Le 24 juin 2024, la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale (« CPI » ou « Cour »), composée du juge Rosario Salvatore Aitala, juge président, du juge Sergio Gerardo Ugalde Godínez et du juge Haykel Ben Mahfoudh, a émis des mandats d'arrêt à l’encontre de deux personnes, M. Sergei Kuzhugetovich Shoigu et M. Valery Vasilyevich Gerasimov, dans le contexte de la situation en Ukraine pour des crimes internationaux présumés commis entre le 10 octobre 2022 au moins et le 9 mars 2023 au moins.
M. Sergei Kuzhugetovich Shoigu, né le 21 mai 1955, Ministre de la Défense de la Fédération de Russie au moment des faits allégués, et M. Valery Vasilyevich Gerasimov, né le 8 septembre 1955, Chef d'état-major général des forces armées de la Fédération de Russie et Premier vice-ministre de la Défense de la Fédération de Russie au moment des faits allégués, sont chacun présumés responsables du crime de guerre consistant à diriger des attaques contre des biens de caractère civil (article 8(2)(b)(ii) du Statut de Rome) et du crime de guerre consistant à causer des dommages accidentels excessifs à des civils ou à des biens de caractère civil (article 8(2)(b)(iv) du Statut de Rome), et du crime contre l'humanité d'actes inhumains en vertu de l'article 7(1)(k)) du Statut de Rome. Il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils portent une responsabilité pénale individuelle pour les crimes susmentionnés pour (i) avoir commis les actes conjointement et/ou par l'intermédiaire d’une autre personne (article 25(3)(a) du Statut de Rome), (ii) avoir ordonné la commission des crimes (article 25(3)(b) du Statut de Rome), et/ou (iii) pour leur incapacité à exercer un contrôle approprié sur les forces sous leur commandement (article 28 du Statut de Rome).
Les deux mandats d'arrêt ont été délivrés à la suite de demandes déposées par l'Accusation. La Chambre préliminaire II a considéré qu'il existe des motifs raisonnables de croire que les deux suspects portent la responsabilité de frappes de missiles menées par les forces armées russes contre les infrastructures électriques ukrainiennes entre le 10 octobre 2022 au moins et le 9 mars 2023 au moins. Au cours de cette période, de nombreuses frappes contre de nombreuses centrales électriques et sous-stations ont été menées par les forces armées russes en plusieurs endroits en Ukraine.
La Chambre préliminaire II a estimé qu'il existe des motifs raisonnables de croire que les frappes alléguées étaient dirigées contre des biens de caractère civil et que, pour les installations qui auraient pu être considérées comme des objectifs militaires au moment des faits, les dommages civils accessoires attendus auraient été clairement excessifs par rapport à l’avantage militaire escompté. À cet égard, la Chambre a observé que l’un des objectifs fondamentaux du droit international humanitaire est la protection des civils dans les conflits armés. Par conséquent, la Chambre, lorsqu’elle évalue la responsabilité pénale pour la perpétration présumée de crimes de guerre pendant la conduite des hostilités, doit examiner si le comportement allégué respecte le principe de distinction, qui interdit le recours à la force armée contre des civils et d’autres personnes protégées. Dans le cadre de son évaluation des actions de personnes suspectées d’avoir commis de violations graves du droit international humanitaire, dans la mesure où celles-ci sont codifiées comme crimes en vertu du Statut de Rome, la Chambre examinera toujours l'effet de ces actions sur la sûreté et la sécurité des civils, y compris les plus vulnérables, comme les personnes âgées, les femmes et les enfants.
La Chambre préliminaire II a également déterminé que la présumée campagne de frappes pouvait être considérée comme un comportement impliquant la commission multiple d'actes contre une population civile, perpétrés conformément à une politique de l'État, au sens de l'article 7 du Statut. Par conséquent, il existe des motifs raisonnables de croire que les suspects ont intentionnellement causé de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale, portant ainsi leur responsabilité pénale pour le crime contre l'humanité d'autres actes inhumains, tel que défini à l'article 7(1)( k) du Statut de Rome.
Considérant que les principales allégations factuelles sont dûment étayées par les preuves et autres éléments pertinents présentés à ce stade de la procédure par l'Accusation, la Chambre a considéré que les conditions statutaires sont remplies pour délivrer les mandats d'arrêt demandés.
Le contenu des mandats d’arrêt est classifié « secret » afin de protéger les témoins et de sécuriser les enquêtes. Toutefois, consciente du fait qu'un comportement similaire à celui visé dans les mandats d'arrêt, qui constitue des violations du droit international humanitaire, semble persister, la Chambre a estimé que la sensibilisation du public à l'existence des mandats d'arrêt peut contribuer à prévenir la commission de nouveaux crimes en vertu de l’article 58(1)(b)(iii) du Statut de Rome. Par conséquent, la Chambre préliminaire II a estimé qu'il était dans l'intérêt de la justice d'autoriser le Greffe à divulguer publiquement l'existence des mandats d'arrêt, le nom des suspects, les crimes pour lesquels les mandats d'arrêt sont délivrés et les modes de responsabilité.