Nul ne sait où se trouve désormais le général aux quatre étoiles Amadou Haya Sanogo. Mais on sait qu’il a disparu de la circulation pour de très bonnes raisons dont la moindre n’est pas de sauver sa peau dans ce terrain de chasse qu’est devenu le Mali.
Il fait un temps à ne pas mettre un général de corps d’armée dehors. Surtout s’il s’agit d’un ancien chef putschiste. En vérité, le grade stratosphérique de Sanogo ne lui a pas porté chance. Il lui vaut plutôt de la poisse. Un cabinet d’experts mettrait un siècle à faire le décompte des malheurs qui ne cessent de pleuvoir sur le compère galonné depuis que quelqu’un à l’écharpe blanche et au désarmant sourire lui a collé ce grade.
D’abord, le grade de Sanogo l’a rendu infréquentable.
Au point que LadjiBourama, dont la charité islamique est bien connue et qui, depuis deux mois, offre l’hopspitalité à une forte colonie de nomades politiques affamés, a refusé d’inviter l’officier à son investiture du 4 septembre 2013 ainsi qu’à celle du 19 septembre. On a connu des généraux mieux traités sur terre, sur mer et dans les airs, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas tout ! Notre ami aux quatre étoiles s’est attiré la jalousie de ses propres troupes.
Les mêmes qui lui ont permis de mettre en fuite le « Vieux Commando » et de « faciliter le départ » (c’est son mot !) de l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra de la primature. Or quand les sans-grades deviennent jaloux, ils ne se contentent pas de jaser au fond d’une case; ils prennent les armes pour liquider leur chef. Voilà pourquoi, depuis une semaine, le général Sanogo a renoncé à diriger le corps d’armée qu’on lui a confié sur le papier pour tenter de sauver son propre corps, c’est-à-dire sa peau. En pareil cas, le salut passe par la plus vaillante des devises: « Courage, fuyons ! ».
Fuir ? Et comment !
Les sages ne conseillent-ils pas de prendre exemple sur nos devanciers ?Devant les mêmes soldats, le « Vieux Commando » n’a-t-il pas, malgré sa jambe malade, nuitamment dévalé la montagne de Koulouba à dos d’homme ? Plus récemment, la même meute de soldats a mis en fuite des généraux aussi célèbres qu’Abdoulaye Koumaré, ministre des Transports, et Moussa Sinko Coulibaly, ministre spécialiste des « tendances » électorales. C’est vous dire qu’en matière de fuite, Sanogo n’innove point.
Le général a d’ailleurs des raisons supplémentaires de prendre la clé des champs et d’y rester.
De fait, le bunker qu’il s’était aménagé à Kati et qui devait rester inviolable jusqu’au retour de Jésus sur terre a été vidé de tout son contenu (et quel contenu !) par le contingent du lieutenant-colonel Elysée Dao, agissant à la demande expresse de LadjiBourama. Pis, les hommes qui assuraient la garde rapprochée de Sanogo ont été désarmés: il ne leur reste, selon les mauvaises langues, qu’un carquois et deux flèches en bois. Sans garde ni bunker, comment le général de corps d’armée pourrait-il éviter de mauvaises rencontres et des visiteurs indésirables? Tenez ! Il pourrait, au détour d’une rue, tomber sur un des dizaines de bérets rouges en vadrouille depuis le contre-putsch d’avril 2012 ! Il pourrait aussi tomber sur un inconnu armé de hache et envoyé de Dakar par le « Vieux Commando », principale victime du putsch du 22 mars ! Ou encore tomber nez à nez sur un bonhomme enturbanné à la solde d’Iyad Ag Ghali ! Sans compter les révolutionnaires de SADI, de Yerewolo Ton et de la COPAM : ces gens-là, qui manient le bâton avec art (suivez mon regard !), ont bruyamment soutenu la défunte junte pour se retrouver, à cause du lâchage de Sanogo, le bec dans l’eau ! Ils n’ont même pas d’espoir de se remplir l’estomac à bref délai puisque LadjiBourama, qui leur a raflé… le gâteau sous les pieds, déclare partout qu’il ne partagera pas ledit gâteau; or quand LadjiBourama dit quelque chose, il le fait, inch Allah !
Pas besoin de dessin : des ennemis, le général Sanogo en a une pleine cargaison en activité et un cargo entier en réserve.
Ceux qui en doutent n’ont qu’à se souvenir du triste sort réservé par les mutins de Kati à son ancien secrétaire général, le lieutenant-colonel Mohamed El-Habib Diallo, qui a pris une balle dans la jambe et a été traîné dans l’escalier comme un sac de patates.
Et puis, et puis, et puis… La presse parle de trois corps sans vie retrouvés dans la nature: lesdits corps, retenez-le bien, appartiennent à d’anciens proches de Sanogo ! Qui les a donc liquidés ? En tout cas, il n’y a aucune raison que leurs bourreaux prennent en pitié Sanogo au cas où ils le rencontreraient.
Selon moi, LadjiBourama devrait s’employer à sauver le général en cavale.
Certes, l’intéressé a eu le tort de trop fêter son grade mais je crois qu’il est revenu de ses erreurs. Après tout, il a été chef d’Etat pendant 20 jours: on ne le laisse pas, en pays musulman, un ancien chef d’Etat dormir dans les hautes herbes. La rumeur rapporte que le général ne passe pas deux nuits au même endroit : il va de pièce en pièce, de hangar en hangar, vêtu d’un boubou noir et avec, pour tout bagage, son bâton jaune qui ne le quitte jamais. LadjiBourama pourrait lui affecter une des chambres d’hôte du palais de Koulouba. Là au moins, il aura la sécurité.
Pour la nourriture, comme il n’y pas de gâteau à partager en ces hauts lieux de démocratie, Sanogo se débrouillera avec les gardes de faction.De temps à autre, pour chasser l’ennui, on pourrait envoyer bavarder avec lui le colonel Abidine Guindo, un de ses vieux amis, qui séjourne au camp 1 de la gendarmerie, non loin du palais. Ils ont des choses à se dire, ces deux-là ! Entre autres sujets de conversation, ils pourront disserter sur les caprices du destin.
Il n’y a pas longtemps, Ibrahim Dahirou Dembélé, chef d’état-major général des armées;Yamoussa Camara, chef d’état-major particulier de LadjiBourama; Moussa Sinko et Koumaré, ministres du même Ladji, venaient prendre leurs ordres chez Sanogo.Aujourd’hui,sa seule vue leur donnerait des cauchemars !