Certes, la mort est le destin de tout être vivant. Mais, les conditions dans lesquelles certaines personnes perdent la vie sont révoltantes, scandaleuses. Surtout si cela se produit dans les structures sanitaires à cause de la négligence de ceux et celles qui sont souvent censés faire l’impossible pour sauver des vies. Aujourd’hui, nos centres et hôpitaux continuent d’être de véritables couloirs de la mort où se déroulent des drames voire des tragédies. Si les malades ou les proches des victimes se taisent généralement en s’abritant derrière la fatalité ou parce qu’ils ignorent tout simplement qu’ils ont la possibilité et le droit de demander réparation (d’obtenir des dommages et intérêts au titre des préjudices subis), il est urgent que l’Etat agisse pour réhabiliter la Santé au Mali.
Au début du ramadan (3e ou 4e jour) un accident au gaz domestique s’est produit dans une famille à Lafiabougou. Une mère de famille, son fils, sa petite-fille, ses belles-filles, des aide-ménagères ont souffert de brûlures à différents degrés. Tout ce beau monde s’est donc retrouvé aux urgences du Centre de santé de référence de Santé de Lafiabougou (ou Hôpital de District). Alors que leurs proches étaient préoccupés par le sort des blessés, les internes sur place ne pensaient qu’à tirer le maximum de profit de cette situation. «Nous espérons que vous avez suffisamment d’argent pour nous payer ?, ne cessait de nous demander ces jeunes appelés à prendre un jour le flambeau de notre médecine», nous a confié un membre de cette famille qui avait pourtant rempli toutes les formalités d’entrée.
«Après les soins, je leur ai donné tout ce qui me restait comme argent. Mais, ils n’étaient pas contents et l’un me dit : c’est tout ce que vous nous laissez comme récompense ? Vous avez pourtant de l’argent puisque vous venez de dépenser une fortune dans les médicaments», nous a-t-il confié très dépité. Le hic, c’est que la prise en charge n’a même pas été à hauteur de souhait puisque le lendemain la famille a été obligée d’aller voir un spécialiste qui a tout repris sans exiger quoi que ce soit.
«J’ai un jeune frère qui est venu du village avec un mal de dos atroce. Le centre de santé auquel nous nous sommes adressés nous a référé vers un CHU de la place. Les analyses ont prouvé qu’il y avait un obstacle qui l’empêche d’uriner normalement. C’était un jeudi. Et malgré ce diagnostic alarmant, nous n’avons plus revu le docteur que lundi».
Et, a-t-il poursuivi, «le week-end, le jeune frère a fait un malaise qui a failli l’emporter. Heureusement qu’une Dame (docteure) était présente ce jour. Elle a prescrit une dialyse séance tenante parce que le sang était contaminé par l’urine. Heureusement, sans cette présence ce jour, on aurait certainement perdu le petit frère». Ce qu’il n’a pas sans doute compris, le spécialiste savait pertinemment qu’une urgence allait s’imposer avant le lundi et espérait certainement les pousser à le rejoindre dans une clinique privée de la place pour mieux tirer profit de la situation.
Sans parler de l’émouvante interpellation de cette jeune dame qui, le vendredi 19 avril 2024, a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Elle venait d’enterrer son fils souffrant de détresse respiratoire suite à une négligence des agents de santé. Avec son époux, ils ont qui Baco-Djicoroni Golfe jusqu’au CHU de Kati sans bénéficier de la prise l’urgente prise en charge dans aucune des structures sollicitées. Partout il n’y avait «ni électricité ni oxygène» pour sauver l’enfant. Et pourtant suite à l’intervention de quelqu’un de bien placé, l’oxygène est réapparu au CHU de Kati comme par miracle. Hélas ! Trop tard pour sauver l’enfant !
Ces deux témoignages et cette émouvante sortie sur les réseaux sociaux donnent une fois de plus raison au Dr Seydou Ballo, l’auteur de «L’hôpital malien au bord du gouffre : et si on en parlait ?». (Droit, Santé et Société-Journal de médecine légale/Droit médical, victimologie, dommage corporel). Ces derniers temps, il est beaucoup question de l’impact de la crise énergétique sur les hôpitaux, les patients notamment. En effet, des hôpitaux et Centres de santé de référence (Csréf) de la capitale et des centres urbains ont enregistré des hécatombes avec des morgues débordées jusqu’à obliger des parents éplorés à inhumer leurs disparus à la hâte. Sans compter la paralysie des différentes infrastructures socio-sanitaires durant plusieurs heures. Et pourtant, nous sommes tentés de dire que les délestages ont beau dos et que c’est la partie visible de l’iceberg des mauvaises pratiques totalement contraire au serment d’Hippocrate et qui ne cessent déshumaniser le secteur de la santé dans notre pays.
«Les hôpitaux du Mali sont dans un état de déliquescence accrue. Cette situation est due à de nombreux fléaux liés principalement à la négligence et au manque d’implication des agents et des professionnels de santé dans l’exécution de leurs tâches. Cette négligence constitue la base de tous les autres problèmes qui affectent le milieu médical. En outre, elle empêche les usagers qui fréquentent l’hôpital de bénéficier d’une prise en charge adaptée à leur état de santé», a déploré Dr Seydou Ballo dans sa tribune.
Porter plainte en refusant la fatalité
Et d’ajouter que, pour se rendre compte de l’ampleur de ce phénomène, il suffit de «visiter nos hôpitaux, particulièrement les services de maternité, où les erreurs médicales sont les plus fréquentes. On remarque avec effroi que les victimes de ces négligences sont très nombreuses». Dans ce qu’on peut qualifier de «coup de gueule», il cite le cas d’une certaine Mariam, «décédée des suites d’un accouchement par césarienne», comme un exemple parmi tant d’autres. «Le jour de l’accouchement de ma femme, nous nous sommes rendus à la clinique. Dans la foulée, le médecin qui s’occupait d’elle a ordonné un accouchement par césarienne sous prétexte que le bébé était trop gros pour pratiquer un accouchement normal. Durant l’opération, ma femme s’est réveillée car l’effet de l’anesthésie s’était atténué. Elle criait, souffrant de douleurs atroces. Le médecin lui a administré aussitôt une deuxième dose qui lui a été fatale. Elle est décédée après la césarienne, mais le bébé était en vie», a témoigné l’époux de la défunte cité par Dr Ballo.
L’époux éploré aurait pu et dû porter cette affaire devant la justice. Et cela d’autant plus que c’est le médecin qui leur a proposé de faire une césarienne en arguant que cet acte était gratuit dans les hôpitaux publics. Cependant, il a ajouté que cette gratuité ne permettait pas à la patiente de bénéficier d’une meilleure prise en charge. Il lui a donc conseillé de venir dans sa clinique en s’acquittant des frais pour que sa femme puisse accoucher dans de bonnes conditions.
Louable décision politique de feu le Général Amadou Toumani Touré (en 2005) pour réduire la mortalité maternelle, la gratuité de la césarienne est malheureusement la cause de nombreux décès des femmes au moment de donner la vie. Dans les structures publiques, on ne s’empresse pas à la pratiquer parce qu’elle est gratuite. Et dans les cabinets et cliniques privés on la pratique même si elle ne s’impose pas parce que cela rapporte de l’argent. Sans compter que, a déploré Dr Ballo, «même si la césarienne est officiellement gratuite dans les hôpitaux publics maliens depuis 2005, force est de constater que, dans la pratique, de nombreuses femmes maliennes dénoncent les frais dont elles doivent s’acquitter après leur accouchement». Tout comme on observe des «cas récurrents de pénurie» de certains médicaments qui composent les kits d’opérations dans les hôpitaux.
A l’hôpital public de Sikasso, a également raconté Dr Seydou Ballo, Fatoumata a conduit son père au service des urgences aux environs de 2 heures du matin et les larmes aux yeux. Cependant, ce n’est que dans la journée vers 13 heures que le médecin est venu lui administrer les premiers soins. Finalement, son père n’a pas survécu et est décédé dans les bras de ce dernier.
«Nous pouvons multiplier les exemples de ce type», a-t-il dénoncé. Au Mali, a déploré le praticien, «la population a tendance à s’en remettre à la religion qui occupe une place prépondérante dans notre société. Dans ce genre de situation, on entend couramment dire, pour atténuer la douleur des victimes : Dakan don ; autrement, c’est le destin».
Au Mali, a-t-il indiqué, «nombreux sont les cas où des médecins ont causé la mort de patients ou compromis à jamais leur vie : amputations par erreur, décès maternels et/ou infantiles à cause de fausses couches, injection de sérum glucosé sans test préalable de diabète…». A son avis, «toutes ces personnes, lors de leur prise en charge, ont été victimes du système hospitalier malien du fait de la négligence coupable et assassine de ceux qui devaient pourtant leur offrir un service de qualité, conforme aux données acquises de la science. Dans ce contexte, il convient de s’interroger et de situer les responsabilités à tous les niveaux du service public hospitalier malien».
Comme il le dit si bien, nous ne nous devons pas nous lasser d’attirer l’attention des autorités compétentes sur cette «réalité virulente» afin que des mesures appropriées soient prises pour «endiguer ce phénomène qui gangrène le milieu hospitalier malien». Et cela d’autant plus que, «malgré la permanence et l’existence tangible de ces faits», les autorités restent silencieuses voire indifférentes !
Hamady Tamba
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L’irresponsabilité du personnel soignant au Mali :
La Charte du malade fréquemment violée dans l’indifférence totale de l’administration sanitaire et des décideurs politiques
A cause de l’irresponsabilité du personnel soignant, plus intéressé par l’argent que par son devoir à l’égard du malade, nos structures de santé sont devenues des mouroirs programmés. Abonnés à des pratiques qui jurent avec le serment d’Hippocrate, les agents et professionnels de la santé continuent à tuer des personnes en violant la charte du malade et en bénéficiant de l’impunité totale.
Au Mali, selon Dr Seydou Ballo (l’auteur de «L’hôpital malien au bord du gouffre : et si on en parlait ?»), «la question des erreurs médicales demeure malheureusement taboue, même si leur impact est connu de tous». Il rappelle que «beaucoup de malades gardent les séquelles d’une mauvaise qualité des soins et des négligences des praticiens. Dans leur très grande majorité, ils préfèrent garder le silence par manque de moyens, mais également par peur de représailles et de menaces venant directement des médecins».
Et pourtant, l’article 10 de la Charte du malade du 6 octobre 2008 (définit dans l’Arrêté 08-2716 / MS-SG du 6 octobre 2008) dispose clairement que «le malade a le droit d’accéder aux services hospitaliers convenables à son état ou à sa maladie». Sur la base de ce principe, l’article 7 de ladite charte précise que «l’accès au service public hospitalier est garanti à tous et en particulier aux personnes les plus démunies».
En dehors de s’en remettre religieusement à la fatalité, la plupart des malades et leurs proches ignorent également qu’ils peuvent saisir la justice directement pour faire condamner à des peines d’emprisonnement les auteurs (formés et payés aux frais de l’État) des manquements graves dont ils sont souvent victimes dans les structures de santé. Il est donc urgent de créer des canaux appropriés pouvant les aider à s’exprimer et à faire preuve de courage pour dénoncer avec énergie ce fléau qui envahit l’espace hospitalier malien.
En tout cas Dr Ballo est convaincu que «leur parole permettra de mettre en lumière ce phénomène, mais également de stopper sa propagation dans l’ensemble du système de santé malien». Il est en tout cas clair que l’absence de sanctions et de condamnations «encourage particulièrement certains professionnels à piétiner sans vergogne le serment d’Hippocrate ainsi que les principes établis dans la charte du malade au sein des établissements hospitaliers du Mali».
Au-delà de toute dénonciation et de toute répression légitime, «le respect de la vie humaine et l’enseignement du droit médical et de la santé, sans oublier bien sûr l’éthique médicale, doivent être au cœur de la pratique de l’art médical dans notre pays». Tous ces principes relevant du droit médical et de la santé sont garantis par la Constitution malienne (article 17 de la constitution de 1992) et figurent aussi dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 25) ainsi que dans la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (article 16). Tout comme ils figurent aussi dans de nombreux traités internationaux signés et ratifiés par le Mali.
«La charte du malade est l’expression des droits individuels fondamentaux de chaque patient au moment où il entre en contact avec l’établissement. Les établissements hospitaliers se doivent de veiller au respect des droits de l’Homme et de citoyen reconnus universellement : non discrimination, respect à la personne, de sa liberté individuelle, de sa vie privée, de son autonomie, notamment, le droit à l’autodétermination pour choisir son médecin, le droit à l’information, le droit à la liberté religieuse et philosophique», stipule l’article 4 de la Charte du malade.
Il est temps que les autorités maliennes prennent urgemment et courageusement le taureau par les cornes, notamment en «adoptant des dispositions ou des sanctions fortes pour diminuer le nombre de cas de négligences et d’erreurs médicales qui causent la mort d’un nombre considérable de citoyens maliens». Pour Dr Seydou Ballo, «la cruauté du personnel médical doit être bannie de nos hôpitaux publics comme privés, pour le plus grand bonheur du peuple malien».
Pour ce faire, il est également nécessaire que ceux qui (comme Dr Ballo) exercent leur profession comme une sacerdoce dans nos structures de santé (et Dieu qu’ils sont aussi nombreux) arrêtent d’être complices (par leur silence) de pareilles pratiques en les dénonçant à la hiérarchie pour rehausser l’image collective du personnel sanitaire du pays. Les hôpitaux maliens ne doivent plus être considérés comme des mouroirs où on rend l’âme par négligence du personnel soignant, mais plutôt comme des lieux de préservation de la vie humaine. La lutte contre l’impunité des auteurs de ces actes doit être un leitmotiv pour tout le monde (malades, proches, personnel et administration sanitaires, autorités politiques) pour que nos centres et hôpitaux arrêtent d’être des mouroirs programmés !