La coalition des groupes armés du nord du Mali, patiemment créée pour réunir toutes les forces indépendantistes et loyalistes du septentrion avec l’aide italienne en 2021, est en train de céder sous les pressions contradictoires.
Réunion du Cadre stratégique permanent, avril 2022, Talataye (Photo Olivier Jobard)
L’attaque très violente menée contre le bivouac d’un convoi rebelle, vendredi, par des combattants djihadistes de la katiba Macina, est révélateur des nouvelles dynamiques à l’oeuvre.
Cette attaque s’est produite dans la forêt de Ouagadou, non loin de Nara, dans l’ouest du Mali, alors que la colonne préparait une action militaire pour célébrer l’anniversaire du 6 avril 2012, date à laquelle le Mouvement national de libération de l’Azawad avait proclamé l’indépendance de l’Azawad, le nom donné par les indépendantistes à la grande plaine pastorale du nord. Les deux leaders touareg Bilal Ag Acherif et Fahad Almahmoud conduisaient cette opération. Ils ont été pris à partie alors qu’ils se dirigeaient vers le sud par un grand nombre de djihadistes qui avaient mobilisé de gros moyens. On évoque, notamment, six véhicules kamikazes. Des pertes ont été enregistrées des deux côtés, 18 du côté rebelle et une trentaine du côté djihadiste, sans parler des blessés et des disparus.
Le chef touareg du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), Iyad Ag Ghali, avait écrit officiellement, faisant suite à de précédents messages de son lieutenant Amadou Koufa, qui commande la katiba Macina, pour interdire aux rebelles de se lancer dans des opérations militaires dans le centre et le sud du Mali, régions sur lesquelles le groupe affilié à Al Qaida estime avoir autorité.
Retour en 2012
Une partie des groupes membres du CSP ont obéi à ces injonctions et n’ont pas participé à la bataille. C’est notamment le cas du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), dirigé par Mohamed Ag Intallah, et des deux mouvements arabes frères (Mouvements arabes de l’Azawad, MAA). Ces trois groupes sont historiquement et socialement les plus proches d’Iyad Ag Ghali. Le HCUA est d’ailleurs né d’une scission d’Ansar Dine, le premier mouvement islamiste créé par Iyad Ag Ghali en 2012 pour évincer les indépendantistes qui s’apprêtaient à partir en guerre contre Bamako.
Du côté rebelle, à côté du MNLA historique, on trouve une partie du mouvement d’autodéfense touareg imghad dirigé par Fahad Alhamoud.
Finalement, les acteurs reviennent à leurs positions de 2012, où les mêmes rivalités avaient été observées, malgré l’apparente synergie qui avait permis de balayer l’armée malienne de toutes les régions du nord au premier trimestre de cette année-là. Le MNLA avait proclamé l’indépendance de l’Azawad dans la foulée, avant d’être repoussé par les djihadistes affiliés à Al Qaida à la frontière algérienne, jusqu’à l’entrée en guerre de la France en janvier 2013. Remis en selle par Serval, les indépendantistes avaient accompagné l’armée française dans les montagnes de l’Adrar pour traquer les combattants djihadistes repliés dans les montagnes. Après la victoire de Serval sur les djihadistes, une partie des frères d’armes d’Iyad Ag Ghali avaient fait sécession, créé le HCUA et rejoint les indépendantistes du MNLA au sein d’une alliance apparemment solide, la Coalition des Mouvements de l’Azawad, dont le troisième membre était le mouvement maure du MAA. Depuis 2014, cette Coalition gérait la région de Kidal. En 2021, après de nombreux combats entre factions rivales, en particulier indépendantistes contre loyalistes, la Coalition avait été rejointe par plusieurs groupes d’autodéfense communautaires, alors que l’accord de paix signé en 2015 piétinait. Le Cadre stratégique permanent créé avec l’appui de l’Italie avait pour objectif d’offrir un seul front face aux autorités maliennes.
Dislocation et pressions régionales contraires
Avec la reconquête de Kidal en novembre 2023 par l’armée malienne, ce front s’est progressivement disloqué. Aux portes de la petite ville du nord, déjà, Iyad Ag Ghali avait fait faux bond aux combattants indépendantistes aux prises avec l’armée malienne, ses drones et ses supplétifs russes de Wagner. Cherchant désespérément à reprendre l’initiative, les rebelles ont rapidement décidé de porter la guerre dans le sud du Mali, pour déstabiliser la junte au pouvoir sur son terrain.
L’opération avortée vendredi est partie, semble-t-il, de la zone qui touche la Mauritanie, où sont actuellement réfugiés des dizaines de milliers de personnes fuyant les drones et les nombreuses exactions de Wagner rapportées dans les campements et les villages. Deux jeunes Mauritaniens ont d’ailleurs été blessés par balle près de la frontière, lors d’une opération de Wagner samedi dans le village de Madda, au sud-ouest de la ville mauritanienne de Fasala. Cette région est tenue, côté Al Qaida, par la katiba de Talhat al Libi, qui n’a pas non plus participé aux combats de la veille, sans doute en raison du pacte de non agression qui le lie avec la Mauritanie.
Les groupes armés touareg et maures plus proches d’Iyad Ag Ghali sont installés près de la frontière algérienne, dans l’extrême nord du Mali.
Bamako, dont les relations avec ses deux voisins du nord et de l’ouest sont assez tendues, va probablement devoir affronter, dans les prochains mois, la recomposition en cours en interne et à l’extérieur : un soutien de la Mauritanie aux groupes armés indépendantistes et celui de l’Algérie à la coalition djihadiste, en passe d’être renforcée par une partie des ex rebelles.