L’économiste de renommée internationale et expert consultant malien Modibo Mao Makalou, dans cet entretien exclusif, décortique pour Mali tribune, le budget 2026 voté par le CNT la semaine dernière.
Mali-Tribune : Qu’est-ce qu’une loi de finances?
Modibo Mao Makalou : La Loi de finances est un acte politique, juridique, financier et législatif par lequel le parlement vote le budget de l’Etat à travers une loi ordinaire. Elle autorise le pouvoir exécutif à percevoir l’impôt et à engager des dépenses publiques pendant une période déterminée, et peut contenir d'autres dispositions relatives aux finances publiques. Elle est la principale expression de l’autorisation à l’endettement public, et du consentement à l’impôt. Une loi de finances retrace les recettes et les dépenses de l’État pour une année civile ou une période déterminée. Seul le gouvernement peut présenter un projet de loi de finances. Le texte doit ensuite être examiné par le parlement puis promulgué par le chef de l’Etat pour une mise en œuvre du 1er janvier jusqu’au 31 décembre.
La loi de finances prévoit et autorise le budget de l'État. Il existe plusieurs types de loi de finances : la loi de finances initiale (LFI) qui contient les prévisions budgétaires en ressources et en charges budgétaires ; la loi de finances rectificative (LFR) qui prend en compte les modifications des ressources et des charges budgétaires lors de l’exécution du budget d’Etat ; et la loi de règlement qui consacre l’approbation définitive du budget d’Etat. Les lois de finances répondent à des règles de vote et de présentation très strictes. Le calendrier de présentation d’un projet de loi de finances est contraint. Le projet de loi doit être déposé sur le bureau de l’assemblée à l’ouverture de la session d’octobre appelée aussi session budgétaire.
Mali-Tribune : Que retenir du projet de loi de finances 2026 ?
M. M. M. : Les prévisions de recettes budgétaires pour l’exercice 2026 s’établissent à 3 057,792 milliards F CFA contre 2 739,697 milliards F CFA dans la loi de finances rectifiée 2025, soit une augmentation de 318,095 milliards F CFA correspondant à une hausse de 11,61%, imputable à l’augmentation de la prévision des recettes du budget général et celle des recettes des Comptes spéciaux du trésor. Et les prévisions de dépenses budgétaires au titre de l’exercice 2026 s’élèvent, en termes de Crédits de paiement (CP), à 3 578,217 milliards F CFA contre 3 279,886 milliards F CFA dans la loi de finances rectifiée 2025, soit une hausse de 298,331 milliards F CFA, correspondant à une progression de 9,10%.
Les crédits de paiement des dépenses ordinaires (dépenses de fonctionnement) pour 2026 sont évalués à 2 569,617 milliards F CFA contre 2 409,178 milliards F CFA dans la loi de finances rectifiée 2025, soit une augmentation de 160,439 milliards F CFA ou un taux de progression de 6,66%. Les dépenses ordinaires (dépenses de fonctionnement) se déclinent en dépenses de personnel, d’acquisitions de biens et services, de charges financières, de transferts et subventions et des dépenses en atténuation des recettes. Les dépenses en capital (dépenses d’investissement) sont constituées de dépenses d’investissements exécutés par l’Etat et de dépenses de transferts en capital. Pour 2026, les autorisations d’engagement pour les dépenses en capital sont évaluées à 1 092,295 milliards de F CFA contre 1 046,184 milliards de F CFA dans la loi de finances rectifiée 2025, soit une augmentation de 4,41%.
Mali-Tribune : Les hypothèses macroéconomiques retenues vous paraissent-elles réalistes?
M. M. M. : Les prévisions budgétaires 2026 sont établies sur la base d’une prévision de croissance économique de 6,3 % contre 6,0 % attendue en 2025. Ce qui me semble particulièrement optimiste en tenant compte de la crise énergétique (délestages et difficultés d’approvisionnement en hydrocarbures et les produits dérivés). L’inflation, mesurée par la moyenne annuelle de l’indice des prix à la consommation, est projetée à 2,5% en 2026 contre 2,8 % en 2025 alors que la moyenne de l’inflation en 2025 est supérieure à 5 %. Les hypothèses macroéconomiques du cadrage budgétaire 2026 prévoient que le produit intérieur brut (PIB) se situe à 19 182 milliards F CFA en 2026 contre 17 358 milliards F CFA en 2025. Selon les prévisions, tous les secteurs d’activités devraient enregistrer une croissance solide, mais les secteurs secondaire (mines et industries) et tertiaire (services financiers, transports, télécommunications,) seraient les principaux moteurs de la croissance en 2026 malgré qu’ils soient durement impactés par la crise énergétique.
Toutefois, la trajectoire d’endettement du Mali est soutenable à moyen terme car selon le ministère de l’Economie et des Finances du Mali, l’encours de la dette publique rapporté au PIB se situait à 42,3 % dans la loi de finances rectificative et serait estimé à 43 % dans le projet de loi de finances 2026. Les critères de convergence macroéconomiques de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (Uémoa) exigent que l’encours de la dette publique soit inférieur à 70% du PIB, ce qui démontre que le Mali exécute une gestion prudente et soutenable de l’endettement public.
Mali-Tribune : Le budget-programme est-il devenu une réalité au Mali ?
M. M. M. : Le Mali s’était engagé en 2016 à rendre effectif le budget-programme avant la date butoir de 2017 exigée par l’Uémoa. Selon l’article 11 de la loi n°2013-028, un programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions représentatif d’une politique publique clairement définie dans une perspective de moyen terme. Il peut regrouper tout ou partie des crédits d’une direction, d’un service, d’un ensemble de directions ou de services d’un même ministère. Par ailleurs, en application des dispositions de l’article 13 de Loi n°2025-038 du 15 août 2025 portant loi organique relative aux lois de finances, les programmes de la présidence de la république, de la cour suprême, de la cour constitutionnelle, du Conseil économique, social, culturel et Environnemental et du Haut conseil des collectivités, au nombre total de sept (07), sont érigés en dotation à compter de l’exercice budgétaire 2026. Par conséquent, la cartographie des programmes pour 2026 s’articulera autour de : 134 programmes dont 29 programmes de pilotage, 92 programmes opérationnels,1 programme des budgets annexes et 12 programmes de Comptes spéciaux du trésor (CST) ; - 319 actions dont 119 pour les programmes de pilotage, 181 pour les programmes opérationnels, 7 pour le programme des budgets annexes et 12 pour les programmes des Comptes spéciaux du trésor ; - 439 objectifs dont 116 pour les programmes de pilotage, 299 pour les programmes opérationnels, 2 pour le programme des budgets annexes et 22 pour les programmes des Comptes spéciaux du trésor ; - 1 048 indicateurs dont 266 pour les programmes de pilotage, 718 pour les programmes opérationnels, 14 pour le programme des budgets annexes et 50 pour les programmes des Comptes spéciaux du Trésor.
Mali-Tribune : Quelle analyse faites-vous de l’évolution du niveau des dépenses budgétaires notamment pour la défense et la sécurité dans le projet de loi des finances 2026?
M. M. M. : Dans le budget de l’Etat pour 2026, le projet de loi de finances 2026 prévoit les inscriptions en faveur du ministère en charge de la Défense et de celui en charge de la Sécurité enregistrant globalement une diminution. S’agissant du ministère en charge de la Défense, les inscriptions budgétaires sont fixées à 516 milliards de FCFA (14,4 %) pour 2026 contre un montant initial de 527 milliards de F CFA (16 %) dans la loi de finances rectificative 2025 soit une baisse de 11,15 milliards F CFA. Concernant le département en charge de la Sécurité, les crédits budgétaires s’établissent à 376 milliards de FCFA (10,5 %) en 2026 contre un montant initial de 332,5 milliards de F CFA et révisé à 504,4 milliards de F CFA (15,4 %) dans la loi de finances rectificative 2025 soit une diminution de 128,7 milliards F CFA.
Mali-Tribune : Quelles mesures vous semblent les plus efficaces pour élargir l’assiette fiscale en 2026 ?
M. M. M. : La prévision des recettes fiscales nettes, constituées d’impôts directs et indirects, est fixée à 2 702,353 milliards F CFA en 2026 contre 2 384,491 milliards F CFA dans la loi de finances rectifiée 2025, soit un accroissement de 317,862 milliards FCFA, ou un taux d’augmentation de 13,33%. Cet accroissement s’explique principalement par les facteurs ci-après : les retombées positives de l’application de la Loi n°2023-040 du 29 août 2023 portant code minier en république du Mali, notamment en qui concerne l’augmentation attendue du produit de la Taxe ad valorem et celui de la Contribution sur prestation de services et de l’Impôt spécial sur certains produits portant l’or (CPS- ISCP/ Or) ; l’évolution favorable du cours mondial des matières premières, notamment celui du pétrole qui impacte directement la Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ; la hausse attendue du montant issu des prélèvements au titre du Fonds de soutien aux projets d’infrastructures de base et de développement social et les exportations de lithium.
Les prévisions des ressources nettes fiscales pour 2026 s’élèvent à 2771,447 milliards de F CFA contre 2515,899 milliards F CFA dans la loi de finances rectificative dont 1478,105 milliards de F CFA pour la Direction générale des Impôts contre 1323,5 milliards F CFA dans la loi de finances rectificative et 935,736 milliards de F CFA pour la Direction générale des Douanes contre 833,653 milliards F CFA dans la loi de finances rectificative. La part de la Direction générale des impôts dans les prévisions des ressources pour 2026 s’élève à 53,56 % tandis que la part de la Direction générale des douanes est estimée à 33,98 % soit un montant cumulé de 87,54 % des ressources des services d’assiette et de recouvrement (Direction générale des impôts, Direction générale des douanes, Direction générale des domaines et du Cadastre et Direction générale du trésor et de la Comptabilité publique et Direction générale de la dette publique)
La prévision des recettes non fiscales s’élève à 27,838 milliards de F CFA en 2026 contre 65,200 milliards de F CFA dans la loi de finances rectifiée 2025, soit une baisse de 37,362 mi liards de F CFA ou un taux de diminution de 57,30 %. Pour élargir l’assiette fiscale, il s’agira essentiellement de réaliser l’impôt foncier et de formaliser un grand nombre d’unités économiques.
Mali-Tribune : Le déficit budgétaire est-il maitrisable compte tenu de la conjoncture économique ?
M. M. M. : Pour le ministère de l’Economie et des Finances, durant l’exercice 2026, la politique budgétaire viserait à maintenir un solde budgétaire global compatible avec la viabilité et la soutenabilité de la dette publique. Les recettes fiscales nettes augmenteraient d’environ 0,2 point de pourcentage en 2026 pour se situer à 13,6% du PIB contre 13,4 % dans la loi de finances rectifiée 2025 pour un objectif de pression fiscale (recettes fiscales nettes par rapport au PIB) fixé à 20 % par l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (Uémoa). Les dons devraient rester stables à 0,4 % du PIB en 2025 et en 2026. En ce qui concerne les dépenses budgétaires, elles s’établiraient à 17,6 % du PIB en 2026 contre 17,9 % dans la loi de finances rectifiée 2025. Le rythme d’augmentation des dépenses courantes (dépenses de fonctionnement) devrait ralentir en vue d’atteindre 13,1 % du PIB en 2026 contre 13,6 % en 2025 tandis que les dépenses en capital (dépense d’investissement) connaîtraient une augmentation en pourcentage du PIB en s’élevant à 4,4% en 2026 contre 4,2 % en 2025. Ainsi, la prévision du déficit budgétaire (dons inclus) ressort à 2,2 % du PIB contre 2,7 % dans la loi de finances rectifiée 2025 pour un objectif fixé 3% par l’Uémoa. On pourrait constater que le déficit budgétaire persistera en 2026 malgré une diminution constante récemment, 581 milliards FCFA dans la loi de finances initiale 2025, 540 milliards FCFA dans la loi de finances rectificative et 520 milliards FCFA dans le projet de loi de finances 2026.