Bases de drones, renseignements : la coopération sécuritaire entre les États-Unis et certains pays côtiers d’Afrique de l’Ouest s’est renforcée ces derniers mois. Explications.
Depuis l’éviction de ses troupes du Niger, Washington œuvre activement pour redéployer son dispositif de sécurité en Afrique de l’Ouest. En ligne de mire, la menace terroriste au Sahel et sa descente vers le sud. Pour tenter de contenir et combattre ces groupes armés, la Côte d’Ivoire et le Bénin semblent être au cœur de négociations aux contours encore discrets.
Bien que pressentie, l’officialisation en avril dernier du départ des troupes américaines du Niger a marqué un important revers pour la stratégie de sécurité déployée jusqu’alors par la première puissance militaire dans la région.
En chassant successivement les éléments de Paris et de Washington, les nouvelles autorités du général Abdourahamane Tiani entendent bien être souveraines quant aux questions de défense sur leur sol.
Le retrait complet d’environ un millier de soldats s’est déroulé au pas de course, avant même la date butoir fixée au 15 septembre. L’armée américaine a officialisé la fin de l’opération, le lundi 5 août 2024. Une information confirmée, le 24 juillet par l’Africom – commandement militaire américain dédié au continent africain – à l’occasion d’une prise de parole de son directeur de la stratégie depuis Abidjan, le général Kenneth P. Ekman.
Plus que des hommes, ce sont des infrastructures essentielles qu’ont perdu les Américains avec cette décision politique. Au centre des préoccupations, la base aérienne 201, située en périphérie de la ville d’Agadez, loin de la capitale Niamey. Ce site hors norme inauguré en 2019 avait bénéficié d’un financement total avoisinant les 110 millions de dollars.
Ses nombreux baraquements et sa piste d’atterrissage de presque deux kilomètres permettaient de multiples rotations de drones et le ravitaillement via des avions cargos. Ce site conçu pour une présence sur le long terme projetait les moyens de surveillance américains sur l’entièreté du Niger, la Libye au nord ainsi que sur une large partie du reste du Sahel à l’ouest. La perte de cet avant-poste stratégique est d’autant plus préjudiciable que la menace des groupes armés s’étend sur un territoire grand comme sept fois la France métropolitaine.
L’avantage des pays côtiers
Pour continuer ses missions de renseignements en Afrique de l’Ouest, le commandement américain est donc contraint de se redéployer dans un périmètre restreint par l’autonomie de ses moyens aériens. À titre d’exemple, un drone MQ 9 de type Reaper dispose d’une distance franchissable de 1 850 kilomètres bien qu’en l’absence de liaison satellite, cet aéronef ne puisse être manœuvré que dans un rayon de 200 kilomètres autour de son lieu de guidage.
Dans cette perspective, ce sont bien certains pays côtiers du golfe de Guinée qui semblent répondre aux impératifs de Washington. Leur façade maritime et la multiplicité de leurs frontières sur leur partie nord offriraient un positionnement intéressant pour lutter contre la menace. Pour rappel, la Côte d’Ivoire partage trois frontières septentrionales avec le Burkina Faso, la Guinée et le Mali, lorsque le Bénin ouvre sur le Burkina Faso et le Niger.
Mais dans un contexte de forte défiance envers l’Occident, le choix est également restreint par la qualité des liens qui unissent les potentiels partenaires aux États-Unis. De ce point de vue, Abidjan jouit déjà d’une relation privilégiée avec Washington, dont le président Alassane Ouattara réitérait en janvier ses remerciements à Antony Blinken pour son « apport dans la lutte contre le terrorisme ».
Du côté béninois, Cotonou a accueilli au mois de mai – pour la première fois de son histoire – une délégation de l’Africom venue témoigner du partenariat « en expansion […] pour se défendre contre l’extrémisme violent et promouvoir le développement économique ». Un rapprochement est donc à l’œuvre sans que l’on puisse pour autant confirmer un redéploiement ni la nature exacte des dispositifs envisagés.
Une collaboration renforcée en Côte d’Ivoire
Au cours de son allocution abidjanaise, le général Kenneth P. Ekman rappelait le risque qualifié de « grandissant » pour les pays aux portes du Sahel tels que la Côte d’Ivoire. S’il a également confirmé la volonté des États-Unis de se tenir au côté des forces armées ivoiriennes, il démentait l’hypothèse de la création d’une base dans les environs de la ville d’Odienné, au Nord-Ouest.
« Pourquoi construire du neuf si certains éléments existent déjà ? » a-t-il ajouté, une manière de dire que cette coopération renforcée se fera au moyen d’infrastructures ivoiriennes déjà implantées sur le territoire. Quant aux champs d’application concrets de ce partenariat, le général a fini par évoquer les pistes suivantes : le renseignement, la reconnaissance, le retour de personnels isolés, les capacités médicales et la formation.
Pour mettre en œuvre leur plan d’action, les États-Unis pourront compter sur une certaine expérience de terrain. Au cours des trois dernières années, la Côte d’Ivoire a en effet accueilli l’exercice militaire Flintlock, réunissant plusieurs centaines de spécialistes américains et forces armées ivoiriennes dans le cadre de scénarios de lutte contre le djihadisme. Les services de sécurité américains avaient par ailleurs participé – au côté de Paris – à la gestion du risque terroriste au moment de la Coupe d’Afrique des nations en ce début d’année.
« Ce rapprochement interviendrait dans un climat de restructuration de la politique africaine souhaitée par Emmanuel Macron, car, côté français, les plus de 900 soldats traditionnellement basés dans les camps de Port-Bouët (commune d’Abidjan) devraient voir leur effectif ramené à une centaine. »