L’unité de soins est aujourd’hui menacée de fermeture faute principalement de médecins spécialistes
Rien ne va plus au Service des urgences de l’hôpital Gabriel Touré. Disons-le- sans exagération : ce service essentiel dans le dispositif du centre hospitalo-universitaire n’est plus que l’ombre de lui-même. « Les autorités ne peuvent pas prétendre qu’elles se soucient de la santé de nos compatriotes. Elles savent très bien ce qui se passe au Service d’accueil des urgences (SAU) de l’hôpital Gabriel Touré. Ce service souffre d’un déficit criard de compétences. Le plateau technique est très mal doté. Nous sommes devenus pour les malades, plus un danger qu’une solution. On pourrait même nous poursuivre un jour pour non assistance à personne en danger. Au regard de toutes ces constats, nous avons demandé à la direction générale de l’hôpital la possibilité de fermer momentanément le service».
Ce cri de cœur est poussé par le Pr Djibo Diango, le chef du Service des urgences en personne. Et même si l’administration hospitalière n’est pas d’accord avec cette mesure radicale, elle reconnaît que l’unité est confrontée à des réels problèmes. Autant en termes de disponibilité de médecins que d’équipements.
Le Service d’accueil des urgences de l’hôpital Gabriel Touré avait rouvert ses portes en 2008, après des travaux de rénovation réalisés par l’Etat et la Fondation Thiam. Cette mise à niveau de l’unité avait suscité beaucoup d’espoirs quant à l’amélioration de la prise en charge des cas urgence. Il faut préciser que l’hôpital Gabriel Touré, du fait de sa position géographique, constitue le premier recours des Bamakois en cas d’urgence. La rénovation porta fruits et le service tournait à plein régime avec 20 médecins. Mais depuis quelques temps, cet élan s’est brisé. Par manque de médecins avant tout. Aujourd’hui, ils ne sont plus que deux médecins, dont le chef du service lui-même, à y officier. Les deux autres qui portaient l’effectif actuel à quatre, viennent de partir pour une spécialisation en médecine d’urgence à Dakar.
Le Pr Djibo Diango est formel : le SAU a un besoin minimum incompressible de 20 médecins. Et il détaille : il faut un médecin pour l’accueil, un autre pour l’hospitalisation, deux pour chacun des 8 boxes des urgences et un autre pour la salle de décochage. Il souligne au passage que le rôle des urgences est de stabiliser le malade, de régler son problème avant de le transmettre à l’intérieur de l’hôpital.
« Il faut une rotation des équipes toutes les douze heures, soit deux équipes par jour. Nous recevons en moyenne 70 malades par jour. Parfois, nous pouvons recevoir le double de ce nombre. 60 à 70% de ces malades sont des accidentés de la voie publique qui viennent souvent avec des traumatismes graves. A deux, nous ne sommes pas en mesure de répondre aux besoins et d’assurer une prise en charge correcte des urgences », tranche le chef du SAU.
EQUIPEMENTS EN PANNE. Djibo Diango dénonce également le manque criard d’équipements de première nécessité comme par exemple le respirateur qui permet d’accompagner les malades en détresse respiratoire. Cet appareil ne coûterait pas plus de 15 millions de Fcfa. Mais le SAU de l’hôpital Gabriel Touré n’en dispose pas. « La mort dans l’âme, nous regardons parfois certains malades en détresse respiratoire mourir sans pouvoir faire réellement quelque chose. La situation est intenable », confie-t-il.
Par ailleurs, le mini laboratoire du SAU qui permettait de faire rapidement sur place les premières analyses dans des situations d’urgence ne fonctionne pas depuis plus d’un an, en raison d’une panne technique et de la non disponibilité des consommables. Et ce n’est pas tout. L’appareil de radiologie est aussi en panne depuis plus de deux ans. « On ne peut pas bien travailler dans ces conditions et moi j’ai envie d’être en harmonie avec ma conscience », plaide le Pr Djibo Diango.
A la direction générale de l’hôpital, l’on dit partager les préoccupations du chef du Service d’accueil des urgences. Elle assure qu’elle a saisi le ministère de la Santé et de l’Hygiène publique pour trouver des solutions afin de pallier rapidement le manque de médecins. Le directeur général adjoint du CHU, le Dr Moussa Sanogo, révèle que le secrétaire général du département est impliqué dans la gestion du dossier et que celui-ci envisage la possibilité d’affecter du personnel militaire à l’unité de soins. Mais pour le chef du SAU, cette option n’est pas la solution puisque ce personnel militaire ne sera pas immédiatement opérationnel. Il faudra le former pendant un temps.
Quant à l’administration de l’hôpital, elle est réservée sur la possibilité de recruter des urgentistes sur ressources propres. « On a des difficultés financières. Ce n’est pas sûr qu’on puisse faire face à de telles charges », explique le directeur général adjoint.
Le Pr Djibo Diango s’insurge contre la gestion des ressources humaines. Il évoque à ce propos l’exemple de deux internes formés au Service des urgences. Ceux-ci ont été par la suite admis au concours d’entrée à la Fonction publique. Ils ont alors été affectés dans les régions malgré la volonté et les efforts faits par l’hôpital pour les garder.
Pour ce qui concerne l’amélioration du plateau technique, le directeur général adjoint du CHU annonce que des actions sont en cours dans ce sens. Le marché pour l’acquisition de deux respirateurs a été passé et ces équipements seront disponibles dans les semaines à venir.
La situation du SAU de Gabriel Touré interpelle fortement les autorités sanitaires. Comment comprendre qu’un service aussi essentiel de l’hôpital le plus fréquenté de la capitale se retrouve dans une situation de décrépitude telle que ses responsables demandent sa fermeture, même momentanée ? Ils le font la mort dans l’âme mais aussi en parfaite connaissance de cause : le bricolage atteint vite ses limites dans des domaines vitaux comme la santé.