SociétéSanoussi Bouya Sylla, président de l’APCAM : « La souveraineté alimentaire, c’est le droit reconnu à chaque peuple de définir ses politiques agricoles et alimentaires »
Lors d’une récente rencontre organisée par l’Union Africaine (UA) à Addis-Abeba (Ethiopie) sur la souveraineté alimentaire, le président de l’Assemblée permanente des chambres d'agriculture du Mali (APCAM) n’est pas allé par le dos de la cuillère pour donner sa vision.
En effet, M. Sanoussi Bouya Sylla y a délivré une intervention puissante et engagée sur cette thématique. Il a ainsi mis en évidence l’urgence de défendre les droits des producteurs, de protéger les ressources locales et de bâtir des systèmes agricoles véritablement indépendants.
Un plaidoyer qui a résonné comme un appel clair à l’action collective et à la mobilisation pour une agriculture africaine souveraine et durable ! C’est ainsi qu’un cadre (ingénieur) du pays a interprété l’intervention du président de l’Assemblée permanente des chambres d'agriculture du Mali (APCAM) lors d’une rencontre organisée à Addis-Abeba (Ethiopie) par l’Union africaine (UA) sur la souveraineté alimentaire en Afrique.
Pour M. Sanoussi Bouya Sylla, ce défi renvoie à « notre capacité à décider, à produire, à transformer et à consommer selon nos besoins, nos savoirs et nos aspirations ». Pour lui, cette philosophie est « au cœur de notre souveraineté nationale, de notre stabilité sociale et de notre dignité collective ». Au président de l’APCAM de poursuivre en rappelant, « la souveraineté alimentaire, c’est le droit international reconnu à chaque peuple de définir ses politiques agricoles et alimentaires, de protéger ses semences, de valoriser ses terroirs et de garantir à ses citoyens une alimentation saine, accessible et durable ».
Pour l’Afrique, a précisé M. Sylla, « ce droit est aussi une responsabilité historique. Nos pays disposent de terres fertiles, de savoirs agricoles ancestraux, d’une jeunesse dynamique et d’une diversité agroécologique primordiale. Pourtant, nous restons dépendants des importations pour nourrir nos populations exposées aux fluctuations des marchés mondiaux et à des structures logistiques fragiles ».
« Pourquoi ? », s’est-il logiquement (naïvement aussi ?) interrogé. « Ce n’est pas une fatalité. L’Afrique est le continent qui part avec un handicap majeur : nous avons connu l’esclavage, la colonisation, la néo-colonisation, les programmes d’ajustement structurel et leurs outils coloniaux et néocoloniaux qui ont détourné et affaibli l’agriculture de nos pays », s’est-il répondu. Dans son intervention, il a énuméré des chiffres sur les enjeux du système alimentaire mondial.
Ainsi, selon lui, le marché des produits alimentaires dépasse largement les centaines de milliards de dollars par an et six entreprises représentent 58 % du marché mondial des semences. Tout comme six entreprises représentent 78 % du marché des pesticides. Quatre sociétés contrôlent entre 80 et 90 % du marché mondial des grains. Six entreprises détiennent 72 % des produits pharmaceutiques vétérinaires. « Aucune de ces entreprises n’est africaine », a déploré Sanoussi Bouya Sylla. Face à ce constat, a-t-il rappelé, « le gouvernement du Mali a pris des engagements forts lors de la 15ᵉ session du Conseil supérieur de l'agriculture en se fixant des objectifs ambitieux comme produire plus de 8 millions de tonnes de céréales, intensifier les filières végétales, animales et aquatiques ».
« Ces chiffres ne sont pas de simples projections. Ils traduisent une volonté politique de faire de l’agriculture un moteur de croissance, de stabilité et de souveraineté », a indiqué M. Sylla. En septembre 2025, a-t-il rappelé, Bamako a accueilli le premier Forum du développement agricole dans l’espace AES. Une rencontre qui a réuni les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger…). « Notre ambition était de promouvoir les investissements agricoles et d’harmoniser les cadres législatifs », a conclu le président de l’APCAM.
Le Mali investit plus que ne le recommande l’UA
La souveraineté alimentaire est au cœur de certains agendas de l’UA ces dernières années, celui dit « Agenda de Kampala » qui vise à renforcer les systèmes agroalimentaires durables et résilients sur la période 2026-2035. L'objectif, selon l’organisation panafricaine, est d'atteindre des objectifs ambitieux d'ici 2035, tels que l'augmentation de la production alimentaire, la réduction de la faim, l'amélioration de la nutrition et l'accroissement des échanges commerciaux interafricains. Ces initiatives visent surtout à accroître la résilience face aux défis tels que le changement climatique et à promouvoir l'autosuffisance et l'industrialisation en Afrique.
Avec un coup évalué à 100 milliards de dollars d'investissements publics et privés dans les systèmes agroalimentaires africains d'ici 2035, ce programme est axé autour de certains défis à relever en termes de résilience, de mobilisation de fonds, de politiques… Sa réussite est par exemple liée à la réalisation des systèmes alimentaires résilients pour faire face aux défis structurels tels que le changement climatique, l'insécurité alimentaire et la volatilité économique.
Au niveau du financement, il est indispensable que les États membres consacrent au moins 10 % (au moins 15 % au Mali) de leur budget annuel à l'agriculture. Les États africains doivent aussi développer des politiques publiques efficaces qui englobent toute la chaîne de valeur agroalimentaire, de la production à la consommation. Selon des statistiques officielles, le Mali a respecté les engagements de la « Déclaration de Maputo » (c'est un engagement adopté par l'UA en 2003 appelant les chefs d'État africains à consacrer au moins 10 % de leur budget national à l'agriculture pour stimuler le développement agricole et assurer la sécurité alimentaire), consacrant plus de 10 % du budget à l'agriculture, bien que le ratio ait baissé sur le long terme.
Le budget alloué pour la campagne 2024-2025 s'élevait à plus de 182 milliards de francs CFA ; un montant mobilisé dans un contexte de défis conjoncturels.
A note aussi que, la Commission de l’UA (à travers son Département de l’agriculture et du développement rural) a organisé du 1er au 3 décembre 2025 une conférence sur l’agriculture numérique à Addis-Abeba. Axé sur le thème, « Façonner une politique agricole pour l’avenir de l’Afrique : innovation, pratiques climato-intelligentes et transformation numérique pour un développement durable ». Elle visait essentiellement à accélérer l’adoption et l’utilisation des technologies numériques dans le secteur agricole africain afin d’améliorer la productivité, la durabilité et la résilience. Cette rencontre a permis d’explorer, entre autres, les solutions numériques et les pratiques intelligentes pour le climat.
Générer des analyses et des recommandations concrètes à l’intention des décideurs politiques, des acteurs du développement et des autres parties prenantes était, entre autres, attendu de cette conférence.