La création, dans la clandestinité et l'exil, de la Coalition des forces pour la République (CFR) le 5 décembre, est le dernier acte d'une opposition civile qui cherche à briser le cycle d'autoritarisme au Mali.
Menée par l'imam Mahmoud Dicko, la CFR est plus qu'une simple plateforme politique: elle est une tentative audacieuse de restaurer l'ordre constitutionnel et les libertés, mais elle se lance avec un handicap majeur: la fragilisation de l'image de son leader et la suspicion d'ingérence étrangère.
Le poids lourd moral en question
Le principal atout de la Coalition des forces pour la République (CFR) réside dans le capital symbolique et spirituel de l'imam Dicko, autrefois unificateur incontesté du pays. Son rôle est de servir de «référent républicain» et de facilitateur moral pour une opposition lasse de la répression.
Cependant, ce capital est aujourd'hui attaqué par une partie de l'opinion. Des accusations de cupidité et d'intérêts personnels érodent l'intégrité morale de Mahmoud Dicko, sapant la crédibilité de sa lutte contre la corruption. Cette critique de l'«homme au-dessus de la mêlée» est dommageable, car la CFR a besoin d'un leader perçu comme désintéressé pour mobiliser la base populaire en faveur de la désobéissance civile clandestine qu'elle prône.
De plus, la proximité de l'imam avec l'Algérie, pays accusé par certains cercles Maliens d'entretenir les crises, expose Dicko au reproche d'anti-nationalisme et d'ingérence. Cette affiliation entache d'emblée la crédibilité de la Coalition des forces pour la République sur le front de la souveraineté, le régime militaire s'étant justement construit sur un discours souverainiste intransigeant.
L'historique des coups d'État et l'autoritarisme (2012-2024)
L'émergence de la CFR s'inscrit dans une décennie de turbulences. Le coup d'État de 2012 avait créé le chaos, suivi par l'échec du régime d'Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à gérer l'insécurité et la corruption. L'imam Dicko lui-même a été l'artisan de la chute d'IBK en 2020. Pourtant, la transition actuelle, menée par le Colonel Assimi Goïta après le second coup d'État de 2021, a accéléré les restrictions de liberté.
Ce régime militaire, s'appuyant sur un discours de souveraineté et le soutien de nouveaux partenaires russes, a réprimé la dissidence en dissolvant les partis politiques et en emprisonnant les opposants. Face à cette fermeture totale de l'espace politique, la CFR présente la résistance comme un «devoir national» justifié par l'incapacité de la «junte» à protéger les populations et par le recul des libertés fondamentales. La seule voie restante pour l'opposition civile est la clandestinité et l'appel à la désobéissance éthique des fonctionnaires et militaires.
Une doctrine de dialogue
La Feuille de route de la Coalition des forces pour la République (CFR) propose un objectif clair: le retour à l'ordre constitutionnel. L'aspect le plus audacieux et controversé de cette plateforme est sa doctrine de dialogue.
Contrairement aux régimes précédents, qui excluaient officiellement les groupes terroristes ou se concentraient uniquement sur les rebelles signataires de l'Accord d'Alger, la CFR défend un dialogue national inclusif avec tous les groupes armés maliens, y compris les chefs jihadistes (Iyad Ag Ghaly et Hamadoun Kouffa du JNIM) et les rebelles indépendantistes du FLA.
Cette approche est justifiée par la reconnaissance qu'aucune crise de cette ampleur ne se règle uniquement par les armes. Elle est alignée sur les conclusions des consultations nationales antérieures, mais elle est politiquement risquée.
La CFR pose néanmoins des lignes rouges strictes: le dialogue doit être «strictement républicain», se dérouler «entre Maliens» et avoir pour but unique la fin des violences et la non-partition du pays.
Le défi de la légitimité et de la mobilisation
La CFR est l'expression de l'épuisement face à l'instabilité et à l'autoritarisme. Elle offre une plateforme d'opposition unifiée, dotée d'un plan de sortie de crise, y compris une solution politique pragmatique face à l'insécurité.
Cependant, la viabilité du mouvement sera testée par deux facteurs décisifs: sa capacité à dissocier l'idéal républicain que le mouvement défend des critiques qui ciblent personnellement l'imam Mahmoud Dicko, et sa capacité à transformer l'appel à la résistance clandestine en une force de pression suffisante pour ébranler un régime militaire déterminé. L'avenir du Mali dépendra de la capacité de cette opposition à surmonter les suspicions et à prouver que le projet de reconstruction nationale prime sur les ambitions individuelles.
Par A.K. DRAMÉ