« Le Collège des désirs », dernier roman d’Ousmane Diarra, écrivain malien, vient de paraître. Un roman ancré dans la réalité immédiate du Mali. Ici, nous publions l’entretien que l’auteur a accordé à un confrère, Le Monde.
En quoi votre expérience quotidienne sur place a-t-elle nourri votre imaginaire ?
Ousmane Diarra : J’ai écrit l’histoire du roman en imaginant les conséquences que pourrait avoir la conquête du pouvoir par un imam, tout en rappelant les djihads que le Mali a connu de par le passé. Ils ont été si violents, si dévastateurs que, de nos jours encore, quand une calamité dépasse tout entendement, on dit que c’est devenu « jaadi », c’est-à-dire le djihad.
Mais l’éventualité de la prise du pouvoir par un imam radicalisé reste très mince. Les évènements en cours, ont démontré que les populations maliennes rejettent l’islam politique et ne seront jamais d’accord avec l’arrivée d’un religieux au pouvoir.
Depuis l’âge de 13 ans, j’observe le ton des prêcheurs monter en crescendo, devenir agressifs, violents envers les non musulmans, les « cafres », comme ils les appellent. La violence verbale a toujours précédé la violence physique.
Non, la conquête du pouvoir par un imam n’est pas probable. Dans mon roman, j’ai voulu mettre mes compatriotes en garde contre les conséquences d’une telle éventualité.
Des informations nous parvenaient la semaine dernière, suivant lesquelles le blocus de l’essence, aux portes de Bamako, par les djihadistes du Jnim (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) mettaient en danger le pouvoir militaire actuel. On sait que ça va un peu mieux aujourd’hui. Néanmoins, votre roman (quand l’avez-vous écrit d’ailleurs ?) apparaît donc presque comme prémonitoire. Son aspect dystopique est le fruit d’une observation assidue. Pouvez-vous nous dire où en est exactement le Mali maintenant ?
Ousmane Diarra : La grande majorité de ces informations étaient loin de refléter la réalité sur le terrain. Beaucoup de ces attaques de citernes se faisaient à des centaines de km de Bamako. Aucune ville ni aucun village n’était contrôlé par les djihadistes du Jnim. Ceux-ci surgissaient des bois, tiraient sur les citernes avant de disparaître ou d’être détruit pas les soldats.
Au lieu de provoquer la panique et la psychose, effet probablement recherché par les auteurs de ces informations erronées, ce traitement étrange de l’information a renforcé la résilience à toute épreuve des Maliens, en plus du rejet total de tout radicalisme religieux.
Il y a certes eu des ruptures dans l’approvisionnement de certaines régions et la capitale en carburant, ce qui expliquait les longues files d’attente devant les stations d’essence. Tout cela se résorbe petit à petit, à Bamako comme dans les régions. Durant ces dures épreuves, les populations maliennes sont restées sereines et confiants.
J’ai commencé l’écriture de mon livre en 2015 à Neuvy-le-Roi, en France. Il a plusieurs moutures. La dernière est sortie le 24 septembre dernier.
On a pu noter que le recrutement du Jnim s’effectue désormais en bambara, chez les jeunes hommes les plus pauvres et non plus en arabe, comme c’était le cas auparavant. En quoi cela change-t-il la donne ?
Ousmane Diarra : Le Jnim, au départ, faisait ses communications en langue arabe, il est ensuite passé au tamasheq, au fulfulde (langue peule.) Maintenant qu’ils ont essaimé un peu partout, ils le font en la langue Bambara, celle que la majorité des populations maliennes comprennent. C’est donc une stratégie.
Mais à voir les réactions massives et violentes des Maliens et des Maliennes aux propos de Bina Diarra leur sulfureux personnage chargé de la communication, cette stratégie est vouée à l’échec. Certaines femmes vont jusqu’à l’insulter grossièrement. Quand il avait ordonné que toutes les femmes devaient désormais porter le hidjab, une jeune femme lui avait répondu que les femmes allaient porter plutôt se couvrir avec ses attributs masculins ! Pour qu’une femme malienne profère de telles injures, il faut qu’elle soit particulièrement révoltée.
Plusieurs autres femmes et jeunes filles, sur tiktok, ont repris la formule en en tirant des sketchs croustillants, des pas de danse et des rythmes pour imiter les imams et se moquer d’eux. On y voit Iyag Ag Ghali danser avec Hamadoun Kouffa.
Ce qui visait à terroriser la population est devenu une source d’inspiration et de création artistique.
Tout cela serait-il possible si Bamako était réellement sous blocus et sur le point de tomber entre les mains des djihadistes ?
Vous mettez justement en lumière l’esprit bambara et l’animisme originel, face à un monothéisme guerrier de longue date, incarné par des barbares barbus …
Ousmane Diarra : C’est vrai que l’épicentre de la résistance à l’islamisation armée a été l’Empire de Ségou, fondé par les Bambara. Il fut aussi le dernier Etat dont l’animisme était la religion d’Etat, au côté d’un islam très ouvert. Rois, princes, officiers, jusqu’aux citoyens lambda, tout en pratiquant ouvertement et officiellement les cultes traditionnels animistes, recouraient aux services des marabouts musulmans pour remporter qui une bataille, qui pour résoudre d’autres petits soucis. Les frontières entre l’animisme et l’islam dit soudanais étaient alors très minces. C’est d’ailleurs pourquoi la laïcité n’est pas un héritage colonial français comme certains ont tendance à le penser. Elle a bien existé avant et régulait les sociétés sahéliennes. En tout cas, jusqu’à la chute de l’empire de Ségou sous l’assaut des djihadistes d’El Hadj Oumar Tall (1861)
Cependant, les Bambara n’ont pas été les seuls à résisté à l’islamisation. Pour preuve, jusqu’à une date récente, toutes les communautés non islamisées : Bobos, Sénoufos, Minianka, et même des peuls, se définissaient comme « Bambara » pour dire qu’ils ne sont pas musulmans.
Comment sentez-vous, en ce moment, l’atmosphère de Bamako et au-delà ?
Ousmane Diarra : L’atmosphère de Bamako est détendue. Hommes et femmes, jeunes et vieux, tous tournent en dérision la prétention des djihadistes et les imams d’obédience wahhabite. Ils les ridiculisent dans des comédies et les sketches. On assiste même au retour en force des cultes traditionnels et de l’islam soudanais ouvert et tolérant.
Jamais, depuis l’éclatement de l’éphémère « Fédération du Mali en1960, laquelle réunissait le Soudan et le Sénégal, les Maliens n’ont été aussi unis, déterminés et résilients.
Le Mali contemporain, issu d’une longue histoire de colonisation et de pouvoirs successifs inefficaces et fondamentalement injustes vous paraît-il au bord du gouffre ?
Ousmane Diarra : Je pense que si le Mali continue sur cette lancée, - et je pense qu’il va le faire, tant les Maliens sont désormais déterminés à sortir définitivement de cette longue anomie, il s’éloignera du gouffre. Je ne dis pas qu’il ne reste pas d’embûches, mais c’est une voie sans retour que le Mali a empruntée, le Mali et d’autres pays du Sahel, fatigués de la guerre, de l’insécurité, de l’instabilité. La sécurité est la priorité pour tout le monde.
La grande fresque épique que constitue « le Collège des désirs » ne néglige pas, dans le sens d’une espérance, une histoire d’amour. Est-ce pour conjurer le pire ?
Ousmane Diarra : Oui, tout à fait. D’ailleurs, Ohiri et Ahiri, les amoureux éternels du roman, sont des messagers de la paix.
C’est aussi pour mettre le doigt là où ça fait mal, parlant de la société malienne qui se fourvoyait dans l’intolérance, la violence, la haine gratuite. Oubliant que personne ne sera sauvé si tout le monde n’est pas sauvé, oubliant nos valeurs ancestrales de solidarité, de tolérance et de coexistence pacifique.
Ousmane Diarra, « Le collège des désirs ». Asmodée Edern Éditions (Bruxelles). Disponible à la Librairie BAH du Grand Hôtel