie fait partie des maladies rares comme la myopathie et cette rareté rend encore plus complexe sa prise en charge. Le mal est dû à un problème de coagulation du sang et nul n’en est a priori épargné, même si on constate au niveau des patients une prédominance du sexe masculin. Le mal comporte trois types qui sont l’hémophilie A, l’hémophilie Bet l’hémophilie acquise. Tous sont dus à un déficit en facteur de coagulations. Dans le sang il existe des substances présentes appelés facteurs de coagulations, ils concourent à l’arrêt des saignements en cas de blessures.
Les signes avant-coureurs de l’affection sont donnés par la survenue dès la naissance de saignements visibles ou invisibles. Les premiers sont évidents à relever. Ils peuvent provenir d’une blessure bénigne d’apparence, mais pour laquelle on constate une perte de sang très importante et persistante sur la durée. Ces phénomènes se constatent aussi dans des situations très variées comme la chute des dents de lait, la circoncision et la survenue de règles trop abondantes et qui s’étalent sur une longue durée.
Il existe par ailleurs, selon le Pr. Diallo, des saignements non extériorisés dont il est possible de déceler la présence sur la peau sous la forme d’hématomes ou d’ecchymoses. Quand ces phénomènes sont fréquents, il faut les interpréter comme des signes de l’hémophilie. Un diagnostic plus poussé permet alors de distinguer à quel type d’hémophilie rattachés les patients : ceux du type A pour le déficit en facteur 8 sont traités en cas de blessure graves ou pas par une injection des médicaments contenants le facteur 8. Et ceux du type B pour les déficitaires en facteur 9 en cas de blessure comme l’hémophilie A doivent faire une injection des médicaments cette fois ci contenant le facteur 9.
Quant à la troisième forme de la maladie qu’on appelle l’hémophilie acquise congénitale, elle est immunologique et due au développement d’anticorps qui identifient les facteurs 8et 9 comme des corps étrangers qu’il faut combattre. “Tout le monde est exposé à cette dernière forme”, insiste le Pr. Diallo. La Fédération mondiale des hémophiles a pour mission de faciliter la prise en charge des hémophiles en les dotant de concentré de facteur dont la prise permet la coagulation du sang. Les causes de la maladie sont essentiellement génétiques. Seulement 30 % des cas traités sont provoqués par une mutation spontanée du chromosome X mais les 70 % restant sont transmis par un parent à sa descendance. Sans oublier que la forme acquise, qui, même si elle est rare, peut survenir chez n’importe qui.
Comme les traitements de toutes les maladies chroniques, celui de l’hémophilie s’administre à vie. Cependant la bonne nouvelle est qu’il est possible de stabiliser les effets du mal. En effet, à la différence des autres maladies chroniques, l’hémophilie donne lieu relativement peu de complications. Lorsque la maladie est diagnostiquée à un stade précoce et que le traitement aussitôt appliqué, le patient peut mener une existence presque normale. Mais l’hémophilie peut aussi engendrer des situations pénibles à gérer. “La mort précoce est la première complication chez les enfants, nous fait savoir l’hématologue, Le drame subi doit donc éveiller la vigilance des familles sur une possibilité d’hémophilie en leur sein”.
Pour les adultes atteints, la situation la plus difficile à supporter vient des conséquences des saignements dans les articulations. Ce qui survient dans les 70 à 80 % des cas. Ces saignements dans les articulations entraîneront une raideur de ces dernières. Cette complication majeure fait donc du malade un handicapé moteur. Mais le taux de mortalité est très faible.
Aujourd’hui le défi principal de la prise en charge de cette pathologie est la mise en place d’un cadre de travail. Sur ce point notre interlocuteur laisse percer une pointe d’amertume. “L’accompagnement des autorités est un peu discret, explique-t-il, nous souhaitons plus d’engagements de leur part afin que nous soyons autonomes dans la prise en charge des hémophiles. Nous faisons ce que nous pouvons pour qu’il y ait des traitements plus efficaces à l’avenir. Si nous sommes accompagnés, nous y parviendrons. Dans le cas contraire, il est possible que nous nous retirions sans avoir pu former notre relève. Et l’efficacité du traitement s’en ressentira”.
Malgré les difficultés que les spécialistes rencontrent dans la prise en charge de la pathologie, des avancées notables ont été obtenues. Lorsque se mettait en place l’Association des hémophiles, il n’y avait pas dans notre pays une disponibilité en concentrés de facteur que l’on utilise dans le traitement. Aujourd’hui cette lacune est surmontée Autre avancée notable, le diagnostic des malades peut désormais se faire ici, sur place. Cela vaut aussi bien pour le diagnostic initial que pour celui des complications.
Troisième acquis de taille, même la recherche des inhibiteurs anti-hémophilique qui est une des complications rares du traite
ment. C’est le fait que l’organisme développe des anticorps dirigés contre les facteurs hémophiliques. Il est à ce jour possible dans notre pays. Mais pour le moment, le coût du traitement de l’hémophilie n’est pas à la portée d’un Malien lambda. Un seul flacon de 1500 unités de concentré de facteur coûte au minimum 500 000 F CFA. Cependant grâce aux dons de la Fédération, le traitement est gratuit pour les malades, qui prennent en charge toutefois les bilans pour le diagnostic varie entre 30 000 et 75 000 F CFA.