Malgré les multiples réformes du secteur minier, malgré l’embellie du coton, l’inflation galope. Pourquoi les prix grimpent ? Quelle est la part des politiques dans cette inflation ? Nous avons mené l’enquête.
Oumou n’en revient pas. Les 1500 F CFA que son mari lui donne par jour ne parviennent même pas à lui payer la moitié des condiments. “Du jour au lendemain, tous les produits de première nécessité ont vu leurs prix multiplier par trois au moins”, ajoute-t-elle. “Le coût de la vie est devenue trop chère et insupportable pour nos bourses”, ajoute-t-elle.
Pour Modibo Mao Makalou, économiste, le coût de la vie, est un indice du coût moyen des dépenses de consommation des ménages dans une région donnée. “Il s’agit d’un indicateur pouvant avoir une incidence importante sur le pouvoir d’achat et la qualité de vie”. Plusieurs facteurs contribuent au coût élevé de la vie. Il y a les politiques économiques, l’inflation (hausse durable des prix des biens et services à la consommation) et le coût des biens et services de base.
L’inflation est une hausse globale ou généralisée des prix des biens et services dans une économie sur une période donnée. Ainsi, la variation de ce chiffre (sur un an, un mois, etc.) donne le taux d’inflation. L’inflation se mesure par un indice qui englobe un certain nombre de biens et services couramment appelé panier de la ménagère.
Au Mali, le panier de la ménagère est constitué de 650 variétés de produits, les relevés des prix sont effectués sur 3344 points à travers le pays (Bamako et régions) avec environ 17 123 relevés de prix effectués par mois.
Les principales causes de l’inflation sont, entre autres, l’inflation provoquée par un excès de demande. “Ce type d’inflation survient lorsque la demande d’un bien ou service augmente plus vite que l’offre. Cela arrive après une crise ou suite à l’augmentation de la population ou lorsqu’une quantité importante de monnaie est mise en circulation”, explique Mahmoud Ag Aly, économiste et planificateur à l’Institut national de la statistique.
L’inflation peut également être induite par les coûts lorsque les entreprises répercutent l’augmentation des frais entrant dans la production sur les prix des biens et services. Par exemple, si le prix de la farine, entrant dans la fabrication de pain, augmente, le prix du pain va augmenter. “En ce moment, on parle d’inflation importée”.
L’Inflation induite par une création monétaire excessive par les autorités monétaires survient lorsque la croissance de la masse monétaire dépasse celle de la production.
Selon Mahmoud Ag Aly, économiste et planificateur à l’Institut national de la statistique, l’inflation conduit à une perte de pouvoir d’achat car la quantité de biens et services qu’un ménage peut acheter baisse lorsque les prix augmentent plus vite que les salaires. Aussi, l’inflation entraine une perte de valeur de l’épargne des ménages avec une baisse du taux de rendement.
“A l’échelle nationale, l’inflation peut pénaliser la compétitivité de l’économie par exemple lorsque que le pays fait face à une inflation domestique, les produits importés deviennent moins chers que les produits domestiques, ce qui fait que nos produits destinés à l’exportation trouvent moins d’acheteurs”.
La lutte contre l’inflation peut prendre plusieurs formes en fonction de ses origines. “Si, l’inflation est d’origine monétaire c’est-à-dire provoquée par un excès de création monétaire, la politique monétaire devient le levier idéal notamment en restreignant ou diminuant la masse monétaire en circulation dans l’économie via une hausse des taux d’intérêt et/ou des réserves obligatoires. Ceci freine l’activité économique”.
Lorsque l’origine de l’inflation est une augmentation de la demande, l’Etat agit par un soutien aux revenus et au pouvoir d’achat à l’aide de la politique budgétaire en limitant la progression des salaires des fonctionnaires, en réduisant ces investissements (travaux publics) ou en réduisant d’autres revenus qu’il octroie comme les allocations familiales, etc.
Ces deux leviers peuvent être néfastes et même provoquer une récession. Il est préférable d’adopter une approche plus structurelle en développant la concurrence sur les marchés (politique de concurrence), en améliorant la compétitivité des entreprises, en mieux régulant les pratiques de concentration.
“L’inflation se traduit par une dépréciation de la monnaie qui a cours dans le pays, puisqu’un même montant permet de se procurer moins de biens et services qu’auparavant, ceci équivaut à une baisse du pouvoir d’achat. Le taux d’inflation désigne la variation (en pourcentage) que les prix enregistrent au cours d’une période donnée”, explique Modibo Mao Makalou.
“Le Mali, pays enclavé, sans façade maritime, subit les impacts négatifs de la crise multidimensionnelle. Par ailleurs, à la suite des sanctions occidentales les livraisons des exportations russes et ukrainiennes sont freinées ou suspendues, le renchérissement déjà observé de ces produits sanctionnés va s’accentuer. L’Ukraine et la Russie représentent plus de 1/3 des exportations mondiales de céréales, soit environ 20 % du commerce mondial de maïs, 30 % de blé et 70 % d’huile de tournesol. De surcroît, la Russie est un majeur exportateur de pétrole, de gaz et d’engrais”.
Quand vous additionnez tous ces phénomènes extérieurs, cela pose beaucoup de difficultés pour notre économie bien qu’elle soit résiliente. Il va donc falloir prendre des mesures idoines pour faire face à cette hausse généralisée des prix afin d’améliorer le pouvoir d’achat des Maliens notamment en subventionnant temporairement les produits de première nécessité et en faisant des transferts monétaires.
“Cela va représenter un gros défi pour l’Etat déjà qu’il abandonne une partie de ces recettes pour que le prix à la pompe soit abordable pour les citoyens car les subventions engendrent des pertes de recettes fiscales et les transferts font augmenter les dépenses budgétaires et la dette publique”, explique l’économiste Makalou.
Aminata Agaly Yattara
L’espace Uémoa à la même enseigne
L’inflation était en moyenne évaluée à 7,4 % dans l’Uémoa en 2022. L’instrument statistique de mesure de l’évolution du niveau général des prix dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa) est l’lndice harmonisé des prix à la consommation (IHPC) des ménages. L’IHPC peut varier d’une période à l’autre sur une base qui peut être mensuelle, trimestrielle, en glissement annuel ou en moyenne annuelle. L’IHPC en moyenne annuelle est l’indicateur au niveau de l’Uémoa qui permet d’indiquer l’évolution des prix.
Dans l’indice harmonisée nationale (Mali) des prix à la consommation pour les pays membres de l’Uémoa du mois de décembre 2019 à décembre 2020, les produits alimentaires ont connu une hausse de 0,7 % ; de décembre 2021 par rapport à 2020, on note une augmentation de 8,9 %, de décembre 2022 par rapport à décembre 2021, les prix ont haussé de 7,7 %, de décembre 2023 par rapport à décembre 2022, les prix ont diminué de 0,5 %.
L’indice des prix à la consommation des ménages au Mali au mois de janvier 2024 a connu une baisse légère de 0,4 % par rapport au mois précédent et se situe à 117,0. Par rapport au mois d’octobre 2023, les prix ont baissé de 0,7 %. En un an (janvier 2023 par rapport à janvier 2024), les prix ont haussé de 0,5 %.
A A. Y.
L’IHPC et la réalité
Selon l’IHPC des ménages publiés au mois de janvier 2024, il n’y a pas d’inflation au Mali ! En effet, rien que sur le marché de Lafiabougou, le litre d’huile raffiné qui était à 900 F CFA est vendu aujourd’hui à 1000 F CFA. Le transport en commun dans les Sotrama a connu une hausse de 50 à 100 F CFA selon les distances. Le kilogramme du sucre qui était de moins de 500 F CFA est à plus de 750 F CFA aujourd’hui.
Or, dans l’indice harmonisé des prix, le prix de l’huile est supposé avoir connu une baisse de -3,5 % et les transports en commun auraient un tarif statique. Du coup, quelle sincérité des prix ?