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BCID-AES : Quand le ministre Sanou confond capital et capacité de financement
Publié le lundi 22 decembre 2025  |  L'Alternance
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Le ministre malien de l’Économie et des Finances vient de nous offrir une nouvelle démonstration de cette confusion intellectuelle qui semble être devenue la marque de fabrique de nos gouvernants. En présentant fièrement le capital de 500 milliards de francs CFA de la Banque Confédérale pour l’Investissement et le Développement (BCID-AES) comme un accomplissement majeur, il révèle soit une ignorance crasse des mécanismes bancaires, soit un mépris assumé pour l’intelligence des Maliens. Dans les deux cas, c’est accablant.

Commençons par l’essentiel : le capital d’une banque d’investissement et celui d’une banque commerciale ne sont pas comparables. Notre ministre semble penser qu’il suffit d’aligner des chiffres pour impressionner la galerie.

La comparaison du capital social d’une banque régionale de développement (BRD) à celui d’une banque commerciale n’est tout simplement pas pertinente, et voici pourquoi : une BRD ne reçoit pas de dépôts. Contrairement à une banque commerciale qui collecte l’épargne des particuliers et des entreprises pour ensuite la prêter, une banque de développement doit aller chercher ses ressources ailleurs. Et dans le même temps, elle doit financer des projets d’envergure sur le long terme, des infrastructures lourdes, des programmes agricoles, des interconnexions énergétiques, autant d’investissements qui s’étalent sur des décennies.
La conséquence est implacable : pour ne pas consommer son capital social dès les premiers projets, une BRD doit impérativement disposer, dès le départ, de ressources d’emprunts. Le capital social n’est pas fait pour être dépensé ; il sert de garantie, de socle de crédibilité pour lever des fonds sur les marchés. Sans capacité d’emprunt, une banque de développement est condamnée à épuiser son capital en quelques opérations, puis à disparaître.
Or, cette capacité d’emprunt dépend entièrement de la confiance des marchés, elle-même mesurée par la notation de crédit. C’est là que le bât blesse pour la BCID-AES.
Parlons donc de ces chiffres, puisque le ministre y tient tant. Le capital de la BCID-AES s’élève à 500 milliards de francs CFA, soit environ 890 millions de dollars. Le ministre brandit ce montant comme un trophée. Mettons-le en perspective.
La BOAD (Banque Ouest-Africaine de Développement), institution régionale établie depuis 1973 et basée à Lomé, dispose d’un capital social de 1 709 milliards de francs CFA depuis son augmentation de capital de 554 milliards en 2024. Son total bilan atteint désormais 3 893 milliards de francs CFA. Plus révélateur encore : la BOAD a engagé plus de 932 milliards de francs CFA rien qu’en 2024, portant le total de ses engagements depuis 1976 à plus de 9 079 milliards de francs CFA. Comment finance-t-elle de tels montants ? Grâce à sa capacité à lever des fonds sur les marchés internationaux, capacité adossée à sa notation Investment Grade.
La BAD (Banque Africaine de Développement), elle, joue dans une tout autre catégorie. Son capital autorisé s’élève à plus de 208 milliards de dollars américains depuis l’augmentation générale de capital approuvée en 2019, avec une nouvelle augmentation de 117 milliards de dollars de capital exigible approuvée en juin 2024. Elle compte 82 pays membres actionnaires et a financé depuis sa création plus de 47,5 milliards de dollars de projets. En septembre 2024, elle a levé 2 milliards de dollars en une seule émission obligataire, à un taux de 3,5 % seulement.
Face à ces mastodontes, les 500 milliards de francs CFA de la Banque Confédérale semblent vraiment dérisoires. Le capital de la BCID-AES représente moins de 0,5 % du capital de la BAD. Mais surtout, ce capital, aussi modeste soit-il, risque d’être rapidement englouti s’il n’est pas adossé à une capacité d’emprunt crédible.
Le capital n’est donc que la partie émergée de l’iceberg. Ce que le ministre omet commodément d’expliquer aux Maliens, c’est que pour une banque d’investissement, l’essentiel réside dans sa capacité à lever des fonds sur les marchés internationaux. Et cette capacité dépend d’un paramètre crucial : la notation de crédit.
Prenons quelques exemples concrets pour éclairer le citoyen que nos dirigeants semblent prendre pour un inepte.
La BAD bénéficie d’une notation AAA par Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, le maximum absolu, équivalente à celle du Trésor américain ou de l’Allemagne. Cette note lui permet d’emprunter aux taux les plus avantageux du marché mondial. Elle peut ainsi prêter à ses États membres à des conditions favorables tout en préservant son capital.
La BOAD, institution sous-régionale pourtant bien établie avec près de 50 ans d’expérience, dispose d’une notation Baa1 par Moody’s et BBB par Fitch, honorable et toujours en catégorie Investment Grade, mais déjà moins favorable. Elle peut lever des fonds, mais à des conditions un peu plus onéreuses que la BAD.
La BIDC (Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO), elle, se voit attribuer un B par Fitch et B2 par Moody’s, une notation spéculative, indiquant un risque élevé. Malgré des améliorations récentes, la BIDC peine à mobiliser des ressources à des conditions compétitives.
Maintenant, posons la question que le ministre évite soigneusement : quelle notation obtiendrait une banque d’investissement sahélienne évoluant dans un environnement marqué par une instabilité sécuritaire permanente, avec des groupes djihadistes contrôlant des pans entiers de territoire ; un chaos économique accentué par des blocus et des sanctions ; une fragilité institutionnelle avec des régimes militaires de transition ; des notations souveraines déjà dégradées pour les États membres ?
Les faits sont éloquents. Le Niger a été dégradé par Moody’s à Caa3 en février 2024, une notation qui indique un risque de défaut très élevé. Le Burkina Faso est noté CCC+ par Standard & Poor’s, également en catégorie hautement spéculative. Quant au Mali, il fait partie des pays africains dont la notation a été dégradée ces dernières années.
La réponse est donc évidente : une banque d’investissement adossée à ces trois économies serait notée dans les profondeurs de la catégorie spéculative, si tant est qu’une agence de notation internationale accepte même de l’évaluer. Probablement CCC ou pire, le genre de notation qui ferme les portes des marchés internationaux.
Sans accès aux marchés, la BCID-AES sera condamnée à puiser dans son capital pour financer ses premiers projets. À 500 milliards de francs CFA, combien de temps tiendra-t-elle avant l’asphyxie ?
Et c’est là que réside la véritable arnaque intellectuelle. Plus la note est faible, plus il est difficile de lever des fonds. Et quand on y parvient, ces fonds coûtent infiniment plus cher en termes de taux d’intérêt.
Une banque notée AAA comme la BAD emprunte à des taux proches de ceux des États-Unis ou de l’Allemagne, autour de 3 à 4 %. Une banque notée CCC ou pire doit payer des primes de risque exorbitantes, parfois supérieures à 10 ou 15 points de pourcentage, quand elle trouve des prêteurs disposés à lui faire confiance.
Autrement dit, même si la BCID-AES parvenait à lever des fonds, ce qui reste hautement hypothétique, elle le ferait à des conditions si défavorables que les projets qu’elle financerait naîtraient déjà plombés par le poids de la dette. Les États de l’AES, déjà étranglés économiquement, se retrouveraient à rembourser des intérêts pharaoniques pour des financements que la BOAD ou la BAD auraient pu leur accorder à bien meilleur compte.
Ironie tragique : le Mali, le Burkina Faso et le Niger restent membres de l’UEMOA et peuvent donc encore bénéficier des financements de la BOAD. Cette dernière a d’ailleurs continué à financer des projets au Burkina Faso en 2024, y compris des aménagements agricoles pour 30 milliards de francs CFA. Créer une nouvelle institution alors que l’accès à une banque établie et crédible existe déjà relève soit de l’incompétence, soit de la posture politique.
Au-delà de la notation, plusieurs obstacles structurels se dressent devant la BCID-AES.
La libération effective du capital pose un premier problème majeur. Les trois États se sont engagés à libérer le capital initial d’ici septembre 2025, le reliquat devant être versé avant fin 2028. Compte tenu des tensions budgétaires que connaissent ces pays, entre dépenses militaires croissantes et recettes fiscales en berne, rien ne garantit que ces engagements seront honorés.
L’absence de partenaires internationaux constitue un deuxième handicap. Contrairement à la BAD (82 pays membres dont 28 non-africains) ou à la BOAD (qui inclut des partenaires non-régionaux), la BCID-AES repose uniquement sur trois États en difficulté. Aucun apport de capital ou de garantie de pays développés notés AAA ne viendra renforcer sa crédibilité.
La gouvernance soulève également des interrogations. Les dirigeants de la banque n’ont pas encore été nommés. Dans des environnements où la politisation des institutions financières est fréquente, rien ne garantit une gestion professionnelle et indépendante.
Le prélèvement confédéral suscite des doutes légitimes. Les États ont évoqué un « prélèvement confédéral » pour alimenter durablement les ressources de la banque. Mais sur quelle base fiscale ? Des économies asphyxiées par l’insécurité et les sanctions peuvent-elles réellement dégager des ressources supplémentaires ?
Enfin, l’absence de ressources d’emprunts initiales est peut-être le problème le plus grave. Aucune ligne de crédit, aucun accord de financement avec des partenaires internationaux n’a été annoncé. La BCID-AES naît sans ressources d’emprunts, condamnée à consommer son capital dès ses premières opérations.
Voilà ce que le citoyen ordinaire ignore. Voilà ce que nos dirigeants ignorent également, ou feignent d’ignorer. Dans les deux cas, c’est une insulte à notre intelligence collective.
Résumons : une banque régionale de développement ne peut pas fonctionner comme une banque commerciale. Elle ne reçoit pas de dépôts. Elle doit financer des projets lourds et de long terme. Pour ce faire, elle doit emprunter sur les marchés. Pour emprunter à des conditions viables, elle doit être crédible. Pour être crédible, elle doit avoir une bonne notation. Pour avoir une bonne notation, elle doit être adossée à des économies stables et à des actionnaires solides. La BCID-AES ne remplit aucune de ces conditions.
La souveraineté ne se décrète pas à coups de communiqués triomphants et d’institutions fantoches. Elle se construit patiemment, sur des fondations solides : une économie stable, des institutions crédibles, une gouvernance transparente, une sécurité retrouvée. Annoncer la création d’une banque d’investissement sans se soucier de sa viabilité opérationnelle, c’est offrir aux Sahéliens un mirage de plus.
Et des mirages, nous en avons assez.
La vraie question n’est pas de savoir si nous pouvons créer une banque, mais si cette banque pourra réellement servir nos populations. Sur ce point, le silence de nos gouvernants est assourdissant.
Sambou SISSOKO
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