« La crise malienne : quand la forme de l’Etat, le fait religieux et la gouvernance alimentent le chaos ».
C’est le titre d’une réflexion de Sambou Sissoko, analyste et chroniqueur. A l’en croire, trois variables se combinent pour produire le chaos actuel : la forme de l’État, la place ambiguë du religieux et une gouvernance chroniquement défaillante…lesquelles ont rendu le pays vulnérable, instable et perméable à toutes les influences extérieures.
Le Mali vit aujourd’hui l’une des crises politiques et sécuritaires les plus profondes de son histoire contemporaine. Pour comprendre ce naufrage national, il faut dépasser les lectures conjoncturelles et revenir aux fondamentaux structurels. Trois variables se combinent pour produire le chaos actuel : la forme de l’État, la place ambiguë du religieux et une gouvernance chroniquement défaillante. Ensemble, elles ont rendu le pays vulnérable, instable et perméable à toutes les influences extérieures.
Depuis 1960, le Mali fonctionne sur un modèle jacobin rigide : concentration des pouvoirs à Bamako, dépendance excessive de l’administration locale vis-à-vis du centre et faible capacité d’arbitrage dans les périphéries. Ce modèle, longtemps porté par l’idéologie d’unité nationale, s’est progressivement transformé en impasse. La centralisation n’a pas produit l’efficacité ; elle a produit la distance. Distance entre gouvernants et gouvernés, entre décisions et réalités, entre institutions et territoires. Le résultat est un État qui parle beaucoup mais agit peu, un État qui existe en droit mais s’évanouit sur le terrain. Dans ce vide, d’autres acteurs se sont imposés : chefs locaux, réseaux criminels, groupes armés, prêcheurs charismatiques, milices communautaires. Non parce qu’ils sont plus légitimes, mais parce qu’ils sont présents là où l’État a déserté.
Dépendance politique vis-à-vis d’acteurs non étatiques
Dans un pays majoritairement musulman, le fait religieux ne peut être ignoré. Mais l’absence de doctrine claire sur la place de la religion dans la République a ouvert une brèche dangereuse. D’abord, les dirigeants successifs ont cherché la bénédiction religieuse pour consolider leur légitimité, créant une dépendance politique vis-à-vis d’acteurs non étatiques.
Ensuite, l’État a renoncé à réguler l’enseignement religieux, laissant prospérer une pluralité de courants, parfois financés depuis l’étranger.
Enfin, la fragmentation du champ religieux a transformé la foi en instrument de mobilisation sociale, parfois en arme politique. Dans un tel contexte, il suffit d’une crise pour que les discours religieux s’enflamment, que les légitimités se concurrencent et que le terrain soit préparé pour les dérives extrémistes.
La gouvernance malienne est marquée depuis des décennies par la prédation, l’impunité et l’absence de vision stratégique. Les institutions ont été capturées par des coalitions d’intérêts, la gestion sécuritaire a été politisée à l’extrême et la corruption a sapé la confiance citoyenne. Les ressources publiques, déjà limitées, ont trop souvent été détournées au profit d’élites urbaines déconnectées des réalités locales. L’Armée a été affaiblie par des choix politiques incohérents, et les services de renseignement sont restés tournés vers la surveillance interne plutôt que vers la compréhension de la menace. Cette gouvernance dysfonctionnelle a engendré un cercle vicieux : perte de légitimité, rejet de l’État, repli communautaire, développement des groupes armés, puis effondrement institutionnel.
Fondations fragiles du Mali
Le Mali ne s’est pas effondré parce qu’un groupe armé a pris les armes, ni parce que des parrains étrangers ont manipulé la situation. Le Mali s’est effondré parce que ses fondations étaient fragiles. L’État était trop centralisé pour être efficace, le religieux trop influent pour rester apolitique, et la gouvernance trop faible pour inspirer le respect. Lorsque ces trois facteurs se rejoignent, le résultat est mécanique : fragmentation du territoire, radicalisation de certains segments de la population, instrumentalisation des identités et transformation du pays en champ de bataille pour des intérêts locaux et transnationaux.
Sortir du chaos suppose un triptyque stratégique. Refonder l’État autour d’un modèle de gouvernance territoriale authentiquement décentralisée, où les collectivités ne dépendent pas de Bamako pour tout. Clarifier la place du religieux dans la République, en fixant des règles, en encadrant la formation et en protégeant la neutralité institutionnelle. Assainir la gouvernance par la transparence budgétaire, la professionnalisation de l’administration et la restauration d’un leadership politique responsable. Sans ce triptyque, toutes les transitions, tous les discours souverainistes, toutes les réformes militaires resteront des artifices. Le Mali continuera alors à subir l’histoire au lieu de la construire.