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Libération sous caution : Une procédure opaque
Publié le dimanche 2 juin 2024  |  Mali Tribune
Prestation
© aBamako.com par A S
Prestation de serment à la Cour suprême
Bamako, le 20 octobre 2017 L’audience solennelle de leur installation et la prestation de serment a été présidée par le président de la République Ibrahim Boubacar Kéita,
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La liberté sous caution ou libération sous cautionnement, terme juridique approprié, selon le procureur en charge du Pôle national économique et financier, Mohamedine Ag Haoussa, est un concept juridique qui permet à un individu accusé d’une infraction de rester libre pendant la période précédant son procès en payant une somme d’argent déterminée par le tribunal. Cette somme, appelée caution, est déposée auprès de la Cour pour garantir que l’accusé se présentera à toutes les audiences judiciaires à venir. Combien les « relâchés » de la Transition ont payé ? Quel sort a été réservé à ces sommes faramineuses ? Enquête.

Sous le sceau de l’instruction en cours et la présomption d’innocence des personnes poursuivies, le parquet en charge du Pole anticorruption au Mali, n’a pas répondu à notre préoccupation concernant la liste des personnes poursuivies et autres libérées sous cautionnement.


Mais, le réseau des associations anticorruption au Mali, a répertorié une vingtaine de cas parmi lesquels : feu Soumeylou Boubeye Maïga, Mme Bouaré Fily Sissoko, Mahamadou Camara, Thierno H. Diallo, Salif Traoré, Arouna Modibo Touré dit Papou, tous ministres sous l’ancien régime, Seydou Lamine Traoré ministre sous la transition, des présidents d’institution et d’organisation, des directeurs généraux, certains maires tels qu’Adama Sangaré, Souleymane Dagnon, Abdrahamane Niang (l’ex-président de la Haute cour de justice), Seydou Koné Mohamed Traoré, des opérateurs économiques, des directeurs d’hôpitaux et autres gestionnaires des fonds Covid-19, entre autres.

Bon nombre d’entre eux, ont été libérés sous cautionnement. A savoir, Bakary Togola, les ministres, Thierno H. Diallo, Mahamadou Camara, l’opérateur économique, Mama Lah etc. Parmi les cautions les plus élevées, selon plusieurs sources, demeure jusqu’à présent, celle de Bakary Togola l’ancien président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (APCAM) dans les liens de la justice, présumé pour un détournement de près de 9 milliards de F CFA. Il a été dit qu’il aurait recouvré sa liberté après une caution culminant à 3,5 milliards de francs CFA. C’était en 2021. Après s’en est suivi, l’affaire ‘’Edmgate’’, où certains journaux et réseaux d’associations de lutte contre la corruption, affirment que l’opérateur économique Mama Lah, aurait déposé une somme qui s’élève à plus de deux milliards de francs CFA.

A en croire, le président du réseau des associations de lutte contre la corruption et la délinquance financière au Mali, Moussa Ousmane Touré, ça peut aller à plus de 6 milliards F CFA les sommes déposées sous caution aujourd’hui. « Chaque fois qu’un présumé auteur de délinquance financier est placé sous mandat de dépôt, un ou deux mois après, on entend qu’ils ont été libérés sous caution. Ils ont payé. Nous avons entendu des sommes pharaoniques avancées comme caution », confie-t-il.

Il a cité en plus de Bakary Togola et Mama Lah, le cas de Mahamadou Camara, l’ancien ministre de la Communication, 500 millions F CFA, dit-il et Thierno H. Diallo, qui pour lui, a eu à donner des titres fonciers et confie que « des directeurs impliqués aussi ont dû payer cette caution pour retrouver la liberté ». Moussa Touré a aussi soulevé l’affaire de l’ancienne ministre des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko qui aurait refusé de payer la caution de 500 millions de francs CFA. Elle est restée en prison. Dans la même affaire, d’autres auraient payé et sont libres.

La caution selon la loi

Selon Me Mory Coulibaly, avocat inscrit au barreau malien, la caution est prévue par les articles 155, 156 et 157 du code de procédure civile et pénale au Mali (CPCP). « L’article 155 précise que « la mise en liberté dans les cas où elle n’est pas de droit, peut être subordonnée à l’obligation de fournir un cautionnement ou à constituer des suretés (garanties) ». L’article 156 fixe les conditions, le paiement en espèce (billet de banque, chèque…), et précise, que la caution est remise entre les mains du greffier ou receveur de l’enregistrement. C’est le juge qui en détermine le montant.

Selon Me Mory Coulibaly, « la libération sous cautionnement est une facilité ou un aménagement que la loi a prévu afin de réduire les questions de détention provisoire. Aucun quantum n’est fixé. C’est laissé à la libre appréciation du juge qui fixe la caution. La caution est divisée en deux grandes parties : une pour imposer la représentativité. Il permet à celui qui est dans les liens de la justice de l’obliger à venir aux audiences. Cette première partie doit être restituée d’office s’il respecte son engagement. La deuxième partie sert à couvrir d’éventuels paiements d’amendes, de frais et de dommages et intérêts ».

L’article 157 précise en son alinéa 1: « La première partie du cautionnement est restituée ou la première partie des suretés levées, si l’inculpé s’est présenté à tous les actes de la procédure et pour l’exécution du jugement », et à l’alinéa 2 : « La seconde partie du cautionnement est ou la seconde partie des suretés est toujours restituée en cas de non-lieu, d’absolution ou d’acquittement », c’est jusqu’à la fin de la procédure. C’est le juge qui détermine la caution selon l’affaire dans le but de garantir la présence de la personne poursuivie jusqu’au jugement et aussi de couvrir les frais et les dommages et intérêts en cas de condamnation.

Provisoire et non définitive

« La caution ne peut jamais mettre fin à un procès pénal. L’Etat n’a pas ce pouvoir en raison des séparations des pouvoirs. Le pouvoir de continuer ou de mettre fin à un procès pénal engagé, n’est pas du ressort du pouvoir exécutif », affirme Me Coulibaly avant de préciser que le pouvoir judiciaire non plus ne peut mettre fin à un procès pénal par le simple paiement d’une caution. « Il faut un procès », dira-t-il. La caution ne met jamais fin à une procédure pénale. Cette thèse est soutenue par le président du CNDH, Aguibou Bouaré. « La caution ne peut mettre fin à une procédure judiciaire pénale. La législation actuelle n’autorise pas cela ».

Moussa O. Touré explique, « dans certains pays, il existe la médiation pénale qui permet à une personne convaincue de détournement, de rembourser ce qu’il a pris et d’éteindre l’action judiciaire par la même occasion. Le dispositif anticorruption actuel malien n’autorise pas cela même si, souvent, dans la pratique, il arrive que des prévenus en fassent la proposition ».

La caution garantit la continuité du procès

Tous les juristes sont unanimes pour reconnaître que la caution est juste une garantie dans un premier temps pour obliger la personne poursuivie et détenue provisoirement de rester et suivre tout son procès et dans un second temps, couvrir les frais, amendes, dommages et intérêts qui résulteraient du procès. En cas de non-lieu, ou d’acquittement, et si la personne poursuivie a respecté son engagement de se présenter à tous les actes de procédures et l’exécution du jugement, la caution lui est restituée en totalité.

Où vont les cautions après leur paiement : « L’article 156 du code de procédure civile et pénale prévoit que la caution soit versée entre les mains du greffier, à charge pour lui de le reverser au trésor public dans la caisse des dépôts et consignations », indique Me Mory Coulibaly.

Le 24 mai 2022, le ministre des Finances a notifié à son homologue de la Justice, l’ouverture d’un compte dans les livres d’une banque de la place pour les cautions. Le 24 février 2023, dans une lettre circulaire, le garde des Sceaux instruisait à tous les greffiers en chef et greffiers d’instruction de reverser les cautions judiciaires en matière de lutte contre la corruption dans ce compte ouvert par le ministère des Finances à la demande de la Justice selon certaines sources. En plus du compte bancaire, il a été créé « l’Agence de recouvrement et de gestion des avoirs saisis ou confisqués » (ARGASC), sous la direction du magistrat Oumar Traoré, conseiller technique. Cette structure qui a vu le jour en novembre 2022, aura pour missions, de gérer les biens gelés, saisis ou confisqués par la justice. L’ARGASC ne serait pas encore opérationnel, donc n’a pas encore géré de caution, selon M. Traoré.

Lutte contre la corruption, une ambition tombée dans l’eau ?

Dans une longue lettre circulaire d’une vingtaine de pages en date du 19 janvier 2023, le ministre de la Justice adressait aux juridictions, parquets et polices, une circulaire relative à la politique pénale et à la stratégie de poursuite en matière de lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière. Le ministre dénonçait dans sa lettre les anciennes pratiques : « En matière de poursuite…, des personnes mises en cause font l’objet de mandat de dépôt et sont aussitôt remises en liberté ». A en croire le président des réseaux de lutte contre la corruption, M. Touré, sous la nouvelle dynamique, c’est à peu près la même chose. « Depuis que cette guerre a été déclenchée contre la corruption, nous n’avons jamais assisté à des jugements. On n’assiste qu’à des arrestations, d’autres paient, ils sortent et puis c’est fini », regrette-t-il. Jusqu’à ce jour, aux dires de M. Touré, le Mali reste l’un des pays les plus corrompus selon le classement de Transparency international.

Dans ce classement, cette année, le Mali occupe la 136ème place sur 180 pays et la 33ème sur 54 pays africains. Le Mali est suivi du Cameroun et de la Guinée. Quand l’Etat traque des auteurs de corruption mais ne les juge pas, il n’y a pas une volonté réelle de lutter contre la corruption, soutient Transparency.

La caution doit être restituée si l’accusé est acquitté, voire libéré. Comme le dit le code de procédure, soutenu par Aguibou Bouaré, président du CNDH. « La justice a l’obligation de restituer à la personne acquittée ou relaxée toute sa caution ».

Nos demandes de rencontrer certains poursuivis qui ont payé des cautions, n’ont eu aucune suite favorable. Me. Goïta, avocat à la Cour, dans un ouvrage récent, rapporte le cas de cautions détournées par une greffière.

Entre les acteurs de justice, les greffiers et le contentieux de l’Etat, des grandes difficultés de gestion ont été rencontrées sur les reversements de cautions judiciaires. Ce qui a même amené le ministre de la justice à notifier aux greffiers des Cours et tribunaux, la création d’un compte bancaire et leur instruire le reversement des cautions judiciaire sur ce compte.

Que serait le sort des cautions issues de la lutte contre la corruption de cette transition, prises aujourd’hui comme des butins de guerre ? A rappeler, lors de son passage à l’émission télé ‘’Malikura Ta Sira’’, en 2021 sur l’ORTM, le ministre de la Justice a parlé de 126 milliards francs CFA à récupérer dans la lutte contre la corruption. Cela doit-il passer par des reversements des cautions sous le sceau de la libération sous cautionnement ? Non, a répondu Moussa Ousmane Touré du réseau anti-corruption. Pour lui, prendre la caution, libérer une personne poursuivie et mettre fin à une procédure, quelque part, « c’est une corruption à ciel ouvert ».

Koureichy Cissé

Cette enquête a été menée dans le cadre du projet ‘’Kenekanko’’, une plateforme de lutte contre la corruption et la violation des droits de l’Homme, sur laquelle on peut dénoncer des faits de corruption ou de violations de droits de l’Homme. Des journalistes d’investigation enquêtent sur les faits dénoncés et publient en cas de nécessité.

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