Il ne construit pas d’idées. Il fabrique de la colère. Et il en vit très bien.
Franklin Nyamsi n’est ni un intellectuel, ni un analyste politique, ni même un simple commentateur. Il est un ingénieur de l’hystérisation, un professionnel de la conversion du chaos en rente d’influence. Ce qui fascine chez cet homme, ce n’est pas son intelligence supposée, mais sa capacité quasi industrielle à transformer l’émotion brute en capital politique.
Sa méthode ? Une mécanique parfaitement rodée, presque scientifique dans sa répétition :
D’abord, il caricature. L’adversaire n’est jamais un simple opposant : c’est un traître, un vendu, un complice du néocolonialisme. Pas de nuance, pas de contexte. Juste des monstres à abattre, symboliquement, bien sûr, mais avec une violence verbale qui frôle l’incitation.
Ensuite, il se drape. Posture du sage, ton professoral, références historiques calibrées pour impressionner sans éclairer. Nyamsi se positionne comme le dernier rempart de la lucidité africaine. Tous les autres ? Soit naïfs, soit complices. Lui seul « ose dire la vérité ».
Enfin, il binarise. Il n’existe plus de zone grise. Soit vous êtes avec lui, donc du côté du peuple, de la dignité africaine, de la vraie souveraineté, soit vous êtes contre lui, et donc automatiquement un idiot utile de l’impérialisme. Cette absolutisation des camps est sa signature : elle élimine le débat avant même qu’il ne commence.
Nyamsi a compris avant beaucoup d’autres que l’Afrique numérique n’est plus un espace d’argumentation. C’est une arène de gladiateurs. Et lui, il offre du sang, quotidiennement.
Ce qu’il apporte concrètement ? Rien.
Ce qu’il produit ? Une dépendance.
Les gens ne l’écoutent pas pour comprendre les dynamiques géopolitiques complexes, les rapports de force économiques, les réalités institutionnelles. Ils l’écoutent pour être confortés dans leur colère. Et il le sait. Il l’exploite. Il en fait son modèle économique.
Nyamsi est le symptôme pathologique d’une époque où l’influenceur remplace le politologue, où le clash remplace la nuance, où la mise en scène remplace la lecture des rapports, des données, des faits. Il incarne cette dérive où la politique devient spectacle, où l’indignation devient Entertainment, où la radicalité verbale tient lieu de programme.
Mais quel est son impact réel ?
Il ne rapproche aucun peuple africain. Au contraire, il entretient les fractures, alimente les ressentiments, cristallise les haines entre communautés, entre générations, entre visions du monde.
Il ne propose aucun chemin praticable vers une gouvernance viable, une intégration régionale effective, une souveraineté économique tangible. Pas de feuille de route, pas de coalition, pas d’institution à construire. Juste du bruit.
Il se nourrit de la tension. Il prospère sur la fragmentation. Il entretient l’idée toxique que la diplomatie est ringarde, que la négociation est une faiblesse, que la virilité verbale constitue à elle seule une doctrine stratégique.
Mais la virilité verbale ne construit pas un État. Elle ne règle pas un conflit frontalier. Elle ne sécurise pas une zone économique. Elle ne négocie pas un corridor logistique.
Elle excite. Voilà tout.
Nyamsi est la preuve vivante que la politique africaine, à l’ère du live stream et des réseaux sociaux, a atteint son stade télévangéliste. L’influenceur est devenu directeur de conscience. Le pasteur de l’indignation distribue ses bénédictions et ses anathèmes depuis son studio, et des milliers de fidèles se prosternent devant leur écran.
Cette religiosité politique est dangereuse. Elle remplace la réflexion par l’adhésion, le débat par la foi, la complexité par le dogme. Elle transforme des citoyens potentiellement actifs en spectateurs captifs d’un théâtre de la radicalité.
La vraie question n’est pas : « Qui est Franklin Nyamsi ? »
La vraie question est : Pourquoi tant d’Africains se laissent-ils hypnotiser par ce théâtre ?
Et là, la réponse est terrifiante.
Parce que dans nos pays en panne, le spectacle a remplacé le projet.
Parce qu’après des décennies de promesses trahies, d’élites corrompues, de systèmes politiques verrouillés, de médias aux ordres, beaucoup d’Africains ne croient plus en rien. Ils ne croient plus aux institutions, aux partis, aux intellectuels « officiels ».
Alors ils se raccrochent à celui qui leur offre ce que tout le monde leur refuse : une explication simple, un coupable désigné, une posture de dignité retrouvée, même si elle est illusoire.
Nyamsi ne crée pas cette détresse. Il l’exploite.
Il ne suffit pas de dénoncer Nyamsi. Il faut comprendre pourquoi il fonctionne. Et surtout, il faut construire l’alternative.
Cette alternative ne viendra pas d’en haut. Elle ne viendra pas des élites qui continuent de parler un langage technocratique déconnecté des réalités. Elle viendra de citoyens, de collectifs, d’intellectuels qui accepteront de descendre dans l’arène – pas pour faire du spectacle, mais pour faire de la politique.
De la vraie politique : celle qui propose, qui organise, qui construit.
Celle qui ne se contente pas de hurler contre le système, mais qui travaille patiemment à le transformer.
Celle qui refuse la facilité de la colère perpétuelle pour assumer la difficulté du projet collectif.
En attendant, Nyamsi continuera son show. Parce que le show paie. Parce que la rage fidélise. Parce que dans le vide laissé par l’absence de projet, le spectacle prospère.
Mais nous ne sommes pas condamnés à rester spectateurs.
Nous pouvons choisir de sortir du stade.
Sambou Sissoko