Les jurés de la Cour d’assises spéciale pour les crimes économiques et financiers ont décidé de renvoyer le dossier dit de l’achat de l’avion présidentiel et les contrats de surfacturation des équipements militaires devant la chambre d’accusation de la Cour suprême pour complément d’informations. Mais en réalité ce renvoi en dit long. La Cour au cours des débats s’est heurtée à des dilemmes. Ni le ministère public encore moins le contentieux de l’Etat n’a pu fournir de preuves probantes pour étayer la culpabilité des quatre accusés.
Si le procès du Roi du coton (Bakary Togola) est qualifié par certains Maliens de “procès de l’année”, celui de Bouaré Fily Sissoko et autres est perçu comme le “procès du siècle” au regard de la personnalité des accusés. C’est aussi le procès le plus scruté au millimètre près, tant sur le plan national qu’international.
La grande salle d’audience de la Cour d’appel de Bamako refusait du monde les jours d’audience. Les retardataires se contentaient des haut-parleurs installés dans les couloirs de la Cour d’appel pour suivre les audiences à distance.
Les comptes rendus d’audience que les journalistes font dans leurs organes de presse respectifs étaient repris en boucle dans les revues de presse des journaux internationaux. Tout cela témoignait de l’importance de ce procès qui incrimine d’anciens ministres et hauts gradés de l’armée malienne.
Mais hélas ! A première vue, tout le monde pensait que ce dossier, qui a nécessité au moins trois ans d’instruction au niveau de la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays, apparaît lourd comme du béton armé de par les charges égrenées dans l’arrêt de l’envoi.
Il a fallu aussi trois semaines de procès pour se rendre compte que cette affaire est totalement vide. Mohamed Cherif Koné, l’ancien avocat général de la Cour suprême, a affirmé que ce dossier est vide tant sur la forme que dans le fond.
Le ministère public et le contentieux de l’Etat durant tout le long des débats n’ont pas pu apporter des preuves notamment des factures originales supposées prouver la surfacturation ou encore des preuves qui prouvent que les 281 véhicules n’ont pas été livrés par Guo Star.
La quinzaine de témoins qui ont défilé devant la Cour pour témoigner n’ont pu apporter grand-chose qui prouve la culpabilité des accusés.
Le moindre indice à la Cour
Malgré l’absence d’éléments probants, les deux représentants de l’Etat sont convaincus qu’il y a eu bel et bien des surfacturations sans en avoir apporté le moindre indice à la Cour.
Pour la défense, Bouaré Fily Sissoko et autres ne sont coupables de rien et que les propos dilatoires et machiavéliques du parquetier et du contentieux de l’Etat sont des stratégies de jeu de poker pour essayer de prolonger les débats.
“M. le président, en l’état, le parquetier et le contentieux de l’Etat n’ont aucune preuve qui démontre la culpabilité de nos clients. Tout ce qu’ils avancent comme argument ressort de la pure spéculation. Il faut tirer vos conclusions de cet état de fait en déclarant que nos clients ne sont pas coupables en les acquittant purement et simplement. Le peuple saura que vous avez rendu une justice juste et équitable”, a plaidé, Me. Tounkara, l’un des avocats de Bouaré Fily Sissoko avant que la Cour prenne la décision de renvoyer le procès pour complément d’information.
Pour le public, il est indéniable que le parquet général ne maîtrise pas le dossier raison pour laquelle chaque fois le parquetier fait des redondances dans ses questionnaires qu’il posait aux inculpés et témoins. L’insuffisance de preuves matérielles consistantes a été un véritable obstacle majeur pour la poursuite de ce procès retentissant.
Ce facteur a sérieusement ralenti la Cour la semaine dernière à entrer dans la deuxième phase de ce procès, c’est-à-dire les réquisitions et plaidoiries. En plus de l’insuffisance de preuves matérielles, ce procès a révélé des failles considérables dans l’instruction initiale.
En plein procès, le président de la Cour Banassa Sissoko demandait à un accusé d’aller chercher d’autres preuves alors que tout cela aurait dû être fait dès l’instruction.
Au regard de tous ces facteurs sans oublier la cacophonie dans les débats, la Cour n’a eu d’autre choix que de renvoyer ce procès devant la chambre d’accusation de la Cour suprême pour complément d’information avec en toile de fond la comparution des anciens Premiers ministres Oumar Tatam Ly et Moussa Mara, ainsi que Madani Touré, ex-ministre Délégué au Budget. Leurs noms ont suscité de vives critiques, tant de la part des parties civiles que des conseils de la défense.
Vont-ils comparaître devant la chambre d’accusation de la Cour suprême pour être attendus ? C’est la grande question que tout le monde se pose.
Oumar Tatam Ly depuis sa démission de la Primature il y a 10 ans de cela, est retourné à Dakar précisément à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bcéao) où il travaillait avant sa nomination comme chef de gouvernement. Madani Touré selon nos informations se trouve également au Sénégal au compte Bcéao.
Le moins qu’on puisse dire, les prochaines audiences seront décisives pour déterminer l’issue de cette affaire qui continue de couler beaucoup d’encres et de salives.
Si d’aventure le parquet général et le contentieux de l’Etat parviennent à apporter les documents introuvables au niveau du Trésor public et la comparution des personnalités mentionnées, ce procès pourrait atteindre toutes les atteintes c’est-à-dire la manifestation de la vérité. Au cas où le contraire se produisait, il faut s’attendre à une véritable escalade verbale entre les représentants de l’Etat et les conseils de la défense.
Affaire à suivre…
Ousmane Mahamane
Encadré
Fin de quatre mois d’audience
Ouverte en juillet dernier, la Cour d’assises spéciale pour les crimes économiques et financiers, après avoir jugé plus d’une cinquantaine d’affaires inscrites à son rôle, s’apprête à clôturer ses travaux.
Selon nos informations, au terme de quatre mois d’audience, la cérémonie de clôture de cette session dite spéciale de la Cour d’assises largement consacrée aux crimes économiques et financiers est prévue pour ce mardi 15 octobre 2024 à la Cour d’appel de Bamako. Elle va rassembler toutes les autorités judiciaires. Cette cérémonie de clôture dénote que tous les gros dossiers de cette année ont été jugés.
Nous y reviendrons en détail dans notre prochaine parution.