Dans le village de Kolongo, au cœur du cercle de Macina, la pression exercée par les groupes djihadistes ne cesse de s’intensifier.
Depuis plusieurs années, les habitants vivent sous un régime d’obligations informelles imposées par les combattants qui contrôlent une partie de la brousse environnante. Parmi ces obligations figure une forme de zakat prélevée sur la production agricole locale. Jusque-là, les populations s’acquittaient de cette contribution en cédant un sac de riz sur dix après les récoltes.
Mais cette année, les djihadistes ont profondément modifié les règles. Ils refusent désormais les contributions en nature et exigent que leur part soit payée en espèces, à hauteur de 10 000 F CFA par sac. Une décision justifiée, selon eux, par la raréfaction du carburant qui limite leur capacité à transporter les sacs collectés et par le manque de débouchés commerciaux pour écouler les céréales qui leur étaient remises.
Cette nouvelle exigence financière représente un bouleversement majeur pour les familles paysannes. Dans une économie locale déjà fragilisée par le coût élevé des intrants, la baisse des débouchés et la pression des redevances agricoles, cette taxe imposée en argent sonnant et trébuchant devient difficilement supportable.
« Cela revient à ce que notre famille paye 500 000 F CFA, entre les sacs de riz que nous devons désormais payer en espèces et la redevance eau à l’Office du Niger. Nous ne savons plus où donner de la tête », explique un habitant de Kolongo.
Dans une zone où la trésorerie des ménages est souvent quasi inexistante en période post-récolte les revenus étant largement réinvestis dans la préparation des campagnes agricoles suivantes cette nouvelle obligation plonge de nombreuses familles dans l’incertitude financière. L’argent qui aurait dû servir aux besoins de base (santé, scolarité, alimentation, semences, engrais…) est capté par des acteurs armés exerçant une pression croissante sur les communautés.
Au-delà de l’impact économique, ce prélèvement forcé illustre l’ancrage des djihadistes dans la région et leur volonté de consolider leur contrôle sur les activités économiques locales. La zakat imposée n’est pas seulement un moyen de financement.
En modifiant les modalités de paiement, passant du riz à l’argent liquide, les groupes armés cherchent à s’inscrire davantage dans les circuits financiers informels et à renforcer leur autonomie logistique. Cette mutation témoigne d’une adaptation stratégique incapables d’acheminer la production ou de la vendre à bon prix, ils misent désormais sur la liquidité pour maintenir leur influence et financer leurs opérations.
Cette dynamique accentue la dépendance des villageois, pris dans un système parallèle où des règles « non étatiques » s’imposent à eux, tandis que l’État rencontre des difficultés à exercer sa pleine autorité dans certaines localités du delta intérieur du Niger.
Dans un contexte sécuritaire marqué par les attaques sporadiques, les embuscades et la présence intermittente de groupes armés, les populations de Kolongo subissent silencieusement cette pression fiscale illégale. Les possibilités de contestation sont limitées car toute opposition expose à des représailles, et les marges de négociation sont extrêmement réduites.
« Les gens n’ont pas le choix, payer ou risquer l’insécurité », résume un habitant du cercle, pour qui le climat de peur qui règne dans la zone empêche toute contestation organisée ou toute tentative de se soustraire à la nouvelle exigence.
À Kolongo comme dans d’autres localités du Macina, les villageois vivent désormais entre deux pressions. D’une part, les obligations légales : redevances agricoles, eau, intrants, taxes administratives et de l’autre, les obligations imposées par les groupes armés, qui se renforcent au fil des années.
Cette double taxation rend la résilience économique des ménages de plus en plus fragile. Elle compromet également la préparation des prochaines campagnes agricoles, menaçant à terme la sécurité alimentaire locale.
Le cas de Kolongo met en lumière les défis croisés de l’insécurité et de la vulnérabilité économique dans les zones rurales du centre du Mali. Il révèle la capacité des groupes djihadistes à adapter leurs pressions économiques en fonction des évolutions du contexte commercial et logistique.