Alors que le Mali traverse l’une des plus graves crises sécuritaires de son histoire récente, l’Algérie observe avec une inquiétude croissante l’évolution de la situation chez son voisin du sud. La progression des groupes jihadistes vers Bamako, l’emprise renforcée de la Front de Libération de l’Azawad (FLA) sur le Nord du Mali, ainsi que la montée des revendications séparatistes touarègues relançant l’idée d’un « Grand Azawad » s’étendant jusqu’au sud algérien, constituent autant de menaces directes pour la stabilité nationale et régionale.
Dans ce contexte tendu, Alger semble s’orienter vers un réengagement diplomatique afin d’éviter un effondrement total de l’État malien et la propagation du chaos sur tout le Sahel.
L’alarme internationale : le Conseil de sécurité appelle au rapprochement entre Alger et Bamako
Lors de la séance du 18 novembre 2025 consacrée à la sécurité en Afrique de l’Ouest, les Nations unies ont exprimé leur préoccupation face à la recrudescence des attaques jihadistes dans le Sahel. Le Conseil a appelé explicitement le Mali et l’Algérie à dépasser leurs différends pour coordonner leurs efforts contre la menace terroriste croissante.
Les propos de l'ambassadeur, représentant permanent du Mali auprès de l’ONU, Issa Konfourou, insistant sur la nécessité de rebâtir la confiance régionale et de rompre avec les logiques d’ingérence et de sanctions, ont été largement interprétés comme un signal discret mais clair que Bamako serait désormais prête à accepter toute initiative algérienne visant à résoudre la crise.
Cette lecture est renforcée par le constat, partagé par plusieurs experts, que l’Algérie demeure la seule puissance régionale disposant d’une légitimité suffisante pour mener une médiation efficace, à l’image de son rôle central dans l’Accord de paix de 2015.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune avait d’ailleurs déclaré en juillet dernier que son pays était disposé à aider le Mali « si les Maliens le souhaitent », réaffirmant la doctrine algérienne fondée sur la non-ingérence et le respect de la souveraineté des États.
Menace extrémiste et crise humanitaire : Alger redoute une infiltration terroriste parmi les réfugiés
La dégradation accélérée de la situation au Mali, marquée par la progression fulgurante des groupes terroristes vers Bamako, suscite une inquiétude croissante à Alger. Comme l’a rappelé le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, les attaques jihadistes ont atteint « des niveaux sans précédent », confirmant les mises en garde formulées par l’Algérie depuis près de deux ans. Pour Attaf, la menace ne concerne pas seulement la survie de l’État malien mais représente également un danger direct pour la région entière, notamment pour l’Algérie, en raison de la possibilité d’un effondrement sécuritaire total.
Dans ce contexte explosif, l’Algérie redoute particulièrement les répercussions humanitaires de la crise. L’afflux de milliers de civils fuyant les combats soulève une préoccupation majeure : le risque de voir des groupes extrémistes infiltrer les flux de réfugiés. Cette possibilité représente, selon plusieurs analyses relayées récemment, l’une des principales craintes de la sécurité Algérienne, car elle pourrait faciliter l’entrée d’éléments dangereux dans le sud du pays.
Attaf a insisté sur le fait que cette situation impose un retour urgent à une solution politique, soulignant que l’Algérie « garde la main tendue » et demeure prête à aider le Mali à retrouver la voie de la stabilité. Il a rappelé que l’Algérie reste l’une des plus ferventes défenseures de l’unité du Mali, et qu’elle considère le dialogue national comme la seule voie capable d’éviter l’effondrement et de mettre fin aux dérives terroristes qui menacent tout le Sahel.
Cette volonté d’apporter une aide diplomatique s’inscrit pleinement dans la position historique d’Alger, qui s’est toujours engagée à soutenir Bamako sans aucune forme d’ingérence étrangère, et qui continue de plaider pour un règlement interne fondé sur la réconciliation et la concertation.
Le spectre du « Grand Azawad » : revendications séparatistes et risques de contagion régionale
L’un des éléments les plus préoccupants pour Alger est la résurgence du discours séparatiste touareg, porté notamment par certains dirigeants du FLA. Les déclarations de figures comme Alghabass Ag Intalla, appelant à l’établissement d’un État touareg transnational annulant les frontières héritées de la colonisation، ont ravivé des inquiétudes historiques en Algérie, où vivent d’importantes communautés touarègues.
Plus encore, certaines voix au sein de la mouvance indépendantiste vont jusqu’à revendiquer la « restitution » de territoires algériens, comme l’a affirmé récemment un représentant de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA). De telles déclarations nourrissent la crainte d’une stratégie d’expansion visant à intégrer le sud algérien au projet du « Grand Azawad ».
Par ailleurs، des informations circulent sur les contacts de dirigeants azawadiens avec des capitales européennes، notamment Paris, supposément en quête de soutien politique. Il est rapporté que la réponse positive reçue par Bilal Ag Achérif provenait précisément de la France, ce qui alimente davantage les soupçons algériens quant à la volonté de certaines puissances occidentales de peser sur la stabilité régionale dans un contexte de tensions persistantes entre Alger et Paris.
À cela s’ajoute la publication d’un rapport d’un think tank américain évoquant la situation des Touaregs en Algérie. Le document appelle Washington à intervenir de manière indirecte, en soutenant et en renforçant l’action des organisations touarègues، tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, au nom de la défense de leurs droits. Pour Alger, une telle recommandation constitue une atteinte flagrante à sa souveraineté et s’inscrit dans une stratégie d’exploitation de la crise malienne afin d’exercer des pressions sur l’État algérien et de fragiliser la stabilité nationale.
Conclusion
Alors que le Mali vacille sous le poids de la menace terroriste, des fractures politiques et de l’activisme séparatiste, l’Algérie se retrouve face à un voisin au bord de l’effondrement. Les risques sont multiples : avance jihadiste vers Bamako, flux incontrôlés de réfugiés potentiellement infiltrés par des extrémistes, et ambitions territoriales d’un mouvement azawadien renforcé par des soutiens extérieurs.
Dans ce contexte, la responsabilité régionale d’Alger apparaît plus que jamais déterminante. Forte de son expérience dans la médiation et de son engagement constant pour la stabilité du Sahel, l’Algérie semble être l’unique acteur capable d’amorcer un processus de désescalade durable. Son approche fondée sur le dialogue, le refus de l’ingérence et la défense de l’unité des États demeure aujourd’hui la meilleure garantie pour éviter l’embrasement total du Mali et, à plus long terme، la déstabilisation de toute l’Afrique du Nord.
La crise malienne, loin d’être une affaire strictement intérieure, constitue désormais un enjeu stratégique majeur pour Alger, dont le rôle de médiateur pourrait s’avérer décisif dans les semaines et les mois à venir.