Une semaine avant l’ ouverture du XIX è sommet de la francophonie, à la Cité internationale de la langue française, au château de Villers-Cotterêts, une autre langue, africaine, celle-ci, était à l’honneur au siège de l’UNESCO à Paris: il
s’agit du soninké, une langue Ouest-africaine parlée dans son berceau originel par quelques quatre millions de personnes de Gambie, des deux Guinées, du Mali, de Mauritanie et du Sénégal. Elle est aussi parlée, grâce au dynamisme de sa diaspora, dans d’autres régions d’ Afrique et dans le reste du monde.
Cette réalité n’a, sans doute, pas été étrangère à la décision du Conseil exécutif de l’ UNESCO de déclarer le 25 septembre, journée internationale de la langue et de la culture Soninké (JILS).
Après le Kiswahili, le Soninké est ainsi la deuxième langue africaine à recevoir cette reconnaissance et ce statut.
Le 25 septembre dernier, la première célébration de la JILS a regroupé dans un amphithéâtre de l’ organisation onusienne à Paris, de nombreuses personnalités venues d’Afrique, des diplomates accrédités en France, des universitaires, des chercheurs, des artistes, des généalogistes du Sahel, des parlementaires, des élus locaux issus de la 2è génération d’ immigrants sahéliens, de nombreux amis français et des centaines de militants associatifs engagés, pour certains, depuis des décennies, dans la promotion de la langue et la culture Soninké.
L’histoire des Soninké, et partant de leur langue, est une histoire de dispersion, de migration et de voyage. Depuis la nuit des temps, depuis l’ancêtre légendaire, Maama Dinga, signalé par les généalogistes dans la haute vallée du Nil, dans la région d’Assouan, il y a plusieurs siècles, après ses pérégrinations en Orient: “Yomaniké Dinga”, Dinga du Yémen, “Hindiké Dinga”, Dinga de l’Inde! s’exclament encore aujourd’hui les historiens traditionnels que sont les Gésérés du terroir.
Les Soninké sont à l’origine de la fondation du premier empire sahélien, le Wagadu que les voyageurs et chroniqueurs arabes ont fait connaître sous le nom de ” Empire du Ghana” (entre l’an 568 et 1138) dont la capitale était Koumbi-Saleh. Les ruines de cette ville ont été découvertes par des archéologues en 1913 dans les confins mauritano-maliens. La ville de Oualata dont le site est devenu au 20è siècle une des pires prisons d’Afrique, était, à cette époque, un des principaux entrepôts d’or et de sel, un carrefour des pistes caravanières.
Selon les généalogistes du terroir, la première dispersion des soninké est partie de la punition infligée aux habitants de l’empire suite à la mort du Wagadu-Biida, frère-jumeau de Maghan Jaabé Cissé, fils de Dinga*
Des facteurs objectifs climatiques (les sécheresses) et économiques ( la famine) ont sans doute pesé dans la dispersion des Soninké, dans leur propension à migrer, à voyager.
Les Soninké ont la réputation d’être de grands voyageurs au point qu’eux-mêmes et leurs voisins ont fini par croire que voyager, partir au loin est dans leurs gènes .
Pour expliquer le grand nombre de soninkés dans la diaspora en France , un diplomate sénégalais accrédité à Paris a dit un jour à la chercheuse Adrian Adams : “ceux qui viennent chercher du travail en France appartiennent à une race qui aime voyager”**
Fille de diplomates américains, ayant étudié en Écosse, en France et au Sénégal, Adrian Adams s’est installée à Kounghany, dans le Gadiaga sénégalais, après avoir épousé Diabé Sow, un dirigeant de la confédération paysanne de la région du fleuve Sénégal. Adrian Adams est malheureusement morte lors d’ un accident de la route entre Bakel et Tambacounda en août 2000).
Précurseurs des diasporas sahéliennes en Afrique de l’Ouest, du Centre, en Afrique australe et dans les quatre coins du monde, les Soninké ont fait voyager leur langue et leur culture partout où ils se sont installés. Pacifiquement, dans la tolérance et l’ ouverture d’esprit, dans le respect de leurs valeurs ( la pratique de l’islam, l’entraide et la solidarité) et de celles des pays d’accueil.
Il y a lieu de signaler le rôle éminent des généalogistes, des musiciens et des cantatrices dans la préservation et la diffusion de la langue, de la culture et de l’histoire soninké entretenues depuis la nuit des temps et transmises aux futures générations.
Par leurs chansons, par les récits narrés par les historiens, les musiciens/musiciennes contribuent à perpétuer et à diffuser la culture et la langue soninké.
Langue transfrontalière, le Soninké est devenu, au fil des décennies, une langue internationale parlée dans plusieurs pays africains et sur les cinq continents.
La très entreprenante diaspora soninké est le principal agent de la dissémination et de la vitalité de cette langue.
Allez à Poto-Poto, à Talangaï (Congo Brazzaville), à Kitwe (Zambie), dans le Copper Belt, allez à Lumumbashi au Shaba, allez à Montreuil-Sous-Bois, sur les marchés de Saint-Denis ou de Saint-Ouen, visitez Harlem ou le Bronx, allez à Bangkok (Thaïlande), Ghangzou ( Chine), Djakarta ( Indonésie) ou Tokyo (Japon) vous entendrez parler Soninké. Les émigrés soninké sont de véritables ambassadeurs de la civilisation, de la culture et de la langue de leurs communautés transplantées aux quatre coins du monde!
Constituée notamment de travailleurs, de marchands, d’hommes d’affaires, cette diaspora, par ses réalisations et transferts de fonds, est en outre, le principal partenaire au développement des contrées d’origine, loin devant la coopération multilatérale et bilatérale : forages et adductions d’eau, lieux de culte, centres de santé, écoles, constructions familiales, électrification rurale….
Langue parlée sur les cinq continents, le Soninké devrait recevoir l’attention des radios internationales comme la BBC, la Voix de l’ Afrique ou Radio France Internationale qui ont déjà des programmes en Haoussa, en Kiswahili, en Mandingue et en Fulfuldé.
Il reste aux locuteurs, aux chercheurs et aux universitaires, de faire du Soninké, à l’ère du numérique, une langue de l’ÉCRIT, une langue de transmission de la science, de la technique et des nouvelles technologies.
Tel est l’immense défi auquel les générations actuelles sont confrontées.
L’ Empire de Ghana, Germaine Dieterlen-Diarra Sylla, Khartala, 1992.
Le long voyage des gens du fleuve, Adrian Adams, Maspéro, 1977.