Pour trop «d’élites» africaines donc, l’indépendance a consisté à prendre la place des Blancs et à jouir des avantages, souvent exorbitants, jusque-là concédés aux «coloniaux». Aux soldes élevées, s’ajoutaient parfois les belles villas, toutes meublées, sinon les palais pour les gouverneurs, la nombreuse domesticité payée sur le budget, les autos avec chauffeur.
Aux quatre cent trois (403), après l’indépendance, succèdent les Chevrolet d’Abidjan, les Mercedès de Yaoundé; souvent renouvelées tous les six mois, ce qui fait grincer des dents les petites gens. Quand on réduisit ces avantages, certains ont voulu les rétablir à leur profit, sans être difficiles sur les moyens d’y arriver.
La brusque accession au pouvoir sans contrôle a troublé certains esprits, corrodé le sens moral. La corruption était certes connue du milieu colonial, spécialement des douanes d’Indochine. Depuis l’indépendance, elle semble prendre dans certains pays, notamment du Centrafrique au Congo et au Gabon, de la Côte d’Ivoire au Dahomey, des proportions effarantes.
Le Cameroun a institué pour la combattre des commissions criminelles et certains prétendent que les détournements reconnus par celles-ci se monteraient au dixième du budget. Ce qui paraît beaucoup, mais il ne semble pas certain que les enquêtes aient pu remonter haut dans la hiérarchie. De gros efforts de réduction des soldes et d’honnêteté ont été faits par la Guinée, qui a eu le courage de montrer la voie, la possibilité concrète de l’indépendance; et il faut saluer le courage du Mali.
Cependant, même là, les résultats n’ont pas été toujours satisfaisants: l’ardeur au travail des fonctionnaires guinéens qui m’accompagnaient en été 1959 restait modérée; j’avais espéré que l’indépendance l’aurait décuplée, et il n’en était rien. La corruption apparaît à certains plus développée le long de la côte d’Afrique, peut- être parce qu’elle est depuis plus longtemps au contact de l’influence corruptrice du colonialisme de traite, de ses compradores et de ses prostituées.
Dans la savane, le sol n’est généralement pas approprié, et M. Mazoyer m’écrit: «La liaison entre le degré de corruption des hommes et l’apparition du sens de la propriété des biens de production ne saurait être sous-estimée. C’est avec elle que l’homme a commencé à exploiter son voisin, c’est le premier vol, le péché originel, qui entraîne le reste». «Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument», rappelle le proverbe anglais.
SAGESSE BAMBARA:
«C’est en remuant l’herbe que l’on prend des grillons»