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Commerce d’or déclaré : Des ors de sang ?
Publié le mercredi 12 juin 2024  |  Mali Tribune
Cérémonie
© aBamako.com par A S
Cérémonie d`Inauguration de la mine d`or de Kofi
Bamako, le 24 Avril 2015, a eu lieu la cérémonie d`inauguration de la mine d`or de Kofi
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La plus grande partie de l’or importé aux Emirats Arabes-Unis EAU ; en provenance d’Afrique est issu de l’extraction minière artisanale et à petite échelle (EMAPE). Selon les estimations de Swissaid, entre 80 et 85 % de l’ensemble de l’or extrait en Afrique en 2022 par des méthodes artisanales ou à petite échelle a été exporté vers les EAU, que ce soit directement ou via des pays de transit africains. Cela représente entre 79 % (480 tonnes) et 84 % (509 tonnes) des 609 tonnes d’or importées aux EAU en provenance d’Afrique cette année-là. De l’or souillés ?

ASelon l’agence Ecofin, le prix de l’or a battu plusieurs records cette année, atteignant en mai un pic à plus de 2 400 dollars l’once. Cette hausse est liée en partie aux achats massifs de plusieurs banques centrales à travers le monde.




« Les achats nets des banques centrales ont atteint 33 tonnes en avril, contre 3 tonnes en mars ». C’est ce que rapporte le World Gold Council dans une note publiée le 4 juin, dans laquelle l’institution précise que la banque centrale de Turquie a été le plus gros acheteur sur la période avec une hausse de 8 tonnes de ses réserves officielles.

Parmi les autres principaux acheteurs, on retrouve également les banques centrales du Kazakhstan, de l’Inde, de la Pologne, de la Russie et l’Autorité monétaire de Singapour.

Ces achats importants s’inscrivent dans une tendance en cours depuis 2022, année au cours de laquelle les banques centrales ont dépassé 1 100 tonnes, soit un niveau jamais égalé depuis 1867. Ces achats des banques centrales sont même considérés comme l’un des moteurs de la hausse du prix de l’or ces derniers mois. Le métal jaune est en effet passé d’environ 2 000 dollars l’once en décembre 2023 à un pic à plus de 2 400 l’once vers la fin mai 2024.

La grande majorité de l’or africain est acheminé vers un nombre très restreint de pays. Entre 2012 et 2022, les EAU, la Suisse et l’Inde ont été les trois principaux pays importateurs d’or en provenance d’Afrique. En 2022, ces pays étaient responsables de 80 % des importations d’or africain à l’étranger. En 2022, selon les chiffres officiels, près de la moitié de cet or a été importé aux EAU.

Cependant, la proportion de l’or africain qui va aux EAU est vraisemblablement encore plus élevée en réalité que ce que les chiffres officiels indiquent.

Swissaid, une organisation suisse à but non lucratif qui travaille pour lutter contre la pauvreté et l’injustice, a documenté la circulation de l’or en Afrique. Intitulée, « Sur la piste de l’or Africain : quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites », l’étude suit le métal jaune africain, des placers et places fortes des Emirats, Johannesburg et ailleurs.

Les importations d’or en provenance d’Afrique dans tous les pays non africains varient considérablement selon qu’on inclut ou non l’Afrique du Sud.

Les quantités d’or en provenance d’Afrique du Sud importées dans tous les autres pays ont systématiquement dépassé les 200 tonnes par année entre 2012 et 2022. En 2015, elles ont même atteint un pic de plus de 650 tonnes. Sur cette période, la Chine a clairement été le principal pays importateur d’or déclaré comme provenant d’Afrique du Sud.

« L’analyse des statistiques douanières chinoises confirme que la quasi-totalité de l’or en provenance d’Afrique importée en Chine entre 2014 et 2022 a été déclarée comme provenant d’Afrique du Sud », affirme Swissaid.

Comment se fait-il que les importations d’or en provenance d’Afrique du Sud dans les pays non africains soient si élevées ? Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser de près au secteur de l’or sudafricain. Presque chaque année entre 2014 et 2022, les importations d’or en provenance d’Afrique du Sud dans les pays non africains ont été plus élevées, voire nettement plus élevées, que le cumul de : la production d’or totale déclarée en Afrique du Sud, les importations d’or en Afrique du Sud et la production d’or d’EMAPE non déclarée en Afrique du Sud.

L’exemple de la Chine est particulièrement parlant. Dans un article de 2019, l’agence de presse Reuters affirmait qu’en 2015, la Chine avait importé davantage d’or en provenance des pays africains que les EAU. Cette année-là, les autorités chinoises ont bien rapporté des importations d’or en provenance d’Afrique du Sud de 377 tonnes, mais l’analyse détaillée de ces statistiques montre que 314 de ces 377 tonnes ont en fait été expédiées de Hong Kong et 62 tonnes du Royaume-Uni alors qu’aucune quantité n’a été expédiée directement d’Afrique du Sud.

Les Emirats arabes unis (EAU) sont l’une des principales plaques tournantes internationales du commerce de l’or. Dubaï, surnommée City of Gold, joue un rôle central dans ce commerce. La ville abrite plus d’une vingtaine de raffineries d’or et plus de 7’000 négociants en métaux précieux et en pierres précieuses, actifs notamment dans le souk de l’or et dans la zone franche du Dubai Multi Commodities Centre (DMCC).

Les exportations d’or des pays africains vers les EAU ont fortement augmenté entre 2012 et 2022, passant de 86,3 à 204 tonnes.

Les écarts entre les exportations d’or des pays africains vers les EAU et les importations d’or d’Afrique aux EAU ont été considérables tout au long de la période 2012-2022. Sur ces onze ans, ils s’élèvent à 2’569 tonnes au total, ce qui correspond à une valeur commerciale de 115,3 milliards USD. Ces dernières années, les écarts ont eu tendance à s’accroître, passant par exemple de 234 tonnes en 2020 à 405 tonnes en 2022.

Swissaid considère que la grande majorité des déclarations en douane faites aux EAU sont conformes à la réalité. Pour pouvoir l’affirmer, l’organisation se base sur les observations suivantes :

Il n’y a pas de taxe sur l’or aux EAU ni de restriction spécifique à l’importation d’or en provenance de certains pays, donc rien n’incite les importateurs à déclarer une fausse origine de l’or à son entrée aux EAU.
Les importateurs déclarent l’origine de l’or importé aux EAU même lorsqu’il s’agit d’un pays impliqué dans un conflit armé ou soumis à des sanctions internationales et le Federal Competitiveness and Statistics Centre (FCSC) publie ce type d’information.
Il n’y a pas d’écart entre les statistiques de UN Comtrade sur les importations d’or aux EAU et celles du FCSC.
En général, le rapport entre la valeur et la quantité déclarée à l’importation correspond au prix de l’or.
Les importations proviennent de pays où des exportations d’or vers les EAU ont été documentées.
De nombreuses statistiques sur les exportations d’or des pays africains présentent des lacunes. Swissaid a donc dû prendre les mesures suivantes afin de garantir la justesse de son analyse.

L’organisation a contacté les administrations de tous les pays africains afin d’obtenir les données qui lui manquaient ou de vérifier si celles qu’elle avait collectées étaient correctes.
Au Mali, les écarts entre les exportations d’or vers les EAU et les importations d’or des EAU du Mali en 2022 sont élevés (10 tonnes). L’Or déclaré à l’exportation comme destiné aux EAU représente moins de la moitié de l’or déclaré à l’importation aux EAU comme provenant du Mali.

La contrebande d’or entre l’Afrique et les EAU est en réalité encore plus importante que ce que les écarts entre exportations et importations (2’569 tonnes d’or au total sur la période 2012-2022 et 405 tonnes d’or en 2022) laissent supposer. Cela est dû au fait qu’une partie de l’or qui apparaît dans les statistiques d’exportation des pays africains n’a pas été déclaré à sa première exportation ou a été sous-déclaré.

Une partie de l’or d’Afrique importé aux EAU entre 2012 et 2022 a été déclarée à l’exportation dans un pays de transit africain, mais n’a pas été déclaré à la production ou à l’exportation dans le pays dans lequel il a été extrait. Cela est vrai pour une partie de l’or exporté vers les EAU depuis les pays qui jouent le rôle de pays de transit et qui ont une production d’or élevée comme le Mali.

Un article de Bloomberg affirme que les autorités du Mali, se plaignent de perdre des tonnes d’or qui prennent le chemin de Dubaï.

Questionné par Swissaid au sujet de l’or importé aux EAU qui n’a pas été déclaré à l’exportation dans les pays africains, le Ministère de l’Economie des EAU a répondu « les EAU ne peuvent pas être tenus responsables des données d’exportation d’autres gouvernements, mais seulement de nos données que nous pouvons suivre et vérifier grâce à des systèmes et des technologies sophistiquées ». Il a souligné dans sa réponse que les EAU ont un dispositif anti-blanchiment d’argent et une législation alignée sur le Guide de l’OCDE.

Les quantités d’or industriel et semi-industriel africain importées chaque année aux EAU sont nettement inférieures à celles d’or d’EMAPE. En effet, la plus grande partie de cet or est traité par des raffineries certifiées selon le standard de la LBMA et aucune raffinerie émiratie ne dispose de cette certification (bien que certaines se soumettent volontairement aux audits LBMA). En supposant que l’ensemble de l’or industriel africain traité par des raffineries non LBMA ait été envoyé aux EAU en 2021, les EAU en auraient importé 72 tonnes au maximum. L’analyse de Swissaid suggère que la réalité se situe plutôt en dessous de 50 tonnes. Les mines d’or industrielles ou semi-industrielles qui ont notamment expédié leur or vers Dubaï ces dernières années sont celles du Zimbabwe et quelques-unes de celles du Soudan, du Niger, du Kenya, du Burkina Faso, du Mali et de Guinée.

Une petite partie de l’or déclaré à l’importation aux EAU comme provenant de pays africains pourrait provenir à l’origine de pays non africains ou avoir été faussement déclarée. Par exemple, il semblerait que de l’or du Venezuela ait transité par le Mali et la Guinée en 2020 avant de rejoindre Dubaï ou ait été exporté directement à Dubaï, mais déclaré à la frontière émiratie comme provenant du Mali, plus particulièrement de la mine de Wassoul’or.



Alexis Kalambry

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