Il a participé à la création d’un des tout premiers groupes salafistes dans le Sahara, dans les années 1990, aux côtés de Mokhtar Belmokhtar. Tahaoui, terroriste repenti, raconte à El Watan Week-end, comment l’ennemi public numéro 1 s’est peu à peu détaché d’AQMI pour devenir leader de son propre groupe.
Quand je vois l’importance que les médias donnent à Mokhtar Belmokhtar, je suis toujours étonné. J’ai vécu à ses côtés pendant dix ans et je crois que seul le hasard lui a permis de devenir le terroriste qu’il est aujourd’hui. Belmokhtar est un homme comme les autres. Ce sont les circonstances qui l’ont amené à accepter une mission qu’il pense sacrée. C’est vrai, il maîtrise parfaitement l’art de la guerre et son expérience en Afghanistan a fait de lui un bon commandant militaire. Mais cela ne l’a pas empêché de prendre de mauvaises décisions, et c’est, à mon avis, ce qui l’a empêché d’arriver au sommet des organisations terroristes en Algérie, que ce soit le GSPC, le GIA ou AQMI. Il n’était même pas membre du majliss echoura d’AQMI avant sa dissidence.
Al Qaîda avait besoin de lui pour son expertise de la guerre dans le désert et son réseau de connaissances qui s’étend de la Tunisie jusqu’au Congo. Ce que Belmokhtar a le mieux réussi, finalement, c’est de rester vivant pendant vingt ans de cavale. Il savait très bien qu’après l’arrestation, en 2003, de Abderrezak El Para, il était le second sur la liste. J’ai appris qu’il était entré en contact avec les services de sécurité algériens pour profiter du dispositif de la réconciliation nationale (2006). Je crois que son seul but à l’époque était de rester en vie et de gagner du temps. Il sait entrer en contact et négocier avec tous les bords quand il s’agit de son propre intérêt, qui passe avant ceux de son groupe.
Contrebond
Il a eu des contacts avec des personnalités très importantes au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie, au Mali, en Guinée. Mais on ne peut pas lui faire confiance, car je le sais capable de se débarrasser de ses alliés sans aucun remord. J’ai rencontré Belmokhtar, pour la première fois, en février 2004. Mohamed Halis (voir ci-contre : «Parcours d’un djihadiste») m’avait demandé, ainsi qu’à cinq autres combattants, de nous rendre à Ghardaïa et de rencontrer l’émir Mohamed Bida. Il voulait organiser une opération importante. Mais en décembre 2006, les émirs de Ghardaïa ont été éliminés les uns après les autres. Bida, Msitfa et Ben Abdelnabi. Ce dernier avait ordonné de partager les hommes armés en deux groupes : un sous son commandement et l’autre sous celui de Belmokhtar. Ce dernier a alors décidé de se diriger plus vers le Sud pour protéger ses hommes. Je faisais partie de ceux-là. Nous étions 38 avec 2 voitures et un camion. Heureusement que certains d’entre nous, ceux originaires d’El Ménéa, savaient s’orienter en plein désert.
Le pouvoir nous a offert le désert sur un plateau d’argent, lorsqu’il a détruit, en 1992, la machine de contrebande que gérait Hadj Bettou. C’était un hors-la-loi qu gérait des groupes de contrebandiers armés et bien entraînés de plus de 200 hommes. Chadli et le pouvoir tout entier avaient là un outil non officiel pour contrôler le désert et surveiller les frontières. Mais l’arrestation de Hadj Bettou, ordonnée par Boudiaf, a provoqué une situation de chaos. D’autres groupes de contrebandiers que l’Etat ne contrôlait plus ont émergé. Cela a coïncidé avec notre arrivée dans la région et nous a facilité les choses. Certains éléments de Hadj Bettou nous ont même rejoints, nous avions besoin de leur expérience pour savoir comment bouger dans le désert. Un jour, Belmokhtar n’a plus accepté d’obéir aux émirs et a décidé de rompre son allégeance à Antar Zouabri. Il a alors écrit à plusieurs émirs de l’Est et de l’Ouest. Il a été le premier à désobéir et l’un des premiers à soutenir la dissidence de Hassan Hattab.
Ifoghas
C’est pour cela qu’il se voyait devenir le remplaçant de Hattab à la place de Droudkel. En 1996 et avant la dissidence du GIA, Belmokhtar recevait des messages de Djamel Zitouni lui demandant de s’approvisionner en armes à partir de la Libye et du Niger. Le GIA souffrait d’une crise aiguë d’armement à cause du siège de l’armée. Surtout les armes légères, les RPG et les explosifs. Belmokhtar a donc envoyé quatre hommes de son groupe à Agadez au Niger, et à Gao au Mali, pour ramener des armes bon marché. C’est à ce moment-là que s’est posé un autre problème : celui de l’argent. On avait décidé de voler les véhicules des entreprises publiques et de les vendre au nord du Mali. Hassan Hattab aussi était pour cette idée, ce qui l’a rapproché de Belmokhtar. Les armes étaient transportées du Nord-Mali vers Tamanrasset ou Adrar avant d’être acheminées plus au nord par les groupes de Hassan Hattab. On ne s’aventuraient que très rarement jusqu’à Biskra ou le mont Boukhil à Messaad (Djelfa).
Souvent, les services de sécurité interceptaient ces cargaisons. Des années 1990 jusqu’en 2001, les frontières n’étaient pas autant contrôlées par les services de sécurité. Nous circulions assez facilement. Nous n’étions pas encore installés au nord du Mali bien que depuis 1997, nous avions commencé à préparer des caches à Tigharghar et dans le massif des Ifoghas. Car en 1996, il a fallu fuir les régions où se trouvaient les bases aériennes et les forces spéciales, Ouargla et Laghouat, pour se déplacer vers l’extrême-sud, Tamanrasset et le nord du Mali. Nous avions aussi commencé à entrer en contact avec des officiers et des dissidents de l’armée malienne, parce que là-bas, dès que tu as de l’argent, tu peux tout acheter.
«Enturbannés»
Je n’ai jamais vu Belmokhtar aider un trafiquant de drogues, mais on ne s’opposait pas aux passages des contrebandiers par les zones que l’on contrôlait, parce qu’ils avaient beaucoup d’informations sur le positionnement des forces de sécurité algériennes. Belmokhtar ne voulait pas d’affrontement avec les contrebandiers car il savait que toute l’économie du Sahara repose sur la contrebande. La perturber aurait signé notre fin. Mais en 1999, tout a changé. Belmokhtar a demandé à ses hommes de se rendre dans les maquis du nord de l’Algérie pour transporter des armes mais en leur recommandant de faire un détour par In Salah pour voler des 4x4 d’une multinationale pétrolière très bien gardée par l’armée. Tous les djihadistes ont été décimés par les militaires. C’est là que Belmokhtar est entré en conflit avec le mufti du GSPC.
Plusieurs émissaires ont rencontré à Sid Ali Bounab, à côté de Tizi Ouzou, Hassan Hattab pour se plaindre de l’autoritarisme de Belmokhtar. Ce dernier avait échangé quelques lettres avec le chef du GSPC qui était déjà dans des étapes avancées de contacts avec le pouvoir pour se rendre. Le chef du GSPC a donc décidé d’envoyer Abderrezak El Para comme émir du groupe du Sahara en 2000. En mars 2001, Belmokhtar, à qui Hattab avait exigé de rester au GSPC, nous a réunis pour nous demander de choisir entre lui et le nouvel émir, El Para. Un groupe est parti avec El Para, les plus anciens sont restés avec Belmokhtar qui s’est auto-proclamé émir des djihadistes algériens au Nord-Mali. Lors d’un accrochage avec des gendarmes maliens, ces derniers ont appelé leurs assaillants «les enturbannés». Ce nom a plu à Belmokhtar qui l’a gardé pour le donner à sa katibat. Il s’est marié avec une femme barabiche (tribu arabe des régions frontalières du Sud) pour éviter tout coup bas d’El Para. Un troisième groupe a décidé d’arrêter l’action armée, certains sont même partis au Mali. C’est à ce moment-là que j’ai pensé à me rendre.
Parcours d’un djihadiste :
Après dix ans de «djihad», Tahaoui, 56 ans, s’est rendu aux autorités en 2002. Il vit aujourd’hui à Adrar, où il travaille dans les transports. «Jusqu’en 1993, j’étais enseignant. Les gendarmes m’ont arrêté deux fois parce que certains de mes proches étaient membres du Front islamique du salut. Certains étaient même au GIA. Je suis resté quatre mois en prison alors que la justice n’avait aucune preuve contre moi.»
Après cet épisode, il décide de rejoindre le Mouvement islamique armé, dirigé par Mohamed Saïd et Abdelkader Chebouti. «Mais le MIA n’était pas très présent dans le Sud, qui appartenait complètement au GIA, dirigé à l’époque par Sid Ahmed Mourad alias Djaffar El Afghani. Je connaissais personnellement Mohamed Halis, alias Abou Talha Al Janoubi, l’émir de la seriat de Laghouat, tué par l’armée en 1994. Je l’ai rencontré en 1993 grâce à un membre de l’ex-FIS, à Djebel Lezreg. C’est à partir de là que j’ai commencé mon action armée.»
Aziz M.