Depuis plusieurs jours, une série d'annonces émanant de chancelleries étrangères accréditées au Mali a surpris plus d'un observateur.
Ces messages, diffusés en cascade et souvent relayés par des médias internationaux, invitent leurs ressortissants à quitter le territoire malien en raison d'un prétendu regain d'insécurité. Ce qui frappe d'emblée dans cette démarche, ce n'est pas tant le contenu que la manière, voire la précipitation, avec laquelle ces avertissements ont été formulés. En réalité, ces communications dénotent, au-delà de leur allure complotiste, une forme de mise à l'écart délibéré des usages protocolaires convenus entre États souverains.
Traditionnellement, tout message de cette nature, surtout lorsqu'il concerne la sécurité des ressortissants étrangers, transite par les canaux officiels, en l'occurrence le ministère malien des Affaires étrangères. C'est une question de respect, de coordination et notamment de souveraineté. Or, le communiqué publié par le ministère malien des AE témoigne clairement du contraire : le gouvernement malien, visiblement pris de court, rappelle avec insistance aux représentations diplomatiques la nécessité de se conformer aux procédures établies et d'utiliser les canaux appropriés. La lettre, adressée à l'ensemble des missions diplomatiques et des postes consulaires à Bamako, mentionne même le nom d'un conseiller technique, comme interlocuteur attitré pour tout échange d'informations sécuritaires. Ce rappel à l'ordre, formulé sur un ton mesuré, mais ferme, traduit à la fois la gêne et l'agacement d'un État conscient de la portée politique de ces messages intempestifs et hâtifs.
Il faut dire que le contexte malien demeure hautement sensible. La transition, engagée depuis 2021, a cherché à rétablir la souveraineté nationale dans un environnement international de plus en plus hostile. La récente multiplication de messages diplomatiques alarmistes ne saurait donc être interprétée comme un simple geste de précaution humanitaire. Elle s'inscrit plutôt dans une logique de pression indirecte, visant à affaiblir la crédibilité du gouvernement en amplifiant artificiellement le sentiment d'insécurité. Les ressortissants étrangers, pour la plupart, sont déjà recensés et informés par des circuits officiels précis ; ces alertes publiques et médiatisées n'ajoutent donc rien à la sécurité réelle, mais contribuent à nourrir une peur collective savamment entretenue.
Ce phénomène n'est pas nouveau. L'usage de la peur, à travers les canaux médiatiques et diplomatiques, a souvent servi de levier d'influence dans les zones de tension. Pourtant, si l'on remonte à la Genèse de la crise malienne en 2012, l'argument de la lutte contre le terrorisme avait justement servi de justification à une vaste entreprise d'ingérence internationale, sous couvert de sécurité régionale. L'objectif affiché était clair : contenir la poussée djihadiste au nord du Mali et sécuriser le Sahel. Or, plus d'une décennie plus tard, alors que le pays assume l'essentiel du combat contre les groupes armés, les anciennes puissances partenaires se murent dans un mutisme pesant, voire dans un retrait calculé. D'où la question centrale : qu'est-ce qui a véritablement changé ? Comment expliquer qu'au moment où le Mali tente de consolider ses victoires militaires et de réaffirmer sa souveraineté, certains partenaires choisissent la fuite et le discrédit plutôt qu'une prise de position claire contre les actes terroristes dirigés contre des civils exclusivement ?
Le silence des voisins et l'impuissance des organisations régionales a emmené Alioune Tine à cette réflexion : "Quand tous les pays fuient le Mali comme la peste, les leaders africains doivent organiser la solidarité pour sauver le Mali…. colonne vertébrale du Sahel." De mon point de vue ; le mal djihadiste n'est pas que pour le Mali et le désengagement international qui heurte parce que hâtif, ne serait pas aussi préoccupant s'il n'était accompagné d'un silence plus assourdissant de la part de nos voisins, pris individuellement. Les organisations régionales et bien au-delà, ceux qui se veulent les garantes de la solidarité intra africaine, semblent aujourd'hui incapables de se hisser à la hauteur des enjeux. Or, l'éventualité d'un Mali livré à un pouvoir djihadiste ne constitue pas une menace circonscrite aux frontières nationales : elle engage l'ensemble du Sahel et toute la façade ouest-africaine. Fermer les yeux sur cette réalité revient à sous-estimer un péril qui, tôt ou tard, frappera aux portes d'Abidjan, de Conakry, d'Accra, du Sénégal ou du golfe du Bénin.
À moins que l'isolement du Mali ne devienne le prétexte commode pour justifier de nouvelles ingérences extérieures, sous couvert de sécurité ou d'humanitarisme. L'enjeu réel de ce moment diplomatique est révélateur d'un tournant plus profond : le choix entre la souveraineté assumée et la dépendance déguisée. Le Mali, en réaffirmant son autonomie, bouscule des équilibres anciens et dérange des intérêts établis. La réaction de certaines chancelleries, à travers ces messages alarmistes, traduit en creux une difficulté à accepter un Mali qui décide tout lui-même. Pourtant, loin d'être un repli, cette souveraineté retrouvée constitue la condition même d'une coopération internationale authentique, fondée sur le respect mutuel. Aussi, la multiplication récente des appels au départ des étrangers du Mali apparaît-elle moins comme un geste humanitaire que comme un signal politique : un message codé adressé à un gouvernement qui refuse de plier.
Derrière ces annonces en cascade, le Malien reconnaît le vieux réflexe d'une peur fabriquée, celle qui, depuis 2012, n'a jamais cessé d'être l'arme des puissants contre la dignité des peuples.