DAKAR - En Afrique de l’Est et de l’Ouest, des islamistes armés liés à Al-Qaïda, qu’on disait affaiblis par des interventions militaires internationales ont depuis fin septembre mené des attaques meurtrières montrant qu’ils gardaient une réelle capacité de nuisance.
Le 21 septembre, quatre à six membres du mouvement islamiste armé somalien shebab ont pris d’assaut le centre commercial Westgate de Nairobi, l’occupant plusieurs jours et faisant au moins 67 morts et 39 disparus, tandis que dans le nord du Mali, deux groupes jihadistes ont mené à partir du 28 septembre une série d’actions, dont un attentat-suicide meurtrier à Tombouctou.
"La coïncidence est troublante", note Jean-Hervé Jézequel, chercheur à Dakar pour International Crisis Group (ICG). Il ne croit pas à "la grande fraternité" des groupes islamistes armés en Afrique, mais "ils s’écoutent et se regardent les uns les autres: ça peut influencer".
En Afrique de l’Est, les shebab qui tenaient en 2011 une grande partie du sud et du centre de la Somalie, dont la plupart des grandes localités et près de la moitié de la capitale Mogadiscio, ont subi depuis deux ans une série ininterrompue de revers militaires face aux 18.000 hommes de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), auxquels s’ajoute un contingent de l’armée éthiopienne.
Contraints d’abandonner quasiment sans combattre la totalité de leurs bastions urbains, les shebab, malgré des divisions internes, continuent de contrôler de vastes zones rurales du sud et du centre, profitant de l’absence du gouvernement incapable d’asseoir son autorité hors de Mogadiscio.
Face aux lourdes défaites infligées par les Ethiopiens et l’Amison, les shebab ont opéré "un changement tactique", passant de "la guerre conventionnelle à la guérilla", estime Andrews Atta-Asamoah, chercheur à l’Institute for Security Studies (ISS).
"Il est désormais clair que les shebab ne peuvent pas battre l’Amisom militairement: passer à la guérilla est donc pour eux une adaptation afin de se remettre sur pied".
L’attaque de "Westgate a choqué le monde, parce qu’elle a pointé du doigt le peu (de moyens) requis pour semer le chaos, ainsi que la vulnérabilité des pays qui sont en première ligne pour en finir avec les shebab", ajoute-t-il.
Selon une source sécuritaire étrangère à Nairobi, "les assaillants étaient très bien entraînés, ont vraisemblablement reçu un entraînement militaire très poussé. Leur progression dans le bâtiment (du Westgate) est typiquement militaire".
Survivants
En Afrique de l’Ouest, l’intervention armée franco-africaine toujours en cours, initiée par la France en janvier pour mettre fin à l’occupation depuis 2012 du nord du Mali par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et d’autres groupes alliés, a permis de tuer un grand nombre de jihadistes - des centaines, selon Paris - et de détruire leurs stocks d’armes et de carburant.
Mais pas de les éradiquer.
L’attentat-suicide de Tombouctou le 28 septembre, les tirs à l’arme lourde sur Gao et la destruction d’un pont plus au sud les 7 et 8 octobre sont "un message pour dire qu’ils sont toujours sur le terrain, mais ce sont des survivants qui se manifestent: ils n’ont plus la même capacité qu’avant mais peuvent faire mal", selon Isselmou Ould Salihi, spécialiste mauritanien des groupes jihadistes de la région.
"On savait que des groupes circulaient, mais on s’attendait à ce qu’ils frappent avant", note Jean-Hervé Jézequel, d’ICG. L’une de ses explications à ce regain d’activité est que les jihadistes savent que la France "est en phase de réduction des effectifs" au Mali.
Paris a envoyé plus de 4.000 soldats au plus fort de son intervention au Mali. Quelque 3.000 s’y trouvent toujours, l’objectif étant de descendre à un millier d’ici décembre.
"Si la France réduit ses activités au Mali, il faut réfléchir à un dispositif pour la remplacer", selon M. Jézequel, car la force de l’ONU, la Minusma, "n’est qu’à la moitié de ses effectifs (6.300 hommes), n’a pas de moyens aériens suffisants, en particulier des hélicoptères, et ce n’est pas une force anti-terroriste".
Il estime aussi que "les autorités maliennes doivent gagner la confiance des populations" du nord du Mali, où "les jihadistes ont des attaches, des sympathies et des connections locales".
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