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Dr. Seydou Bah, nutritionniste : « La malnutrition progresse au Mali »
Publié le mercredi 22 octobre 2025  |  Mali Tribune
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La malnutrition (environ 11,6% des enfants âgés de 6 à 59 mois souffrent de malnutrition aiguë globale, Smart 2024), l'obésité et les maladies non transmissibles croissent au Mali.

Des acteurs de la société civile, dont l’Association Nutrimali, s’engagent pour une alimentation saine et durable à travers des activités d’information et de sensibilisation. A l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, l’édition 2025, son président, Dr. Seydou Bah, spécialiste en santé publique et nutrition, nous a accordé une grande interview au cours de laquelle il fait le diagnostic des défis à relever pour gagner ce combat.


Mali Tribune : Le Mali, à l’instar des pays du monde, a célébré l’édition 2025 de la journée mondiale de l’alimentation. Quel regard portent les professionnels en nutrition sur notre alimentation au Mali ?

Dr. Seydou Bah : Je voudrais avant tout faire un aperçu de manière globale sur l'alimentation.

Quand on parle de l'alimentation, il faut savoir qu’elle est définie comme étant la production, la transformation, la préparation, la distribution, mais également l'ingestion des denrées alimentaires. L’alimentation est considérée comme un processus mécanique, mais également un processus chimique.

L’alimentation est constituée essentiellement des aliments du règne végétal et animal. Son premier but est d'assurer les besoins énergétiques, c'est-à-dire les besoins en macronutriments, les glucides, les liquides et les protéines, mais également les besoins qualitatifs, c'est ce qu'on appelle les micronutriments, (les vitamines, les minéraux). C'est le premier but de l'alimentation.

L'alimentation est basée également sur une triade. Elle est faite pour répondre aux besoins physiologiques, c'est notre première triade.

Si tu veux travailler, faire des tâches, il faut vraiment avoir de l'énergie. L’énergie c'est à travers l'alimentation. L’alimentation est une question culturelle et traditionnelle aussi. Quand vous prenez, par exemple les peulhs, ils vont parler du lait. Les soninkés du couscous et les songhaïs du fakoye.


Pour notre troisième triade, l’alimentation est une question également de préférence ou de goût. Je peux être un peul et ne pas avoir de préférence pour les produits laitiers. etc. Par rapport à la question de l’alimentation au niveau mondial, la FAO a publié en 2025, un rapport sur l'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde.

Et dans ce rapport, plus de 673 millions de personnes, soit 8,2 % de la population mondiale, ont souffert de sous-alimentation chronique en 2024. L'Afrique en elle seule en compte plus de 40 %, soit environ 307 millions de personnes.

Dans le même document, en 2024, il ressort que 28 % de la population mondiale a connu une insécurité alimentaire modérée ou grave. Et plus de 2,60 milliards de personnes n'ont pas les moyens de s’offrir une alimentation saine, c'est-à-dire une alimentation de qualité, qui répond aux besoins nutritionnels, sanitaires et aux normes.

Au niveau national, selon les projections du Commissariat à la sécurité alimentaire (datant de novembre 2024) entre le mois de mai et le mois d’août, environ 1 470 114 personnes auraient besoin d'une assistance alimentaire parce que ces personnes étaient dans l'insécurité alimentaire nutritionnelle. C’est-à-dire que pendant cette période, les estimations disaient qu'environ 1 470 114 personnes étaient en insécurité alimentaire et nutritionnelle au Mali.


Mali Tribune : comment se portent nos assiettes aujourd’hui ?

Dr. S. B. : C'est un peu difficile à répondre. Mais nous pouvons parler de l’état des assiettes à partir de nos propres données, études et également de nos connaissances du milieu de nutrition.

Il faut savoir qu'aujourd'hui, que ce soit au Mali et partout dans le monde, le monde fait face à une transition alimentaire qui est un changement dans les modes de production et dans les modes de transport et tout ce qui est en lien avec le système alimentaire.

Le monde fait face aussi à une transition nutritionnelle. Un changement profond dans nos habitudes alimentaires, dans nos habitudes d'achat.

Mali Tribune : Notre alimentation est dominée par quoi ?

Dr. S. B. : Nos assiettes sont dominées par des aliments qui sont très gras, hyper sucrés, hyper salés également. Et ces aliments sont des facteurs de risque des maladies chroniques non transmissibles, notamment le diabète, l'hypertension artérielle et certains types de cancers.

Cela reflète également les données épidémiologiques qui circulent dans le pays, qui montrent une forte augmentation de l'obésité également. C’est le résultat également du changement dans notre assiette. La composition de l'assiette a changé, nos habitudes de vie aussi. Et il n'existe pas vraiment une grande différence entre les zones urbaines et les zones rurales. Nous avons presque les mêmes modes d'alimentation.


Et pour revenir sur ça, aujourd'hui, préparer un plat de tô coûte plus cher que préparer un plat de macaroni ou de spaghetti. En plus c’est rapide et moins contraignant. C'est le résultat de la transition alimentaire et nutritionnelle.

Mali Tribune : Quelles sont les dangers ou conséquences d’une mauvaise alimentation ou mal équilibrée sur la santé ?

Dr. S. B. : Les résultats d’une mauvaise alimentation ou déséquilibrée d'une manière par défaut, c'est-à-dire une alimentation où vous n'avez pas quand même ce qu'il vous faut dans l'organisme à la maison, vous allez avoir une malnutrition par carence.

Et là, vous allez voir que c'est des personnes qui souffrent de maigreur. Et généralement, on voit beaucoup de ces cas au Mali. La malnutrition aiguë modérée est un vrai problème de santé publique dans notre pays.

Mais également, quelqu'un qui mange au-delà des besoins de l'organisme, c'est l'excès. Le premier résultat, c'est le surpoids qui va venir. Et après, c'est l'obésité.

Et on sait que l'obésité, c'est le stade également ou surviennent certains types de maladies comme le diabète, l'hypertension artérielle. Les dangers d'une mauvaise alimentation se trouvent à ce niveau.


Ici, on parle de carence ou d'excès, mais on oublie également les carences en micronutriments, c'est-à-dire les carences en vitamines et minéraux. Aujourd'hui, vous allez voir une personne qui dit que je suis bien nourrie, mais attention, elle a un manque de vitamines. Pourquoi ? Parce qu’elle ne consomme pas de fruits et de légumes. Oui, elle peut manger du poulet et un peu de tout mais il ne mange pas de fruits.

Il préfère aller s’acheter un jus en carton pensant qu'il consomme des fruits. Non, il consomme en réalité que des sucres et des colorants.

La consommation des fruits et légumes est très importante aujourd'hui pour nos populations et surtout dans un contexte où les maladies chroniques non-transmissibles sont en train de prendre une place.

Mali Tribune : Que faire pour améliorer la qualité de l’alimentation au Mali ?

Dr. S. B. : La qualité de l’alimentation se détériore partout dans le monde et fait face également à plusieurs défis, notamment dans l'organisation des systèmes alimentaires et également par rapport à l'offre.

Par exemple, nous voyons qu'aujourd'hui, l'accès est plus facile aux aliments qui sont ultra transformés, c'est-à-dire des aliments emballés et des industries agroalimentaires.


Alors que ces aliments sont vraiment pauvres en vitamines et minéraux. Ce sont des aliments qui n'apportent pas de valeur sanitaire pour l'organisme et sont risqués pour notre santé. Donc, il faut aujourd'hui travailler sur le système alimentaire.

Mali Tribune : En faisant quoi ?

Dr. S. B. : En aidant les producteurs, surtout les petits producteurs, à pouvoir avoir des champs d'action plus élargis. Il faut aller vers la mécanisation de l'alimentation, surtout en milieu rural, en investissant sur des projets agroalimentaires qui sont sensibles à la nutrition et non des projets agroalimentaires juste pour produire et répondre à une demande.

Ces projets doivent respecter d'abord l'environnement et les qualités nutritionnelles également. Et quand on respectera les deux critères, je pense qu'on peut vraiment relever ce défi.

Autre point. Il faut mettre en place un plan national pour soutenir les projets jeunes dans le secteur agroalimentaire. Viabiliser les zones de culture et les inciter à aller travailler dans ces zones-là.

En valorisant les produits locaux, ça répond à un besoin, mais ça va aussi aider les producteurs et ceux qui sont dans les chaînes de transformation à pouvoir s'en sortir. C’est des projets nutritionnels, mais également d'autonomisation des femmes et des jeunes.


Je voudrais mettre l’accent sur des ressources humaines qualifiées sur les projets de nutrition. On ne peut pas comprendre qu'en tant que nutritionnistes, de voir des personnes qui ne sont pas des nutritionnistes, ni du corps de la santé, qui gèrent des programmes d'alimentation et de nutrition, c'est très déplorable. C'est des défis à relever.

D'autres défis aussi à relever dans le cadre de l'alimentation au Mali, il faut promouvoir la consommation des fruits et légumes. C’est très important.

L'État pourrait faire des politiques, surtout en soutenant également les femmes qui sont majoritaires dans les actions de maraîchage, et en développant des coopératives de maraîchage pour aller vers des fruits et légumes, les valoriser beaucoup, et mettre cela à la disposition de la population.

Pour cela, il faut quand même faire des campagnes de publicité, travailler avec les médias et les spécialistes afin d’amener le changement de comportement.

Et il faut surtout, mettre en place des actions de l'éducation nutritionnelle dans nos écoles, pour apprendre à la jeune génération les B-a-bas d’une bonne alimentation et son importance.

Toujours pour des défis à relever, aujourd'hui dans les écoles publiques, surtout en milieu rural, il faut également développer les jardins communautaires et scolaires également.

Ces jardins scolaires pourront également servir d'approvisionnement à ces cantines scolaires, mais également permettre à ce que ces cantines puissent être approvisionnées par d’autres produits locaux.

Face à cette situation économique et multifactorielle, il est important de même de disposer des cliniques communautaires. Ces projets ont été testés ailleurs et ça a donné des résultats. Je pense qu'on n'invente pas quelque chose. On peut s'adapter et avoir un concept qui est adapté pour le Mali.

Mali Tribune : L’Association des jeunes nutritionnistes mène-t-elle des actions dans ce sens pour changer la donne ?

Dr. S. B. : L’Association Nutrimali depuis sa création est en train de faire beaucoup d'activités d'information et de sensibilisation, mais malheureusement, ce sont les acteurs qui ne sont pas du domaine qui sont invités à la table des négociations, de prise de décision ou également de proposition.

L’Association Nutrimali n’a jamais reçu de subvention pour le moment. Nous menons nos activités sur les contributions personnelles des membres et nous allons continuer toujours à le faire.

Avec l'Association malienne pour la santé et l'action, nous sommes en train d'élargir notre champ d'action en s'attaquant actuellement sur les maladies non transmissibles. Nous remarquons qu’on est plus sur la malnutrition aiguë mais, l'obésité est en train d'augmenter et les maladies non transmissibles aussi malheureusement.

En 2022, nous avons mené une étude dans à peu près 80 lycées du district de Bamako sur 2 400 lycéens. Nous avons trouvé une prévalence de l'obésité qui était à 17,4 % et dont une grande partie quand même étaient les filles.

Et dans cette étude également, nous avons identifié certains facteurs de risques de l'obésité chez les lycéens du district de Bamako, notamment la consommation de boissons énergisantes. A peu près 60 % des lycéens consomment des boissons énergisantes, grignotent ou sautent des repas. C'est vraiment une catastrophe à laquelle il faut réagir rapidement.

Comme conseils, il est vraiment important de sensibiliser les parents au respect également des repas, surtout avant d'aller à l'école et surtout d'éviter de donner des boissons sucrées, des biscuits, des chips aux enfants.

Mali Tribune : En marge de la journée internationale de l’alimentation 2025, la FAO a plaidé pour une alimentation saine et abordable, pensez-vous que c’est possible au Mali ?

Dr. S. B. : Au Mali, les autorités depuis des années travaillent sur comment offrir une alimentation de qualité et permettre à tous les citoyens du pays, partout sur le territoire national, d'avoir accès à une alimentation de qualité mais également à un coût abordable.

L’état a fait un travail considérable à travers la mise en place du système d'alerte précoce. C’est un outil très important de prise de décision pour le gouvernement, mais également pour les bailleurs pour les organisations internationales, mais également pour les organisations de la société civile comme nous, pour pouvoir parler avec des preuves et d’intervenir aussi dans des zones en fonction des besoins.

En tant que professionnel du domaine, je pense qu’il faut mettre en place la direction nationale de l'alimentation qui sera directement reliée à la primature.

Présentement, l'alimentation est quand même au niveau de la santé et ça pose un petit problème parce qu'il y a le ministère de l'agriculture, de l'environnement qui intervient parce que l'alimentation est transversale.

Il faut que chaque programme de nutrition soit adapté à la région ou à la zone et non un programme global. Avec ça nous allons produire des résultats probants. Une direction nationale de l'alimentation pourra répondre efficacement aux défis et assurer une bonne coordination des programmes.

Je voudrais finir par cette citation d'Hippocrate qui disait que « que ton aliment soit ton médicament ». Ça donne à réfléchir pour dire que notre alimentation, oui, c'est pour répondre à des besoins nutritionnels, mais quand vous avez des aliments de qualité, une alimentation équilibrée, vous avez accès à un médicament.

Pour gagner ce combat d’insécurité alimentaire et nutritionnelle dans notre pays, il faut des ressources humaines de qualité partout sur le territoire national.

Propos recueillis par

Kadiatou Mouyi Doumbia

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