Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Fily Dabo Sissoko : le “pro-français incompris” ou la tragédie d’un patriote en décalage avec son temp
Publié le lundi 1 decembre 2025  |  L'Alternance
Fily
© AFP par Byline
Fily Dabo Sissoko
Comment


s
Dans l’imaginaire politique malien, Fily Dabo SISSOKO reste souvent résumé à une formule réductrice : “le pro-français”. Une étiquette lourde, figée dans une mémoire politique dominée par le récit héroïque de la rupture avec la puissance coloniale. Mais cette simplification masque la complexité d’un homme, d’une pensée et d’un contexte. Elle empêche surtout de comprendre la place singulière qu’a occupée Fily Dabo Sissoko dans le Soudan français, puis dans le Mali des indépendances.
Le choix français : pragmatisme stratégique ou dépendance assumée ?
Lorsque Fily Dabo fonde le Parti Progressiste Soudanais (PSP) en février 1946, il s’appuie effectivement sur les réseaux coloniaux pour structurer son implantation territoriale : administrateurs, commandants de cercle, chefs de canton (il en fut un). Les législatives de novembre 1946 marqueront la première victoire électorale du PSP, sur la liste duquel figure à côté de Fily Dabo, un français bon teint, Jean SILVANDRE, notaire établi au Soudan. Cette collaboration active n’était pas seulement le reflet d’un alignement politique ; elle traduisait une conviction idéologique : le Soudan français devait se développer au sein de la République française, et non en dehors d’elle.
Pour lui, le projet colonial devait évoluer vers une sorte de Commonwealth franco-africain, où l’autonomie politique irait de pair avec un développement économique fortement soutenu par Paris.
Ce positionnement, alors majoritaire chez certains lettrés africains formés à l’école coloniale, incarnait une forme de pragmatisme modernisateur : la France disposait des moyens, des infrastructures, de l’expertise — pourquoi s’en détacher brutalement ?
1956 : Le tournant des indépendances, ou la fracture irréversible
La loi-cadre Defferre (1956) ouvre la voie à l’autonomie politique. Le débat devient existentiel : faut-il viser l’indépendance ou un partenariat renforcé avec la France ?
C’est là que se creuse la ligne de fracture radicale entre Fily Dabo et ses pairs Mamadou Konaté et Modibo Keïta.
À la différence des dirigeants de l’US-RDA, acteurs du panafricanisme et partisans d’une rupture nette, Fily Dabo estime que :
- le Mali n’est pas mûr pour l’indépendance totale ;
- la France reste un partenaire indispensable ;
- une indépendance précipitée mènerait à l’instabilité politique et économique.
Ses positions deviennent minoritaires, mais elles ne sont pas absurdes : l’avenir économique incertain, l’absence de cadre administratif local solide et les fractures sociales justifiaient des prudences. Néanmoins, la dynamique historique, portée par les mouvements anti-coloniaux, est trop puissante : l’opinion et les élites basculent vers l’indépendance immédiate.
La fusion avec l’US-RDA : compromis politique ou renoncement forcé ?
À l’aube de la Fédération du Mali, en mars 1959, Fily Dabo dissout son parti pour rejoindre l’US-RDA. Officiellement, il s’agit d’un geste d’unité nationale. En réalité, la plupart des cadres de son parti rejoignent le parti dominant et la méfiance en son endroit demeure vive : ses accointances avec l’administration coloniale restent présentes dans toutes les discussions politiques.
Même à l’intérieur du parti unifié, on l’observe avec suspicion. Pour ses adversaires internes, il incarne l’aile “bourgeoise”, légaliste, trop proche des colons, trop doux, pas assez révolutionnaire, pas assez panafricain.
Dès lors, sa place dans le Mali indépendant est compromise avant même 1960 : il est un allié fragile, un intellectuel brillant mais idéologiquement décalé, un homme de compromis dans une époque de radicalités.
Indépendance : quand l’histoire écrit à contre-courant des prudences de Fily Dabo SISSOKO
L’indépendance du Mali (1960) consacre définitivement la victoire idéologique de KONATÉ et KEÏTA (même si entre ces deux hommes persistent des nuances d'approche) : rupture, non-alignement, socialisme africain, mobilisation populaire.
Dans ce contexte, que faire d’un homme qui avait plaidé pour rester dans le giron français ? Sa loyauté à la jeune République est sincère, mais l’étiquette lui colle à la peau.
L’US-RDA, parti dominant, devenu parti-État ne tolère ni dissidence, ni nuance. Fily Dabo, désormais dans l'opposition interne, devient un symbole vivant de l’alternative pro-française, donc de la contre-révolution. Dans un Mali où le pouvoir se durcit, voire se martialise, il n’y a plus de place pour cette différence.
Sa marginalisation politique est autant idéologique que psychologique : on ne pardonne jamais à celui qui a choisi le mauvais moment pour avoir raison.
Un héritage réévalué : patriote, modernisateur ou prophète ignoré ?
Aujourd’hui, le regard porté sur Fily Dabo reste ambivalent.
Certains y voient un homme courageux, libre dans sa pensée, soucieux de stabilité économique.
D’autres le considèrent encore comme un homme du système colonial, étranger à la radicalité révolutionnaire nécessaire à la conquête des indépendances.
Mais rétrospectivement, plusieurs de ses analyses s’avèrent lucides et auraient dû inspirer certaines précautions :
- la fragilité économique du Mali ;
- la difficulté à créer un État solide sans cadre administratif ;
- la nécessité d’un partenariat stratégique avec la France et le monde.
Il n’était peut-être pas “pro-français”, mais pro-réalisme, dans une époque où le rêve politique prenait souvent le pas sur la prudence.
En définitive, la méfiance envers Fily Dabo a engendré une tragédie.
Dans les conditions politiques de l’époque — montée du nationalisme, radicalisation anticoloniale, structuration d’un parti dominant — il était presque inévitable que Fily Dabo devienne une figure de suspicion.
Son destin politique s’inscrit dans une tragédie classique : celle de l’homme d’idées pris dans une histoire plus grande que lui, dont les convictions deviennent des fautes à mesure que le vent tourne.
Si le Mali avait choisi une voie différente, plus graduelle, plus conciliante avec l’ancienne puissance coloniale, Fily Dabo serait peut-être célébré aujourd’hui comme un visionnaire.
Mais dans le récit national issu de l’indépendance, il restera longtemps ce “pro-français incompris”, figure complexe d’un patriotisme qui n’a pas trouvé son époque.
Par Dr. Mahamadou KONATE
…………………………………………………………………………………………………………………………………...........
Commentaires