Parler de santé mentale au Mali reste un sujet délicat, souvent enveloppé de silence, de honte et de méconnaissance.
Entre croyances religieuses, pratiques traditionnelles et médecine moderne encore marginale, les personnes souffrant de troubles psychologiques se retrouvent piégées entre trois mondes qui peinent à dialoguer.
Dans de nombreuses familles maliennes, évoquer la dépression, l’anxiété ou les troubles psychotiques relève presque de l’interdit. Le langage courant assimile encore la maladie mentale à la "folie", au "djinn" (possession par un esprit) ou à une malédiction. Résultat : les malades sont marginalisés, parfois cachés, et l’accompagnement psychologique reste largement absent.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 80 % des personnes souffrant de troubles mentaux en Afrique subsaharienne n’ont pas accès à des soins adaptés. Au Mali, on ne compte qu’une dizaine de psychiatres pour plus de 20 millions d’habitants, concentrés principalement à Bamako, notamment à l’hôpital du Point G.
Dans les régions, ce sont souvent les généralistes ou les infirmiers qui improvisent une prise en charge.
La religion joue un rôle central dans la perception de la souffrance psychique. Beaucoup de familles y voient une épreuve spirituelle, un manque de foi ou une attaque invisible. Les imams et marabouts sont alors sollicités pour des séances de prière, des ruqya (exorcismes) ou des bénédictions.
"Quand une famille m’amène un malade, je lis le Coran sur lui et je conseille aussi aux proches de garder patience. Mais je leur dis toujours que si ça ne va pas mieux, il faut aller voir un médecin. La foi et la science doivent marcher ensemble ", confie un imam à Bamako.
Les tradipraticiens représentent également une première étape pour de nombreuses familles. Plantes, bains mystiques, sacrifices d’animaux ou isolement temporaire du malade font partie des thérapies proposées. Mais certaines pratiques restent préoccupantes : dans certaines localités, des personnes souffrant de troubles psychiques sont encore enchaînées ou séquestrées, sous prétexte de protection. Une enquête de Human Rights Watch en 2020 a révélé que ce phénomène persistait dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, y compris au Mali.
Cela dit, tout n’est pas à rejeter. Certains guérisseurs offrent une forme d’écoute et de soutien communautaire qui fait parfois défaut dans les structures hospitalières.
Face à ces perceptions, la médecine moderne peine à s’imposer. Les consultations psychiatriques ou psychologiques sont rares et coûteuses : entre 5 000 et 10 000 FCFA au Point G, une somme souvent inaccessible.
Souvent, les familles ne consultent un médecin qu’en dernier recours, quand le malade est déjà à un stade critique. Elles ont tenté la prière, le marabout, le guérisseur… et arrivent ensuite, désespérées.
Pour briser le tabou, plusieurs acteurs plaident pour un dialogue entre médecine moderne, croyances religieuses et pratiques traditionnelles. Car exclure l’un au profit de l’autre, c’est souvent condamner le malade à l’errance thérapeutique.
L’avenir réside sans doute dans une approche intégrée, où leaders religieux, guérisseurs et médecins collaborent pour sensibiliser, déstigmatiser et faire de la santé mentale une priorité de santé publique. Acheter des vitamines et des compléments alimentaires
Moctar dit Niama Wague, assistant médical :
"La santé mentale est une urgence publique"
Dans un pays où la maladie mentale est encore trop souvent assimilée à la folie ou à une malédiction, Moctar dit Niama Wagué, assistant médical en santé mentale à l’Office national de la santé de la reproduction (Onasr), tire la sonnette d’alarme. Manque de structures, stigmatisation sociale, méfiance envers les traitements… Il revient sur les défis quotidiens de la prise en charge psychiatrique au Mali et appelle à une mobilisation collective pour faire de la santé mentale une priorité nationale.
Mali Tribune : Pourquoi, selon vous, la société a encore du mal à reconnaître ces maladies comme de vraies pathologies médicales ?
Moctar Wagué : Parce qu’elles sont souvent associées à la honte ou assimilées à de la folie. Beaucoup de familles préfèrent cacher l’état de leurs proches par peur de la stigmatisation. Les troubles psychiatriques sont encore largement expliqués par des causes surnaturelles sorcellerie, djinns, malédictions plutôt que par des causes biologiques ou psychologiques. Reconnaître qu’il s’agit de pathologies médicales reste donc difficile pour beaucoup.
Mali Tribune : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans votre métier ?
M. W. : Elles sont nombreuses. Consulter un psychiatre est encore perçu comme une preuve de folie, ce qui freine les familles. Amener un proche à l’hôpital psychiatrique est souvent vu comme une marginalisation. Il y a aussi le manque d’infrastructures spécialisées et de personnel formé. Enfin, les tabous autour du suicide, des addictions ou de la sexualité limitent la parole des patients et retardent leur accompagnement.
Mali Tribune : Quelles sont, selon vous, les plus grandes limites du système actuel ?
M. W. : Le retard dans la prise en charge. Beaucoup de patients passent d’abord par la médecine traditionnelle ou religieuse, ce qui aggrave leur état. Le système de santé manque de moyens : peu de centres spécialisés, peu de psychiatres, et une faible intégration de la santé mentale dans les structures de base. Cela complique le diagnostic et l’efficacité des traitements. Acheter des vitamines et des compléments alimentaires
Mali Tribune : Est-ce que le recours aux marabouts ou guérisseurs complique la prise en charge médicale ?
M. W. : Oui, énormément. Quand les troubles sont attribués à la sorcellerie ou aux djinns, les familles consultent d’abord des guérisseurs. Ce détour fait perdre un temps précieux et retarde le diagnostic. Parfois, le patient arrive dans un état aggravé, ce qui rend le traitement plus difficile.
Mali Tribune : Que répondez-vous à ceux qui pensent que les médicaments psychiatriques rendent “plus fou” ou créent une dépendance ?
M. W. : Ce sont des croyances qui alimentent la peur et la méfiance. En réalité, les médicaments psychiatriques sont essentiels pour stabiliser les patients et améliorer leur qualité de vie. Comme tout traitement, ils doivent être prescrits et suivis par un professionnel. Le vrai danger, c’est l’absence de prise en charge.
Mali Tribune : Quel message souhaitez-vous adresser aux autorités et aux familles ?
M. W. : La santé mentale doit être une priorité de santé publique, au même titre que la santé physique. Il faut investir dans les infrastructures, former du personnel spécialisé et intégrer la santé mentale dans tous les centres de santé. Aux familles, je dis : la maladie mentale n’est pas une fraude. Rejeter une personne malade, c’est l’enfoncer davantage. Leur soutien, leur accompagnement et leur amour sont essentiels à sa guérison.
Portrait :
Deux femmes face à l’invisible
Au Mali, les troubles mentaux sont encore enveloppés de mystère, de peur et de silence. Entre interprétations mystiques et recours tardif à la médecine, les parcours de soins sont souvent sinueux. À travers les récits croisés de deux jeunes femmes, ce portrait met en lumière les tensions entre croyances traditionnelles et médecine psychiatrique, mais aussi les espoirs qui naissent quand les familles osent franchir le pas vers une prise en charge médicale.
Dans un quartier populaire de Bamako, une jeune femme commence à présenter des crises soudaines : insultes envers ses proches, agressivité, douleurs diffuses dans tout le corps. Après chaque épisode, elle ne se souvient de rien. Autour d’elle, les interprétations fusent : certains parlent d’un sort jeté à partir de ses chaussures, d’autres évoquent une attaque de djinns.
Ce type de réaction est courant dans la société malienne, où les troubles psychiques sont rarement perçus comme des maladies médicales. Ils sont souvent associés au spirituel, au mystique, au surnaturel. La première réponse des familles consiste généralement à consulter un marabout ou un guérisseur, convaincues qu’il s’agit d’un problème d’ordre spirituel.
Mais dans ce cas précis, la famille a choisi une autre voie. Face à la gravité des crises, elle décide de conduire la jeune femme à l’hôpital. Le service psychiatrique pose un diagnostic et prescrit un traitement médicamenteux. Depuis, les crises sont moins fréquentes, la vie de la patiente s’est stabilisée, et son entourage a appris à mieux comprendre sa situation.
Une condition reste cependant essentielle : le traitement ne doit jamais être interrompu, sous peine de rechute brutale.
À l’inverse, Mariama, 27 ans, a suivi un parcours plus classique. Ses premières crises angoisses, incohérences, comportements violents ont été interprétées comme une possession ou une malédiction. La famille a enchaîné les recours traditionnels : prières à la mosquée, séances chez les marabouts, bains mystiques. Mais son état s’aggravait. Finalement, une tante convainc la famille de l’emmener au service psychiatrique du Point G.
Le diagnostic tombe : trouble bipolaire. Un traitement est mis en place, accompagné d’un suivi régulier. Malgré les réticences initiales liées aux rumeurs sur les médicaments psychiatriques, les progrès de Mariama rassurent la famille.
Aujourd’hui, elle vit mieux, ses crises se sont espacées, et elle reprend confiance en elle.
Ces deux récits illustrent la complexité des parcours face aux troubles psychiques au Mali. D’un côté, une famille qui a fait confiance à la médecine moderne dès le départ. De l’autre, Mariama, qui a connu une longue errance entre pratiques traditionnelles et soins hospitaliers.
Dans les deux cas, un constat s’impose : la médecine moderne, malgré les tabous, apporte des résultats concrets.
Mais la peur du regard social, la honte et les croyances freinent encore de nombreuses familles. Les histoires de Mariama et de cette jeune femme anonyme traduisent les contradictions de la société malienne face à la santé mentale. Elles rappellent aussi l’urgence de briser le silence, de sensibiliser et d’accompagner les familles. Car derrière chaque crise, chaque rumeur de djinns ou de sorcellerie, il y a avant tout un être humain qui mérite d’être soutenu, respecté et soigné dignement. Acheter des vitamines et des compléments alimentaires
Micro-trottoir :
Les avis des Maliens sur le phénomène
Dans les rues de Bamako, la santé mentale reste un sujet entouré de tabous et de méfiance. Pour beaucoup, les troubles psychiques sont encore associés à la possession, à la sorcellerie ou à la honte familiale. Pourtant, les mentalités évoluent peu à peu. À travers ce micro-trottoir, six citoyens partagent leurs perceptions, leurs doutes et leurs espoirs face à une réalité souvent ignorée mais de plus en plus visible.
Aminata Traoré, (commerçante) :
"Les gens disent toujours que c’est la folie, donc les familles cachent leurs malades. La première réaction, c’est souvent d’aller voir un marabout, pas un médecin. »
Moussa Cissé, (enseignant) :
"On pense que c’est une histoire de djinns. Les hôpitaux psychiatriques sont là, mais peu de gens y vont. Moi je crois qu’il faut plus sensibiliser et ouvrir des centres partout."
Fatoumata Tessougué, (étudiante) :
"Beaucoup ne savent même pas qu’il existe des psychiatres au Mali. Pour eux, le marabout est la solution. Mais je pense qu’on doit parler plus de ça dans les médias pour que les jeunes sachent où aller."
Daouda Sylla, (chauffeur de taxi) :
"À notre époque, on disait que c’était une malédiction. Mais maintenant je crois qu’il faut aussi écouter les médecins. Les guérisseurs ne peuvent pas tout régler."
Hawa Doumbia, (ménagère) :
"Pour moi, c’est la honte qui fait que les familles cachent leurs malades. On dit qu’ils sont possédés. Il faut expliquer aux gens que c’est une maladie comme les autres."
Ibrahim Sacko, (commerçant) :
"Les familles commencent souvent par le marabout, et si ça ne marche pas, elles vont à l’hôpital. Mais c’est dommage parce que le malade perd beaucoup de temps avant d’avoir le vrai traitement."