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Alphadi Wangara, Imam de la mosquée Sidi Yahiya de Tombouctou : «L’Etat malien, tout comme les Islamistes, doit être jugé par la CPI»
Publié le jeudi 5 juillet 2012   |  Le 22 Septembre


Des
© Getty Images par DR
Des militants Islamistes détruisant un lieu saint antique dans Timbuktu le 1 juillet 2012.


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Le lundi 2 juillet 2012, les islamistes radicaux présents à Tombouctou, s’en sont pris à l’une des portes de la Mosquée Sidi Yahiya. 24 heures après, nous avons rencontré son Iman, qui séjourne actuellement à Bamako. Il s’est dit dans un bon état d’esprit, mais n’a pas manqué de souligner que le gouvernement du Mali était aussi «punissable par la Cour Pénale Internationale (CPI) que ceux qui se sont attaqués aux lieux de culte».

Lundi dernier, des islamistes ont démoli une partie de la mosquée dont vous êtes l’Iman. Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
Alphadi Wangara: Alhamdoulillah! Je me porte très bien, grâce à Dieu. Je suis croyant et je suis dans un bon état d’esprit. Le moral est au beau fixe. C’est vrai que je suis l’Imam de la mosquée qui a été vandalisée, mais je n’en suis pas le propriétaire. C’est la maison de Dieu. Si cette maison de Dieu a été attaquée par des individus inconscients, c’est Dieu seul qui sait quel sort il leur réserve. Et je sais qu’Il ne tardera pas à leur montrer sa puissance.
Quand vous avez appris l’attaque de la mosquée, cela vous a-t-il étonné, choqué… ?
Cela ne m’a pas du tout étonné… Depuis début avril, ils ont investi la ville de Tombouctou et je sais de quoi ils sont capables, car je connais beaucoup d’entre eux. J’ai été appelé très tôt le matin et on m’a dit que les islamistes étaient en train de casser la porte de la mosquée. Je voudrais porter à la connaissance de ceux qui ne le savent pas que cette porte donne, ou plutôt donnait, sur la grande rue qui mène au marché. C’est une porte qui s’y trouve depuis des décennies. En construisant le mur qui clôture la mosquée, on a préféré la laisser en place. Pour revenir à l’acte commis par ces soi-disant musulmans, je voudrais tout simplement dire qu’ils sont passés depuis longtemps à côté de tout ce qu’ils ont annoncé dès leur arrivée à Tombouctou. Ils sont en train de se trahir et de trahir Dieu.

A propos de la porte cassée par les salafistes, beaucoup de choses ont été dites, aussi bien au plan national qu’international. On a même évoqué la fin du monde. Si ce n’est un tabou, pouvez-vous nous édifier?

Ce n’est pas un tabou. Le caractère sacré de la porte a été forgé à travers le temps qu’elle a passé sans être enlevée du mur dans lequel elle se trouvait. Avant, on pouvait l’ouvrir et la fermer. Mais, avec le temps, on a constaté qu’elle ne permettait pas aux fidèles d’accéder directement à l’intérieur de la mosquée. Il y a aussi dans les parages un cimetière. On l’a donc condamnée. Pour que les enfants ne s’en approche pas, on leur a toujours dit que si elle s’ouvrait c’était la fin du monde. Mais, quand on devient adulte, on se rend compte que ce n’est pas le cas.

Les salafistes, eux, sont restés enfant dans leur raisonnement, et ont cassé la porte. Ils sont tombés sur le mur qui se trouve derrière la porte. Ils ont ensuite cassé quelques morceaux de calcaire qui avaient servi à construire le mur. A leur grand étonnement, derrière c’était l’intérieur de la mosquée. Mon adjoint m’a rapporté que les salafistes se sont confondus dans une série d’excuses et d’explications enfantines. Ils lui ont fait savoir que ce sont certains Tomboctiens qui leur avaient raconté qu’il il y avait des choses derrière cette porte. Avant de partir, les islamistes ont remis 50 000 FCFA à mon adjoint, afin qu’il répare les dégâts. Dès qu’il me l’a fait savoir, je lui ai demandé de leur restituer la somme, car nous n’en avons pas besoin.

Malgré tous les actes condamnables auxquels ils se livrent, ils continuent à clamer haut et fort que c’est la véritable Charia islamique…
Pas du tout. Tout ce qu’ils posent comme actes est contraire aux principes de l’Islam. Nous l’avons remarqué depuis le premier jour. A notre première rencontre avec tous les Imans de la ville de Tombouctou, ils ont voulu nous faire croire qu’ils étaient venus pour nous aider à développer l’Islam à Tombouctou. On sait désormais ce que la parole de ces gens vaut. Ils ont pillé la ville. Ils s’en sont pris aux biens publics et privés. Le bien d’autrui est celui d’autrui. Un bon musulman doit respecter aussi bien les personnes que leurs biens. Quand quelqu’un se dit en djihad et vient s’en prendre à ses frères musulmans, c’est tout simplement du banditisme.

Nous les avons rencontrés et nous leur avons fait savoir que nous connaissions les principes de l’Islam. Le Prophète Mohamed (PSL) est venu aux hommes pour leur expliquer la parole de Dieu avec sagesse. Nous leur avons aussi fait remarquer que le seul fait de fouler notre sol, de pénétrer dans les lieux de culte et de circuler en ville, les armes à la main, est condamnable par l’Islam. Enfin, nous leur avons expliqué que le bon musulman sait que, pour imposer la charia, il faut être soi-même juste. Or ces islamistes sont loin d’être des hommes justes. Malgré toutes ces démarches, ils ont toujours donné des explications qui ne tenaient pas la route ou ont fait la sourde oreille.

Dans ce contexte de tension et de peur, comment vivent les Tomboctiens? Comment s’en sortent-ils face à ces radicaux, qui n’hésitent pas à faire parler la Kalach?
On vit très difficilement à Tombouctou. Nous sommes très attachés à notre terre, c’est pourquoi il nous est très difficile de la quitter. Sinon, la situation est insupportable. Rien n’est sûr, c’est l’inquiétude totale. On a l’impression que tout peut basculer à tout moment. On sait désormais que ce sont des bandits armés et de faux musulmans à qui on a à faire. De notre côté, nous n’avons que notre foi et notre courage pour survivre et souvent tenter de les contrer. Le combat est inégal et c’est Dieu qui nous sauve pour l’instant. Ce qui est encore plus révoltant, c’est que ces islamistes radicaux ont décidé de ternir l’image de Tombouctou. C’est une sorte de défiance vis-à-vis de ceux qui ont toujours magnifié la Ville des 333 Saints. C’est de la provocation.

Le MNLA a tout d’abord revendiqué l’Azawad, ensuite Ansar Dine est venu avec sa Charia et contrôle tout actuellement… Face à tous ces problèmes, quelles solutions préconisez-vous?
En bon musulman, quand on a des problèmes de ce genre, on s’en remet à Dieu et on lui demande de préserver la vie de tous ceux qui ne veulent que vivre dans la paix et la quiétude. C’est le premier réflexe. A Tombouctou, c’est actuellement la seule et unique lumière que nous entrevoyons. Incha’Allah, Dieu nous entendra. Il nous épargnera face à ces malfaiteurs, jusqu’à ce que notre pays, le Mali, et ses partenaires trouvent une solution durable aux problèmes que nous vivons au jour le jour.

Justement, parlons de notre pays, le Mali. Tombouctou, jusqu’à preuve du contraire, fait partie du Mali. Il faut donc que le gouvernement bouge. Il faut des actions concrètes pour nous sortir de cette misère. Notre pays devait prendre des mesures depuis très longtemps, mais il a failli. Sur tous les plans. Nous avons cru, jusqu’à ce qu’on vienne nous encercler, que l’Etat était là pour nous protéger, pour garantir l’intégrité du territoire. Si nous avions su que notre Etat était mourant et que le gouvernement actuel était mort-né, nous aurions pris les devants. Aujourd’hui, nous savons que nous étions à la merci de tous les déchets des Etats sahélo-sahariens.. Sinon, comment comprendre que nous ayons dans notre pays des islamistes qui parlent de Charia et que rien ne se passe au niveau de ceux qui nous gouvernent? Pourquoi le gouvernement ne peut-il pas se mettre en rapport avec le Haut Conseil Islamique pour rencontrer ces personnes, qui croient connaître l’Islam plus que ceux qui le pratiquent depuis des millénaires? Je crois que le gouvernement, qui nous gère tous, doit déléguer certaines personnes et accompagner le Haut Conseil Islamique à Tombouctou, Gao et Kidal, pour discuter directement avec ces salafistes. Je sais que si notre pays avait entrepris ces démarches, nous n’en serions pas arrivés à l’escalade de profanations que nous connaissons de nos jours. Depuis que les extrémistes sont arrivés, nous attendons toujours une réaction de ceux qui nous gouvernent. Aucun signe à l’horizon, pour l’instant. Depuis le 1er avril, nous n’avons pas reçu d’aide extérieure, pour discuter avec ceux qui veulent nous imposer leur façon de comprendre l’Islam. Or ce ne sont pas des monstres. Ce sont des hommes comme nous. Nous connaissons ceux qui sont à Tombouctou et leur degré de compréhension. On ne demande qu’un peu de soutien de la part de personnes ressources, afin qu’on joue cartes sur table. C’est une question religieuse et je crois fermement que si les assaillants constatent que Bamako nous épaule, ils y réfléchiront à deux fois avant de poser certains actes. C’est le cas dans les deux autres régions. Hélas ! Pour l’instant, c’est ce qui manque le plus.
On a, un moment donné, parlé de l’aide humanitaire venue de Bamako qui a soulagé les populations de Tombouctou…

A ma connaissance, il y a eu deux convois humanitaires du Haut Conseil Islamique qui nous sont parvenus. Il y a aussi eu des gestes de bonnes volontés ici et là. Mais ce n’est pas la solution à nos problèmes. Cette aide est insignifiante, elle est même moins qu’insignifiante. Il faut tout d’abord tomber d’accord avec Ansar Dine, qui, à son tour, dit que l’aide doit être sécurisée par ses gens… Bref, il faut tout un processus pour faire parvenir quelque chose aux populations. Sans compter que les éléments d’Ansar Dine se servent d’abord, car ce sont des bandits. Quand vous confiez votre bien à un voleur, il faut imaginer la suite. Ils vont sécuriser les dons contre qui? Ce sont eux les malfaiteurs. S’ils n’étaient pas là, on vivrait dans la quiétude. Nous leur avons dit que s’ils partaient, Tombouctou retrouverait à la minute son train de vie normal.

Quel appel lancez-vous aux autorités, à toutes les bonnes volontés, au Haut Conseil Islamique, aux Tomboctiens de Bamako… pour que nous sortions de cette misère, comme vous le souligniez tantôt?

Je demande tout d’abord à l’Etat malien de prendre ses responsabilités. Le plus tôt serait le mieux, car les choses se corsent de plus en plus. C’est à cause de sa faiblesse que nous sommes dans cette situation. J’entends depuis quelques jours que ceux qui ont profané les lieux de culte doivent être jugés par la Cour Pénale Internationale (CPI). Cette Cour doit surtout penser à juger aussi le gouvernement du Mali, qui a mis tout le pays dans un état de déliquescence. Il n’a rien fait pour contrer la menace. Il a laissé faire les choses depuis avril et personne n’a levé le petit doigt. Ils s’assoient à Bamako sous le climatiseur pour lire des condamnations et se payer des voyages. Ce n’est pas la solution. J’ai toujours cru que quand on accepte d’entrer dans un gouvernement, c’est pour poser des actes concrets. Mais je constate maintenant que c’est pour autre chose. Je le répète, tous ceux qui devaient agir et qui ne l’ont pas faits sont punissables par la CPI.

Ensuite, je crois que le Haut Conseil Islamique, même s’il n’est pas une institution comme celles qui sont politiques, doit peser de tout son poids pour forcer le gouvernement à agir. Il doit tendre sa main afin que les choses bougent. Si le gouvernement a peur, les membres du Haut Conseil Islamique peuvent demander un soutien matériel pour aller sur le terrain. Le Haut Conseil doit dire ceci: «puisque ceux qui sont chez nous se disent musulmans et que nous ne sommes pas avec leurs pratiques, allons les voir et discutons avec eux. Soit ils nous prouvent qu’ils ont raison et nous les suivons, sans menaces ni armes, soit ils nous comprennent et s’alignent». Ce n’est pas sorcier! On connait la Charia et on sait ce que le Prophète Mohamed (PSL) nous a enseigné. Celui qui veut ajouter ou retirer quelque chose de ces enseignements, ne fait que sa Charia à lui.

Je finirais par les Tomboctiens qui sont à Bamako et qui, souvent, collectent des dons pour leurs proches. C’est bien, mais je crois que le plus important est d’aller sur place voir dans quelles conditions ils vivent. Il faut former des délégations pour aller soutenir moralement ceux qui sont restés. La route n’est pas fermée. Chaque jour, des véhicules vont et viennent. Pourquoi les ressortissants des trois régions du Nord ne vont-ils pas rendre visite à leurs parents? On ne peut pas rester à distance et gérer un problème. Il faut vivre le problème pour pouvoir mieux le cerner et, surtout, le résoudre. Les dons ne sont qu’une solution superficielle. Quand vous envoyez à manger à quelqu’un qui est angoissé, il n’a ni l’appétit, encore moins le courage, de goûter ce que vous lui avez donné. Même s’il s’alimente, c’est tout simplement pour se remplir le ventre et survivre. Nos frères doivent donc venir nous voir. C’est ce qui évitera une escalade de la violence.

Propos recueillis par Paul Mben

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