Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Bamako en mode débrouille : Quand les aides ménagères rentrent au village, les foyers vacillent
Publié le jeudi 20 novembre 2025  |  Mali Tribune
Comment



Chaque année, à l’approche de l’hivernage et des grandes vacances, Bamako vit une migration silencieuse mais lourde de conséquences : le départ massif des aides ménagères vers leurs villages.

Ce retour aux sources, souvent motivé par des raisons familiales, agricoles ou matrimoniales, plonge de nombreuses ménagères urbaines dans l’angoisse et la surcharge domestique. Entre déséquilibre des foyers, pénurie de main-d’œuvre et tensions sur le marché informel, cette période révèle les fragilités d’un système reposant sur des jeunes filles devenues indispensables.


A Bamako, les aides ménagères appelées localement "52" sont omniprésentes dans les foyers. Mais dès les premières pluies, elles disparaissent progressivement, retournant dans leurs villages pour retrouver leurs proches, participer aux travaux champêtres ou préparer leur trousseau de mariage. Ce départ, bien que légitime, crée un vide difficile à combler pour les ménagères urbaines, souvent débordées par les tâches domestiques.

"Je remercie Dieu de m’avoir donné des filles. Elles gèrent la maison en mon absence, mais la lessive reste un vrai défi", se contente Adja Touré, caissière et mère de famille.

Trouver une aide-ménagère pendant l’hivernage devient un véritable parcours du combattant. Les jeunes filles reviennent en petit nombre, souvent déjà recrutées dès leur arrivée. Certaines sont proposées par des agences ou via les réseaux sociaux, moyennant des frais de mise en relation allant de 5 000 à 10 000 F CFA.

Ce marché informel, parfois lucratif, engendre aussi des tensions et des malentendus entre offre et demande.

"Alima, mon aide-ménagère, est harcelée par sa famille pour rentrer au village et se marier. Je suis mère de cinq enfants et travaille en entreprise. Sans elle, c’est un cauchemar", raconte Fatoumata Sissoko, employée dans la téléphonie.

Selon Maïmouna Traoré, ancienne fonctionnaire, de nombreuses jeunes filles ne rentrent plus directement au village. Elles préfèrent se diriger vers les zones d’orpaillage à Kayes, Koulikoro ou Sikasso, attirées par l’argent facile.


A ses dires, certaines tombent dans des dérives, comme la prostitution, espérant accélérer leur autonomie financière. Pourtant, les revenus licites qu’elles gagnent à Bamako suffiraient souvent à construire leur avenir avec dignité. Découvrir Bamako

Une reconnaissance encore fragile

Les salaires des aides ménagères ont connu une nette amélioration, passant de 7500 F CFA à parfois 50 000 FCFA pour les cas les plus exceptionnels.

L’Association de défense des droits des aides ménagères et domestiques (Addad) veille à la promotion de leurs droits et à leur protection contre les abus.



MME DEMBELE MARIAM SANOGO, MENAGERE

"Leur présence est précieuse et leur retour est légitime"

Dans cette interview, Mme Dembélé Mariam Sanogo partage son vécu face au départ saisonnier des aides ménagères et les défis qu’il impose aux femmes actives. Entretien.

Mali Tribune : Qu’est-ce qui poussent les aides ménagères à rentrer au village pendant l’hivernage ?


Mariam Sanogo : C’est souvent la nostalgie, la fatigue, le besoin de retrouver leurs proches. Certaines veulent simplement se reposer avant les travaux champêtres. D’autres sont épuisées par la vie à Bamako ou par leurs patronnes. Leur départ crée un vrai vide dans les foyers. Certaines femmes deviennent totalement dépendantes de leurs aides, au point qu’on dirait que c’est la "bonne" qui est la véritable maîtresse de maison. Pendant l’hivernage, qui coïncide avec les grandes vacances et les pluies, elles passent leur temps à se plaindre.

Mais il y a aussi des femmes courageuses qui jonglent entre les tâches ménagères et le travail de bureau. Pour elles, cette période est un vrai calvaire. Travailler sous la pluie, gérer seule une famille entière, puis aller au bureau… c’est épuisant. Certaines aides restent pendant l’hivernage, mais c’est rare. Et même si elles ne font pas tout, leur présence soulage énormément.

Il faut aussi comprendre que ces jeunes filles passent des mois, parfois des années, loin de leurs familles. Leur retour est légitime. Elles ont le droit de retrouver les leurs.

Mali Tribune : Pourquoi avoir choisi d’employer une aide-ménagère ? Est-ce indispensable ?

M. S. : Je suis une femme active, mère de famille nombreuse, et je ne suis pas toujours à la maison. Une aide-ménagère m’est indispensable pour m’en sortir au quotidien. Elle m’aide à maintenir l’équilibre entre mes responsabilités professionnelles et familiales. Même si son travail est limité, il m’allège énormément. Surtout quand on n’a pas d’enfants assez grands pour aider, leur présence est précieuse.


Mali Tribune : Quels types de tâches leur confiez-vous ?

M. S. : Je suis très attachée à la propreté. Mes aides font les tâches élémentaires : balayer la cour, cuisiner le riz, faire la vaisselle. Mais je garde pour moi le nettoyage de ma chambre et la lessive. Je préfère m’en occuper personnellement.

Mali Tribune : Combien d’aides avez-vous employées ?

M. S. : J’en avais deux auparavant, mais aujourd’hui une seule suffit. Beaucoup de membres de la famille ont déménagé, donc les besoins ont diminué. On cuisine moins, on gaspille moins.

Mali Tribune : Quel est leur salaire mensuel ?

M. S. : Cela dépend de leur âge, de leur endurance et des tâches confiées. Celle que j’ai actuellement a moins de 15 ans, je lui paie 1 5 000 F CFA. À Baguinéda, où je vis, elles sont difficiles à trouver. À Bamako, les salaires tournent autour de 10 000 à 12 500 F CFA. Mais dans les zones reculées comme Kati ou Samaya, ça peut monter à 30 000 F CFA. Moi, je ne dépasse jamais 15 000 F CFA. Je fais avec les moyens du bord. Découvrir Bamako

Mali Tribune : Leur départ vous préoccupe-t-il ? Quelles sont les difficultés sans elles ?

M. S. : Alhamdoulillah, je suis une femme confiante. Avec ou sans aide, je gère mes tâches. Leur départ n’est pas la fin du monde. C’est juste une charge supplémentaire. C’est notre devoir, en tant que femmes mariées, de gérer notre foyer. La vraie difficulté, c’est la paresse. Si tu es organisée, tu t’en sors. J’ai une sœur qui n’a jamais eu d’aide-ménagère depuis 20 ans. Elle a élevé ses enfants seule, sans jamais dépendre de quelqu’un.


Mali Tribune : Avez-vous déjà recruté via une agence ou les réseaux sociaux ?

M. S. : Oui, j’ai longtemps recruté via l’agence de Madame Urbain à Quartier-Mali, l’une des premières à Bamako. Mais depuis mon déménagement à Baguinéda, j’ai arrêté. Les filles ne travaillaient plus comme avant. Par contre, je n’ai jamais recruté via les réseaux sociaux. C’est une arnaque. Tu paies 5000 ou 10 000 F CFA sans garantie, et souvent elles refusent de travailler ou de rester chez toi.



MICRO-TROTTOIR

Entre débrouille et désarroi

Dans les quartiers de Bamako, le départ des aides ménagères à l’approche de l’hivernage et des grandes vacances crée un déséquilibre palpable dans la vie quotidienne. Ce phénomène, observé depuis près de huit ans, suscite des réactions contrastées entre résignation, adaptation et inquiétude. Pour mieux comprendre son impact, nous avons tendu le micro à des ménagères et citoyens ordinaires.

Kadia Dia (commerçante) :

"Ce n’est plus nouveau pour moi. Depuis deux ans, je ne prends plus d’aide-ménagère. Mes clients viennent directement à la maison pour acheter mes produits, donc je n’ai plus besoin d’aller en ville. Avant, je les engageais pour m’aider à vendre et faire quelques tâches domestiques, mais aujourd’hui, ma nièce s’en occupe".


Aminata Konaté (enseignante) :

"Ces jeunes filles sont aussi des enfants d’autrui. Elles ont pleinement le droit de retourner voir leurs proches après tant de temps loin de leur famille. C’est une bonne chose qu’elles puissent se divertir, dissiper leur manque et reprendre leur souffle avant de revenir à Bamako, comme le disent les anciens". Découvrir Bamako

Assan Doumbia (fonctionnaire) :

"Le retour de mes aides au village me pèse énormément. Elles sont mes bras et mes jambes quand je suis au travail ou en mission. Je m’étais organisée pour qu’elles gèrent tout en mon absence. Leur départ me plonge dans la confusion et le désordre".

Safiatou Camara (femme au foyer) :

"Rien qu’à entendre mes aides m’annoncer leur départ, je me sens oppressée. Je vis dans une grande famille où nous ne sommes que trois belles-filles. Les tâches ménagères sont lourdes, surtout quand c’est ton tour de cuisine. Personne ne t’aide, tu es livrée à toi-même. Je redoute cette période chaque année".

Adjaratou Kondé (ménagère) :

"Depuis mon mariage, je n’ai jamais pris d’aide-ménagère. Je n’en ai pas les moyens, et je suis encore assez vigoureuse pour gérer mes tâches. Les bonnes d’aujourd’hui sont trop coûteuses et peu efficaces. Certaines te font monter la tension à force de discuter. Pour moi, c’est une perte de temps et d’argent".



Dossier réalisé par

Fanta Traoré

(stagiaire)

Commentaires