Il est des vérités qu'il faut oser dire, même si elles dérangent. Le journalisme malien traverse une crise profonde qui menace non seulement la profession elle-même, mais également la qualité de notre démocratie et l'éveil citoyen de notre population.
Parcourez les journaux et les sites d'information maliens et vous ferez un constat troublant : les mêmes titres, les mêmes articles, à quelques mots près. Une uniformité inquiétante qui témoigne d'un mal profond. Le copier-coller est devenu la norme, l'investigation l'exception. Là où devrait régner une saine concurrence stimulant la qualité, règne une paresse collective qui nivelle tout par le bas.
Les articles sont courts, souvent truffés de fautes, rarement étayés d'analyses approfondies. Le sensationnel prime sur le factuel, le buzz l'emporte sur la vérification. Les revues de presse, qui devraient être des moments d'analyse critique, se transforment en spectacles théâtraux où l'information cède la place au divertissement.
Plus grave encore : l'absence totale de suivi des affaires. Une affaire éclate, tous les médias se précipitent pour en parler pendant quelques jours, puis plus rien. Pas de chronologie établie, pas de mise en perspective, pas d'enquête approfondie. Le lecteur qui souhaite comprendre un scandale politique ou une affaire judiciaire se retrouve face à des bribes d'information dispersées, sans fil conducteur, sans contexte.
Cette amnésie organisée arrange sans doute certains, mais elle dessert profondément l'intérêt public. Comment exiger des comptes de nos dirigeants si nous ne disposons pas d'une mémoire collective structurée ? Comment débattre intelligemment si nous manquons d'éléments factuels solides ?
Quand n'importe qui peut se proclamer journaliste avec pour seul bagage la capacité d'aligner quelques phrases ou de tenir un micro, c'est toute la profession qui se trouve discréditée. Les vrais professionnels, ceux qui honorent encore le métier par un travail rigoureux, deviennent invisibles, noyés dans la masse.
Cette dévalorisation n'est pas sans conséquence. Elle affecte la crédibilité de l'information elle-même et nourrit la méfiance du public envers les médias. Dans un contexte où les fake news prolifèrent, nous avons plus que jamais besoin de journalistes crédibles, formés, rigoureux.
Osons le dire : les médias maliens portent une part de responsabilité dans l'ignorance de la population et la faiblesse du débat public. En privilégiant le divertissement au détriment de l'information politique et sociale, en renonçant à leur rôle de contre-pouvoir, en abandonnant l'investigation au profit du copier-coller, ils privent les citoyens des outils nécessaires à l'exercice démocratique.
Un peuple bien informé est un peuple exigeant. Un peuple privé d'information de qualité est un peuple manipulable, vulnérable aux rumeurs et aux manipulations.
La situation n'est pas irréversible, mais elle exige une prise de conscience collective et des actions concrètes :
1- Réformer la formation : La déontologie, l'éthique professionnelle, les techniques d'investigation doivent redevenir le socle de la formation journalistique. Il ne suffit pas de savoir écrire, encore faut-il savoir vérifier, croiser les sources, analyser.
2- Instaurer des standards professionnels : Les organisations professionnelles doivent se ressaisir et imposer des critères de qualité. Tout le monde ne peut pas être journaliste.
3- Valoriser l'investigation : Les médias doivent investir dans le travail de fond, l'enquête de terrain, le suivi dans la durée. Cela demande des moyens, certes, mais c'est le prix de la crédibilité.
4- Rompre avec la facilité : Le copier-coller doit être banni. Chaque média doit apporter sa valeur ajoutée par une analyse propre, un angle différent, des informations exclusives.
Au-delà de la seule profession journalistique, c'est un choix de société qui se pose. Voulons-nous des médias qui élèvent le débat public ou qui l'abaissent ? Des journalistes qui questionnent le pouvoir ou qui le relaient passivement ? Une information qui éclaire ou qui divertit ?
Les professionnels du secteur ont la responsabilité de redorer le blason de leur métier. Mais nous, citoyens, avons aussi notre part : en exigeant mieux, en soutenant les médias de qualité, en refusant de nous contenter de la médiocrité ambiante.
Le Mali mérite des médias à la hauteur de ses ambitions démocratiques. Il est temps de construire ce nouveau journalisme, fondé sur l'engagement, la rigueur et le service de l'intérêt public. L'avenir de notre démocratie en dépend.