Le feu tricolore clignote et passe au rouge, nous nous sommes arrêtés. Les moteurs ronflent, les klaxons s’impatientent, les piétons se faufilent entre les voitures.
Au milieu de ce tumulte, un homme malvoyant, canne blanche en main, guidé par une fillette, tous deux avancent lentement. Il traverse sans voir la couleur du feu, guidé par les sons, les pas autour de lui, et peut-être un peu par la confiance qu’il a appris à cultiver.
Oui cette scène nous est familière, mais bien trop souvent nous ne la percevons pas sous cet angle, avec humanité. Banale pour certains, cette scène est bouleversante pour qui prend le temps de la regarder. Ces personnes, ce sont les membres d’une communauté silencieuse et courageuse.
Selon l’Union Malienne des Aveugles (Umav), près de 170 000 Maliens vivent avec une déficience visuelle sévère (données de 2023). La plupart se déplacent sans accompagnement, sans feux sonores, sans trottoirs adaptés. Chaque traversée de route devient pour eux un acte de foi, une petite victoire sur l’indifférence ambiante.
Pourtant, derrière ces silhouettes fragiles au milieu des embouteillages, il y a des vies pleines de force et de dignité. Certains travaillent, oui il y a encore des métiers qui sont à leur portée : standardistes, enseignants ou musiciens. Leur donner du travail c’est faire en sorte qu’ils ne se considèrent pas comme des victimes, mais comme des citoyens à part entière.
À Bamako, pour exemple, le Centre de Formation pour les Aveugles (CFA) forme chaque année des dizaines de jeunes à des métiers manuels, tandis que l’Institut des Jeunes Aveugles du Mali (IJA), fondé en 1972, continue d’éduquer des enfants au braille, à la mobilité et à la confiance en soi.
Et pourtant, dans les rues, sur les trottoirs, dans les transports, peu de choses sont encore pensées pour eux. Les feux tricolores ne sont pas équipés de signaux sonores, les trottoirs sont souvent encombrés, les passages piétons inexistants sur certains axes ou trop éloignés. Ce que l’on voit, ce sont ces cannes qui tâtonnent sur le bitume, ces pas hésitants au bord de la circulation, ces regards absents qui cherchent malgré tout à comprendre le mouvement du monde.
L’accès à l’emploi, aux transports, à l’éducation inclusive, tout cela demande encore du temps, de la volonté et surtout une transformation du regard collectif pour leur bien-être.