«Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». Montesquieu, l’auteur de ce principe qui est devenu le socle de la démocratie, ne sera jamais démenti, même en Afrique. Mais il n’y sera écouté. Civil ou militaire, le pouvoir exécutif fait ce qu’il veut des autres pouvoirs, qui ne sont en fait que de simples services publics. Le législatif la chambre d’enregistrement de ses volontés ; le judiciaire lui obéit au doigt et à l’œil. Mais le Burkina semble faire l’exception.
La justice du Faso a plutôt bonne presse. Droite dans ses boîtes, elle ne veut pas passer pour une justice aux ordres. Ses décisions semblent manifestement faire fi des desideratas des princes du jour.
Ainsi le 18 avril 2024, la Cour d’appel de Ouagadougou a confirmé la décision rendue en première instance par le Tribunal administratif demandant à l’Etat de libérer Me Guy Hervé Kam, l’avocat séquestré depuis le 24 janvier par les autorités. Les exemples foisonnent. Estimant «illégales» des réquisitions des autorités du Faso contre des détracteurs du régime, la justice burkinabé les a purement et simplement annulées.
En décembre 2023 le Conseil supérieur de la magistrature (Csm) avait dénoncé une réforme du secteur de la justice, menaçant l’indépendance de la justice. «Les dispositions du projet de loi relatives au pouvoir judiciaire constituent un recul grave au regard de toutes les recommandations des fora et études antérieurs».
Le 22 avril 2024, sa Commission qui s’occupe de l’avancement des magistrats a exprimé sa préoccupation quant aux menaces récurrentes et multiformes contre ces derniers, qu’elle exhorte «à maintenir la sérénité et la dignité qui caractérisent leur noble métier et les invite à rester concentrés sur leur mission qui est de rendre une Justice Impartiale et crédible. La Commission souhaite par conséquent que des mesures soient prises en vue de garantir la sécurité des acteurs judiciaires».
Le 14 avril 2024, les syndicats des magistrats du Burkina Faso (Syndicat autonome des Magistrats burkinabé-Samab, Syndicat burkinabé des Magistrats-Sbm, Syndicat des Magistrats burkinabé-Smb) ont récemment décliné l’invitation du Président de la Commission des Affaires générales, institutionnelles et des droits humains de l’Assemblée législative de transition à participer à une séance d’écoute, relative à la modification de loi sur le statut de la magistrature. Au motif que «sous la législature en cours, de telles invitations répondent beaucoup plus à une exigence de forme qu’à une réelle volonté d’enrichir les projets de textes transmis par le gouvernement à l’Assemblée Législative de Transition». Ils déclarent « laisser le soin aux membres de l’Assemblée Législative de Transition de prendre l’option qu’ils estiment pouvoir assumer devant l’histoire».
Les magistrats du Faso ont le mérite de dire non aux abus et aux injonctions du pouvoir. Ils refusent la caporalisation de l’institution judiciaire. Leur résistance mérite d’être soutenue pour le triomphe de l’Etat de droit.