Par la libération des otages français, le président François Hollande vient de remporter un succès certain, de même que son homologue nigérien, chez qui ces employés de sociétés françaises ont été enlevés, le 16 septembre 2010. Qu’est-ce que gagne le Mali dans cette histoire, surtout, que risque-t-il de perdre, lui qui a été tenu à l’écart de tout le processus de négociations ?
Quatre des Français détenus en otage dans le Sahel viennent d’être libérés, remis aux négociateurs nigériens à Anefis, dans le sud-ouest de la région de Kidal. Cela est une bonne chance pour ces désormais ex-otages, leurs parents, familles et amis, pour leurs employeurs. Cela est une excellente nouvelle pour le président français François Hollande, rudement malmené par son opposition et en bas dans les sondages d’opinion. Cela apportera également un peu plus de crédit à Mahamadou Youssoufa, le président du Niger, qui aurait permis, grâce à ses réseaux, la libération des quatre Français.
Quid du Mali ?
Nonobstant le fait que les ex-otages ont été libérés sur le territoire malien, où ils étaient peut-être gardés en détention au cours de ces derniers mois, aucune mention n’est faite de ce pays. Comme si tout cela avait été fait sur le dos du peuple malien sans que jamais les autorités maliennes ne soient seulement consultées a fortiori associées. C’est peut-être de ce genre d’institution représentative et crédible dont la France coloniale a besoin, une institution représentative et crédible qu’on n’a pas besoin de consulter pour agir sur son territoire, dont on tient volontiers l’armée à l’écart de manœuvres. Mais si les forces armées et de sécurité ont été cantonnées à Kidal avec ordre de ne pas gêner les recherches pour retrouver les otages français, le Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), lui, a bel et bien été consulté et associé à tout le processus depuis le début. On est même tenté de croire qu’il n’a été réintroduit dans le septentrion malien qu’à cette seule fin : aider, sous la protection armée de la force Serval, les négociateurs nigériens à obtenir la libération des otages.
Cela induit que la situation actuelle à Kidal, confiner l’armée malienne afin d’éviter des affrontements entre elle et les éléments du Mnla et de provoquer un embrasement de la zone pouvant provoquer la perte des otages, a toujours été voulue par la France et ses alliés de la Misma/Minusma ; que les discours sur l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale du Mali n’étaient que leurres ; que la France connaissait très bien les liens étroits entre les ravisseurs et ses protégés du Mnla.
Pas de négociations sans contreparties
Car il ne fait plus de doute pour personne que les éléments du Mnla savaient où et par qui étaient détenus les quatre Français. Si aucun détail n’a été révélé au grand public, il est loisible de comprendre que les otages ont été enlevés par les hommes d’Aqmi et gardés dans le nord malien, déjà au moment où le Mnla était en bonne intelligence avec les groupes islamistes. Après les frappes aériennes de l’aviation française, l’intervention terrestre des forces franco-tchadiennes et la mort du chef d’Aqmi, les islamistes ont dû s’enfuir précipitamment en confiant les otages à leurs alliés touareg, mais pas seulement d’Ansar Eddine comme certains tentent de le faire croire. Donc, depuis fin janvier-début février, les dissidents du mouvement d’Iyad Ag Ghali, dont Alghabass Ag Intalla, fondateur du Mouvement islamique de l’Azawad et signataire, au nom du haut conseil pour l’unité de l’Azawad, de l’Accord du 18 juin de Ouagadougou, savaient avec précision où les Français étaient détenus. Et si eux le savaient, le Mnla et l’Aménokal des Ifoghas qu’ils ont rejoints à Kidal le savaient également. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’homme de main que le président nigérien a choisi pour les négociations est également un Ifoghas proche de la famille d’Intalla.
Seulement, de début février au 29 octobre (date de la libération des otages), cela fait un bail. Que s’est-il donc passé pendant tout ce temps ? Les autorités nigériennes et françaises ont déclaré publiquement que les négociations ont été longues et laborieuses. Est-ce parce que les Français ne voulaient pas payer de compensation financière ? En tout cas, Français et Nigériens s’accordent pour dire qu’il n’y a eu ni rançon ni assaut, même si tout le monde sait qu’un otage est une monnaie d’échange et une assurance-vie pour ses ravisseurs. Mais s’il n’y a pas eu d’assaut, on sait que dans ce genre de situation, les entreprises Areva, Vinci et Satom, employeurs des ex-otages pourraient avoir apporté une substantielle contribution, ne serait-ce que pour couvrir les notes de frais des négociateurs et les dépenses des gardiens d’otages. A combien se chiffre cette compensation financière ?
Là n’est pas le plus important. Ce qu’il urge pour les autorités maliennes de savoir et comprendre, ce sont les concessions faites par les autorités françaises aux ravisseurs ou gardiens d’otages, car il n’y a pas de négociations sans contreparties. Certaines de celles-ci seraient-elles liées à la libération, à Bamako par les autorités, de présumés terroristes rebelles, et, à Kidal par le Mnla, de supposés islamistes du Mujao ? Seraient-elles liées à la levée des mandats d’arrêt internationaux ou à la cessation de poursuites judiciaires contre certains responsables des groupes armés rebelles terroristes qui écument le nord malien ?
Une rançon pour Iyad Ag Ghali
Si ce n’était que cela, les défenseurs de l’homme en seraient réduits à pleurer sur l’injustice et l’impunité, mais la situation pourrait être plus grave : contraindre ces institutions représentatives et crédibles à accorder un statut spécial aux trois régions du nord. Un statut spécial qui ne tardera pas à se muer très rapidement en autonomie puis, l’appétit venant en mangeant, en indépendance. N’est-ce pas le vœu le plus cher du Mnla et consorts, prompts à signer des accords qu’ils savent ne pas être contraints d’appliquer ?
Dans l’immédiat, l’armée malienne tenue à l’écart, la région de Kidal est de nouveau en passe de devenir à nouveau un sanctuaire. Notamment pour Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Eddine, avec lequel les Nigériens, sous la conduite des autorités françaises, auraient négocié la libération des otages contre, entre autres, une importante « rançon » qui lui permettra de se réarmer et de revenir dans la partie, et la certitude de ne pas être inquiété par les nouvelles institutions.
Le deal tiendra car la France est aussi désireuse de récupérer ses deux derniers otages qui restent dans les sables mouvants maliens. Ils n’ont pas été libérés avec les autres, parce que soit ils sont détenus par un autre groupe, soit ils sont gardés jusqu’à ce que toutes les contreparties soient acquittées par la France. En ce moment, tous seront véritablement fixés sur les dessous de cette libération inattendue.
Cheick Tandina