«N’enflammez pas nos pays oooh ! Ne brûlez pas… Nos populations sont fatiguées de vos calculs politiques… Ne brûlez pas nos pays oooh! Ne brûlez pas… Laissez le peuple choisir ses propres dirigeants… La Côte d’Ivoire a toujours souffert des crises politiques… Pardonnez, politiciens ivoiriens ayez pitié…» !
Ces messages engagés sont de la star mondiale du reggae, Moussa Doumbia alias Tiken Jah Fakoly, dans «Actualités brûlantes». Un single interprété en featuring avec Amen Jah Cissé, un artiste engagé du Togo. Un titre qui fait jaser à cause de la mauvaise interprétation de certaines mauvaises volontés. Curieusement certains, ceux qui sont spécialisés à trouver des poux sur une tête rasée pour plaire aux Princes du moment, n’ont visiblement retenu que le passage : «Regardez ce qui se passe dans l’AES, des que tu critiques un peu, c’est le front ou la prison» ! Comme si ce n’était pas vrai !
Sauf que cela ne signifie pas non plus que l’artiste déteste l’AES dont il est d’ailleurs l’un des fervents défenseurs. Visiblement, «ne gâtez pas l’AES» leur a échappé dans la chanson. Cela prouve pourtant que le reggaeman s’inquiète parce qu’il souhaite la réussite de cette Alliance comme une délivrance de l’impérialisme. Ce titre est un véritable chef d’œuvre du reggae. «Injure» à l’AES ! De quelle injure parlent-ils ? Parce que ce que nous entendons dans la chanson et ce que nous voyons dans le clip, il n’y pas de quoi frustrer ou blesser quelqu’un qui est réellement animé de bonne foi. Même s’il y a de quoi pousser les morveux au geste naturel chez eux : se moucher !
Comme le dit si bien mon confrère et ami Sory Ibrahim Guindo, «la critique est essentielle. Tiken Jah, un panafricaniste convaincu, a tout à fait le droit de critiquer, de dire ce qu’il pense. Ce qu’il fait d’ailleurs depuis des lustres… Mais souffrez aussi que des voix dissonantes aux propos de cet artiste émérite puissent se faire entendre… Tout le monde a le droit de s’exprimer sur la marche du pays». En tout cas, force est de reconnaître que Tiken est ici bien dans son rôle. Certes, la musique est un loisir, mais aussi un art d’engagement pour défendre des convictions.
«Je ne chante pas pour faire plaisir à un individu ou un groupe de personnes. Ma mission c’est d’éveiller la jeunesse consciente tout comme Bob Marley le faisait», aurait d’ailleurs réagi la star africaine du reggae. Les artistes et les journalistes ont certainement en commun ce devoir d’appuyer là où cela fait mal, de tremper la plume dans la plaie… pour dénoncer, rappeler à la réalité, favoriser l’éveil des consciences face à une menace comme les coups d’Etat constitutionnel ; l’imposition d’une 5e République au Togo ; le 4e mandat d’Alassane Dramane Ouattara en Côte d’Ivoire ; la succession dynastique au Tchad ; l’oppression des opposants dans les pays de l’AES ; le Cameroun dirigé par un président inexistant…
Ce single me rappelle curieusement la chanson «Mon pays va mal» (sur l’album Françafrique sorti en février 2002). «Avant, on ne parlait pas/De nordistes ni de sudistes/Mais aujourd’hui, tout est gâté/L’armée est divisée/La société est divisée/Les étudiants sont divisés/Même nos mères au marché sont divisées», avait alerté l’artiste engagé. Et parce qu’on n’avait minimisé le message de l’artiste, la Côte d’Ivoire a sombré dans le chaos d’une crise politique en 2011 avec au moins 3 000 morts. Une triste page de l’histoire de ce beau pays dont «les souvenirs nous hantent encore», rappelle Tiken dans «Actualités brûlantes».
«Je ne le comprends pas en réalité. Il est de quel bord?», s’est interrogé quelqu’un. Un fan lui répond, «il n’a pas changé de camp car il soutient toujours le peuple. C’est juste un messager, il n’a pas de bord». Il est naturellement avec le peuple et son engagement en la matière n’a pas pris une ride. En artiste engagé, Tiken dénonce les maux de notre société, ceux qui rongent la gouvernance de nos pays… Il est temps qu’on accepte les critiques objectives si nous voulons que nos pays soient dirigés pour nous le peuple et non pour un clan avec des groupes d’intérêts agglutinés autour.
Pour être utile et efficace à tous, surtout à celui qui est soutenu, un soutien ne doit pas être un blanc-seing parce que la ligne rouge de la complaisance est alors vite franchie avec des conséquences inimaginables. Si nous ne voulons pas fabriquer des tyrans qui, à force d’être adoubés même dans l’erreur, finiront par se prendre pour des «Demi-dieux» qui ne souffrent plus de la contestation de citoyens sur qui ils pensent avoir désormais droit de vie ou de mort, nous devons avoir le courage loue ce qui est positif et de dénoncer ce qui ne va pas.
La critique, quand elle est objective, donc bien fondée, est à prendre pour un conseil avisé et non une volonté de mettre les bâtons dans les roues. Dénoncer un fait, une pratique, une situation, un régime ne signifie pas forcément que nous soyons animés d’une mauvaise intention à l’encontre de qui que ce soit, mais c’est parce que nous sommes conscients que sa répétition ou le cap maintenu peut conduire dans le sens que personne ne souhaite. En fait, ceux qui se déchaînent pour déverser leur bulle ou leur frustration de patriotes ou de panafricanistes opportunistes sur Jah Fakoly lui donnent raison : on ne peut plus se permettre de critiquer l’AES sans se faire punir par les autorités ou lyncher par leurs fans.
Même si on ne saurait fermer les yeux sur des attitudes négatives et des critiques subjectifs visant juste à saborder nos transitions, n’acceptons pas non plus de gâter la liberté d’expression acquise dans le sang !