Me Amidou Diabaté s’est éteint le vendredi 10 octobre 2025 à l’âge de 74 ans. Ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice, l’homme est un acteur de premier plan du Mouvement démocratique, pour avoir commencé le combat de la démocratie dès le lendemain du sommet de La Baule.
Membre fondateur du Cnid/Association, il avait prédit très tôt la traque de ceux-là qui s’opposeraient au régime dictatorial du général Moussa Traoré, tout en demandant le pluralisme politique. La suite des événements lui donna raison. Et à juste titre !!!
Amidou Diabaté a mené le combat de la démocratie dans notre pays avec les Me Demba Diallo, Drissa Traoré, Bakary Karambé, Abdramane Baba Touré, les mouvements de jeunesse comme l’AJDP, l’Adide, la JLD.
Le vendredi 22 mars ou vendredi noir pour d’autres il fut le premier leader du Mouvement démocratique à intervenir sur les antennes de Radio France International, pour dénoncer la répression qui s’abattait sur les manifestants.
Sa voie glaciale, teintée d’une grande dose d’émotion, traduisait l’ampleur des crimes d’un régime aux abois. C’est après cette interview à partir de la Bourse du travail que Me Amidou Diabaté et ses compagnons de lutte se sont réunis pour la conduite à tenir : visite aux malades à l’hôpital Gabriel Touré et définition d’une stratégie pour la suite des événements, c'est-à-dire ne rien lâcher au point du non-retour.
C’est dans cette dynamique que Me Amidou Diabaté fera partie de la délégation du Mouvement démocratique chargé de demander au président Moussa Traoré de démissionner du pouvoir. La suite est connue, un coup d’Etat met fin à 23 ans de dictature, et le Conseil de réconciliation nationale (CRN), sous la houlette du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, rencontre les leaders syndicaux pour discuter de l’avenir immédiat du pays.
Magistrat de son état, Amidou Diabaté juridiquement ne pouvait être un politicien de premier plan. Il fait une transposition pour être avocat. Son véritable baptême de feu fut le procès "crimes de sang" qui s’ouvre pour la première fois le 4 juin 1992, avant d’être reporté en raison d’incidents survenus. Me Diabaté fait partie du bataillon d’avocats des parties civiles, c'est-à-dire les victimes de la répression des événements du 26 mars 1991. C’est d’ailleurs lui qui entame en premier lieu les plaidoiries après une journée d’incidents, de suspension. Que s’était-il passé ?
A la veille des plaidoiries et des réquisitions du ministère public, la défense, dirigée par Me Siby présente des conclusions : la ré-audition de certains témoins pour une confrontation avec certains accusés, la présentation des registres des entrées de la présidence, des sorties de munitions et de l’hôpital Gabriel Touré.
Face à ces exigences, le parquet, représenté par Manassa Danioko, et les avocats des parties civiles s’en remettent à la sagesse de la Cour, dirigée par l’imperturbable Mallé Diakité.
En signe de désapprobation du rejet de leurs demandes, les avocats de la défense décident de se déshabiller pour toute la journée. Face à cette attitude radicale, une nouvelle suspension calme les ardeurs, mais immédiatement l’audience est de nouveau suspendue à la demande des parties civiles. Motif invoqué : concertation avec toutes les parties civiles des événements malheureux.
Le porte-parole des avocats des parties civiles, le Burkinabé Me Titinga Frédéric Pacéré plante le décor et Me Amidou Diabaté prend la parole en ces termes "Monsieur le président, messieurs les juges conseillers, honorables assesseurs, j’ai l’honneur de me présenter devant votre Cour pour défendre les intérêts des victimes, de toutes les victimes de la répression de mars 1991, qui se sont constituées parties civiles devant votre auguste Cour".
Dans une brillante et éloquente plaidoirie, il soutient que le "procès crimes de sang" est loin d’être celui de l’armée malienne. "Cela est une insulte qu’il faut rectifier. En aucun moment les parties civiles n’ont accusé l’armée, mais elles en veulent plus aux donneurs d’ordres".
Justice, paix et conciliation
Après cette mise au point, Me Amidou Diabaté explique les différents chefs d’accusations retenus contre les 33 accusés avec leur tête l’ancien président, le général Moussa Traoré. Ce qui lui a permis de dégager deux problèmes à résoudre. D’une part, est-ce que les faits dont la Cour est saisie sont suffisamment caractérisés pour rentrer dans ces qualifications. D’autre part, l’imputabilité de ces chefs d’accusations aux mis en cause est-elle justifiée ?
Concernant la réalité des massacres, Me Amidou Diabaté indique que les débats à la barre ont démontré qu’ils ont été préparés et programmés par le régime. Autrement dit, il a massacré pour se maintenir au pouvoir. Il s’offusque cependant du fait que l’ex-président qualifie le Mouvement démocratique de prétendue démocrate avec des accusations contre François Mitterrand et l’ONG France Liberté. Selon lui, les faits sont patents. Bref, Me Diabaté déblaie le terrain pour les avocats des parties civiles. Sa plaidoirie nous a beaucoup marqué.
Me Amidou Diabaté est de la promotion 1970-1974 de l’Ecole nationale d’administration. Diplômé de l’Ecole de magistrature de Bordeaux, il est aussi détenteur d’un doctorat de 3e cycle obtenu en France. Ancien directeur des études à l’Institut national de formation judiciaire, il fut enseignant de droit à l’ENA. Député du cercle de Kita de 2007 à 2012, Me Diabaté a assumé les fonctions de garde des Sceaux, ministre de la Justice à deux reprises.
Ces derniers temps avec l’âge et la morosité de l’actualité politique, il se faisait discret. Dans le cadre de la rubrique "Que sont-ils devenus ?" nous l’avions sollicité à travers un ami, son coreligionnaire du quartier. Comme s’il savait que la fin de la partie n’était pas loin, il a gentiment décliné notre invitation.
"Je ne voudrais pas du tout faire de déclaration publique. Dans ce pays les choses ne sont pas faciles, ma prise de parole quelle que soit la tribune peut être mal interprétée ou incomprise. Nous avons vécu beaucoup de choses, donc la logique voudrait bien que nous observions le droit de réserve pour ne pas déranger, fut-il de façon involontaire".
Malgré sa posture, nous comptions passer le voir avec les audio de sa plaidoirie et l’interview qu’il a accordée à RFI aux premières heures des événements du 26 mars 1991 pour le convaincre de nous accorder une interview pour lui démontrer que nous sommes témoin de son parcours. Hélas !!! Le bon Dieu l’a décidé autrement. Paix à son âme !!!
Une certitude cependant : nous gardons de lui l’image d’un homme très respectueux et humble. Oui Me Amidou Diabaté venait au siège du journal "Le Républicain" avec son compagnon feu Tiébilé Dramé. A l’époque nous étions à nos débuts dans la presse en 1998 et il nous traitait avec beaucoup de respect et de considération alors qu’il était au sommet de son art.