“Toutes les voix doivent être écoutées et tous les avis doivent pouvoir s’exprimer. Il s’agit donc, comme le dit l’expression populaire, de laver le linge sale en famille. ” En français facile, cette phrase est aussi limpide et claire comme l’eau de roche, surtout qu’elle émane de la plus haute autorité du pays, le président de la Transition, chef de l’Etat, colonel Assimi Goïta. C’était lors de l’installation des membres du Comité de pilotage du dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale. En les mettant en route, Assimi demande aux “missionnaires ” de créer les conditions d’un dialogue franc et sincère entre les Maliens de manière inclusive, afin que nul ne se sente exclu. Dès lors, une des missions du Comité s’apparente à une portion de Vérité, Justice et Réconciliation. Alors, viennent sur le tapis le cas des exilés et détenus et sa nécessaire implication dans ce processus de dialogue inter-Maliens ainsi enclenché. Tièman Hubert Coulibaly, Oumar Mariko, Boubou Cissé, Karim Kéïta, Issiaka Sidibé, Mamadou Diarrassouba, Lamine Seydou Traoré, Mme Bouaré Fily Sissoko, Youssouf Bathily, Bakary Togola, Mama Lah, Mamadou Igor Diarra, Babaly Ba, Youssouf Mohamed Bathily dit Ras Bath, Adama Diarra dit Ben Le cerveau etc. sont autant de compatriotes qui drainent foules mais dont les libertés sont restreintes pour des raisons d’Etat diverses. Le dialogue inter-Maliens doit leur tendre la main !
Le dialogue se définit dans le Larousse français comme une “conversation entre deux ou plusieurs personnes sur un sujet défini…”. Dans le contexte malien, où il est inter-citoyens, le sujet est d’autant plus précis qu’il s’agit, comme but, d’aboutir à la paix et à la réconciliation nationale. Alors, toutes les concessions, tous les compromis et toutes les compromissions sont possibles et même recommandés.
Pourquoi un dialogue inter-Maliens ?
Le Comité de pilotage du dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale a été créé par le décret n°2024-0053/PT-RM du 26 janvier 2024 ; il comprend 140 membres issus de toutes les couches socioprofessionnelles de la Nation ; est présidé par l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga ; et est chargé de la préparation et de l’organisation du dialogue inter-Maliens prôné par le président de la Transition, Assimi Goïta qui a installé officiellement ses membres dans leur fonction, le lundi 5 février 2024, à Koulouba. Le Comité a lui-même lancé ses activités le mardi 20 février dernier, à la Maison de la presse de Bamako, marquant du coup le début d’un processus destiné à aboutir à la paix des cœurs et au retour de la grande fraternité légendaire entre l’ensemble des filles et fils du Mali.
La constante dans l’histoire politique du Mali, c’est que toutes les initiatives de dialogue ont échoué de l’Indépendance, en 1960, à nos jours pour la simple raison que les médiateurs des différentes crises maliennes ont toujours été des étrangers ou bien les médiations se déroulent hors du pays.
Parfois, ce sont les deux alternatives, à l’image de la dernière tentative, qu’est l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger de 2015, finalement dissout par le gouvernement. C’est pourquoi, face aux membres du Comité de pilotage qu’il a mis en mission, le colonel Assimi Goïta dira que nous avons tous les atouts pour réussir un dialogue direct entre les Maliens, et qu’à travers des valeurs sociétales et des formes de spiritualité, nos ancêtres ont instauré une culture de paix et de solidarité fondée sur des règles dont le respect était garanti par l’ensemble de la communauté.
Des outils ancestraux à revisiter
Au plan économique, Assimi rappellera que les communautés ont mis en place des systèmes d’échanges mutuellement bénéfiques entre les produits de l’agriculture, du pastoralisme, de la pêche et de l’artisanat créant de fait, un contexte économique harmonisé. Au plan sociologique, poursuit-il, nos ancêtres ont inventé des institutions et des relations sociales qui ont créé l’harmonie et la solidarité entre les personnes et les groupes dont le Sinankouya ou la parenté à plaisanterie qui est un véritable ciment social et qui crée des liens quasiment sacrés entre différents groupes ethniques.
“Même au plus fort de la crise multiforme qui traverse notre pays, pendant que les services de l’État s’étaient retirés de certaines localités, c’est le tissu social pétri de solidarité et d’humanisme qui a permis aux populations de se supporter pour mieux envisager l’avenir…C’est pour cette raison que les ennemis de notre peuple ont essayé de créer la mésentente entre nos populations pour les entraîner dans des conflits intra et intercommunautaires… C’est ainsi que plusieurs de nos communautés ont été endeuillées par des meurtres de femmes, d’enfants et de vieilles personnes. Nos Forces de défense et de sécurité, dans leur mission régalienne de protection du territoire, des personnes et des biens, ont également payé un lourd tribut. Cependant, grâce à la bravoure et au don de soi des Forces armées maliennes, notre État a recouvré son autorité sur l’ensemble du territoire, dont certains avaient voulu faire une enclave, en ayant pris le soin d’opposer les enfants du même pays”, avait rappelé le colonel Assimi Goïta.
Pour lui, cette unité retrouvée par notre peuple a été appréciée par l’ensemble de ses filles et fils, fiers de leur histoire commune et animés par un fort sentiment patriotique et la volonté ferme de recoudre le tissu social malheureusement fragilisé par les conflits inutiles. “Ainsi, nous avons décidé de créer les conditions d’un dialogue entre les filles et les fils de notre peuple, conduits par eux-mêmes, en vue de restaurer la paix, de consolider l’unité nationale et de raviver le vivre-ensemble”, avait affirmé le chef de l’État. Qui a insisté sur le fait qu’il nous faut…puiser dans notre histoire pour construire une mémoire collective…pour notre génération actuelle et future, afin que nous ne retombions plus jamais dans des situations de déchirures…Ceci exigera de nous un exercice d’autocritique et de vérité qui sera le véritable socle de la paix durable que nous recherchons tant.
En conclusion, le chef de l’Etat avait lancé la boutade de notre chapeau du jour, à savoir que “toutes les voix doivent être écoutées et tous les avis doivent pouvoir s’exprimer. Il s’agit…de laver le linge sale en famille.”
Les exilés…autour de la table ? OUI !
En attendant la feuille de route du Comité de pilotage du dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale, il est impératif que ses membres aient que “toutes les voix doivent être écoutées et tous les avis doivent pouvoir s’exprimer”, et “qu’il s’agit…de laver le linge sale en famille.”
Aujourd’hui, parmi ces voix, il y en a qui sont tues dans l’œuf pour des raisons d’Etat diverses. Ces voix devraient émaner d’exilés politiques et de droit commun et de détenus politiques et de droit commun.
Dans l’initiative présidentielle actuelle, il s’agira, via un dialogue entre Maliens, de faire de la compromission ou un effort de sacrifice hors du cadre légal pour aboutir à la paix et à la réconciliation nationale, gage de stabilité politique. Car, un régime démocratique n’existe, ou tout au moins ne peut exercer librement, que quand ces éléments sont réunis. Il se trouve aujourd’hui que le peuple malien a besoin de cette union sacrée afin que le Mali redevienne ce qu’il fut hier et ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Les autorités actuelles en ont encore plus besoin pour réussir la Transition ; une Transition qui, si elle échoue, le Mali pourrait plonger, voire disparaître du concert des nations en devenir.
Par contre, si elle est menée jusqu’au bout à la satisfaction générale, le Mali émergera. C’est dire que la balle est dans le camp des membres du Comité de pilotage du dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale et leur mandant, le colonel Assimi Goïta.
Qui sont-ils ? Où sont-ils ?
La compromission dont il s’agit pour les Chargés du Dialogue inter-Maliens, c’est de faire un pas pour le retour au bercail de tous les exilés politiques et pour la diligence des dossiers des prisonniers dont certains sont détenus depuis de deux ans et demi.
Du fait qu’à une exception près (Karim Kéïta, ancien président de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale et fils de l’ancien président de la République feu Ibrahim Boubacar Kéïta), leurs malheurs prennent source et effet à partir de l’arrivée à la tête de l’Etat du colonel Assimi Goïta (et la formation du Gouvernement Choguel Kokalla Maïga en juin 2021), le même Assimi, maîtres d’ouvrage du dialogue inter-Maliens, peut faciliter la prise en compte dans le processus de tous les dignitaires de l’ancien régime et autres personnalités qui ont des soucis, certes justifiés, et ne sont pas libres. Les plus connus sont les exilés politiques et économiques comme Oumar Mariko (président du parti Sadi), Tiéman Hubert Coulibaly (président du parti UDD et ex-ministre), Karim Kéïta (fils d’IBK, ancien député), Boubou Cissé (ancien Premier ministre et ex-ministre de l’Economie et des Finances), Mamadou Diarra dit Igor (homme politique et ancien ministre de l’Economie et des Finances), Babali Ba (ancien PDG de la Banque malienne de solidarité/BMS-SA), ainsi que les opérateurs économiques et hommes d’affaires Mohamed Kagnassi, Amadou Kouma, Nouhoum Kouma, Soumaïla Diaby et Mamadou Lamine Diakité.
Il y a une deuxième catégorie de martyrs dont il faudra tenir compte dans un tel vaste mouvement de regroupement et dialogue national : il s’agit des détenus politiques et des détenus de droit commun. Parmi ceux-là, il faut citer le très populaire mais controversé Youssouf Mohamed Bathily alias Ras Bath (leader du CDR), Moussa Diawara (ancien Directeur général de la Sécurité d’Etat), Adama Diarra dit Ben Le cerveau (patron de Yèrèwolo Debout sur les remparts) et Mme Bouaré Fily Sissoko (ancienne ministre de l’Economie et des Finances).
Les faits pour lesquels toutes ces personnalités sont inquiétées sont légaux et justifiés, selon la justice et ne sauraient être assimilés à une quelconque chasse aux sorcières parce qu’ils rentrent dans le cadre de la lutte contre la corruption et de la préservation de la sécurité intérieure du pays. D’ailleurs, dans une de nos précédentes parutions, nous faisions le rappel chronologique d’actes posés les concernant. Top chrono : Le lundi 5 juillet 2021, Karim Kéïta, ancien député élu en Commune II du district de Bamako et fils aîné de l’ancien président Ibrahim Boubacar Kéita, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international dans le cadre d’une enquête sur la disparition du journaliste le 29 janvier 2016. Il est réfugié en Côte d’Ivoire, à Assinie, à 90 km d’Abidjan.
Dans la même affaire, le jeudi 29 juillet 2021, Moussa Diawara, l’ex-chef des services de renseignements sous le président Ibrahim Boubacar Kéïta, a été arrêté et inculpé pour “complicité de séquestration et d’enlèvement”. Il est toujours écroué au Camp 1 de la gendarmerie de Bamako.
Le jeudi 26 août 2021, Mme Bouaré Fily Sissoko, ancienne ministre de l’Economie et des Finances, est placée sous mandat de dépôt par la chambre d’accusation de la Cour suprême. Elle est soupçonnée d’être impliquée dans les dossiers de l’achat de l’avion présidentiel et d’équipements militaires qui portent sur la disparition de plus de 153 milliards de F CFA et la dilapidation de plus de 20 milliards de F CFA dans l’achat de l’aéronef présidentiel et des équipements militaires.
Le 23 novembre 2018, à travers un avis, Mahamadou B. Diawara, ancien procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako avait classé sans suite l’affaire de vérification de conformité et de performance de l’acquisition d’un aéronef et de fourniture aux Forces armées maliennes.
Mais, le 25 août 2021, le procureur général de la Cour suprême, Mamoudou Timbo, a affirmé sur les antennes de la télévision nationale que l’enquête se poursuit. Inculpée pour malversation financière, selon la Chambre d’accusation, Mme Bouaré séjourne toujours à la prison pour femmes de Bollé, à Bamako.
Fin juillet 2022, le procureur général près la Cour suprême, Mamoudou Timbo, annonce avoir lancé depuis le 25 juillet un mandat d’arrêt international contre Boubou Cissé, ancien Premier ministre et ex-ministre de l’Economie et des Finances, Tiéman Hubert Coulibaly ex-ministre de la Défense nationale, Mamadou Diarra dit Igor, ancien ministre de l’Economie et des Finances et Babaly Bah ex-patron de la Banque malienne de solidarité (BMS-SA) : “Suite à l’ouverture par la chambre d’instruction de la Cour suprême du Mali d’une information judiciaire sur les faits qualifiés de crime de faux et usage de faux, d’atteinte aux biens publics et de complicité de ces infractions, faits liés à l’affaire du marché public dit Paramount, lequel marché public s’inscrit dans la mise en œuvre de la Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, un mandat d’arrêt international daté du 25 juillet 2022 a été lancé respectivement contre ces personnalités.”. Depuis décembre 2021 : Boubou Cissé est en fuite en Côte d’Ivoire, mais il serait actuellement au Niger. Il est accusé de vouloir déstabiliser la Transition.
Tièman Hubert Coulibaly est refugié actuellement en Côte d’Ivoire après avoir été soupçonné dans le cadre de la Loi d’orientation et de programmation militaire mais aussi d’idéologie politique subversive.
Le 2 avril 2022, à l’issue du débat sur le bilan du Mouvement démocratique organisé par le parti Adéma/PASJ où il a fait une intervention, Dr. Oumar Mariko, président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), entre en clandestinité avant de sortir du pays. Il réside en Côte d’Ivoire, selon certaines sources.
13 mars 2023 : l’activiste Ras Bath est placé sous mandat de dépôt dans la soirée. La veille, il avait publiquement déclaré que l’ancien Premier ministre feu Soumeylou Boubeye Maïga avait été assassiné. Il séjourne dans les geôles à Koulikoro pour “simulation d’infraction” et “atteinte au crédit de l’Etat “.
Mardi 05 septembre 2023 : Ben le Cerveau, de son vrai nom Adama Diarra, est écroué par le pôle judiciaire spécialisé de lutte contre la Cybercriminalité pour “atteinte au crédit de l’Etat”. Lui aussi gît à la prison de Koulikoro.
Mercredi 20 septembre 2023 : l’ex Maire du District de Bamako, Adama Sangaré est placé sous mandat de dépôt à la maison centrale d’arrêt (MCA) par le parquet du pôle économique et financier de Bamako. Il est poursuivi dans l’affaire de la “Zone aéroportuaire” à laquelle se greffe une autre, celle dite de Transrail.
Malgré la justesse des infractions, ces différentes personnalités méritent un clin d’œil de la part de l’initiateur et des exécutants du dialogue inter-Maliens, au nom de la Réconciliation nationale et du pardon. Cela comporte des avantages certains. L’un d’eux serait d’éviter les fissures entre des entités de l’administration et entre les Maliens lambda.
Un autre avantage serait de créer l’union sacrée entre tous les Maliens, d’asseoir l’unité nationale et, surtout, de pacifier le climat politique et social, avec Transition sanctionnée par des élections libres, transparentes, crédibles et apaisées. Des élections auxquelles doivent prendre part les Maliens de tous bords, de l’intérieur comme de l’extérieur et où nul citoyen ne devrait faire l’objet d’exclusion de quelle que nature que ce soit.
Ces personnes, contraintes à l’exil ou détenues politiques, drainent des millions de Maliens derrière elles. Et exclure ce beau monde du dialogue inter-Maliens serait préjudiciable, ou, tout au moins, porterait un coup dur, en l’avenir et au devenir du Mali. Que Dieu nous en garde ! La répétition étant pédagogique : “Toutes les voix doivent être écoutées et tous les avis doivent pouvoir s’exprimer. Il s’agit donc, comme le dit l’expression populaire, de laver le linge sale en famille”, Colonel Assimi Goïta, dixit.