A force de fermer les yeux, l’Etat malien a laissé prospérer un système qui piétine le droit du travail et humilie le travailleur.
Présentés comme de simples intermédiaires entre l’offre et la demande d’emploi, les bureaux de placement et cabinets de recrutement sont devenus, dans les faits, les rouages centraux d’une précarité institutionnalisée, parfois même au cœur des services publics.
Il ne s’agit plus de dérives isolées ou de cas marginaux. Le phénomène est massif, connu de tous et largement dénoncé par ses premières victimes : les travailleurs eux-mêmes. Salaires amputés, absence d’affiliation à l’INPS, non-paiement de l’Impôt sur les traitements et salaires (ITS), contrats flous ou inexistants, licenciements arbitraires… Et pourtant, rien ne bouge. Ou presque.
De plus en plus de structures publiques refusent de recruter directement. Elles préfèrent externaliser l’embauche à des cabinets privés, comme si la responsabilité sociale de l’Etat pouvait se sous-traiter. Cette pratique, devenue courante, n’est pas seulement moralement choquante, elle est juridiquement dangereuse.
A poste égal, travail égal, les agents recrutés par l’intermédiaire de ces cabinets sont moins payés, moins protégés et moins respectés que leurs collègues recrutés directement. Une discrimination assumée, organisée et tolérée. En acceptant ce système, l’Etat devient complice d’une inégalité qu’il est pourtant censé combattre.
Officiellement, le droit malien encadre le travail temporaire et les sociétés de placement. Dans la réalité, de nombreux cabinets opèrent en marge, voire en violation flagrante des règles élémentaires : absence d’affiliation à l’INPS, non-versement des cotisations sociales, non-reversement de l’ITS, contrats abusifs.
La question est simple et dérangeante : comment ces cabinets continuent-ils d’opérer en toute tranquillité ? Qui les protège ? Qui ferme les yeux ?
L’inspection du travail est-elle impuissante ou volontairement silencieuse ? L’INPS et la Direction générale des impôts ignorent-elles réellement ce qui se passe sous leurs yeux ?
Un manque à gagner colossal
Ce système ne ruine pas seulement les travailleurs, il saigne aussi l’Etat. Chaque agent non déclaré, chaque cotisation sociale non versée, chaque ITS détourné est une perte sèche pour le Trésor public. A grande échelle, c’est un véritable pillage organisé, toléré au nom d’une prétendue efficacité administrative.
Pendant ce temps, les travailleurs vieillissent sans retraite, tombent malades sans couverture sociale et vivent dans une insécurité permanente. Voilà le prix réel de cette soi-disant « flexibilité ».
Si ces pratiques sont légales, alors la loi est injuste et doit être corrigée d’urgence. Si elles sont illégales, alors nous sommes face à une exploitation systémique qui appelle des poursuites exemplaires. Dans les deux cas, le silence des autorités est inacceptable. On ne peut pas, d’un côté, prêcher la justice sociale, et de l’autre, organiser la précarité. On ne peut pas défendre la souveraineté nationale tout en laissant prospérer une économie de l’emploi au rabais.
Le Burkina Faso montre la voie, le Mali doit trancher
Pendant ce temps, au Burkina Faso, le chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, sans tapage médiatique, a engagé une réforme majeure pour réparer l’injustice subie par les travailleurs recrutés par les bureaux de placement.
Le nouveau Code du travail, entré en vigueur fin 2025, vise à réguler et assainir profondément le secteur. Il interdit notamment la facturation de frais aux travailleurs, impose l’égalité de traitement avec les salariés permanents et exige la régularisation des entreprises de placement dans un délai de six mois.
Ce que change concrètement la nouvelle loi burkinabè : Egalité de traitement : les travailleurs temporaires doivent bénéficier de la même rémunération et des mêmes droits que les salariés permanents occupant des postes équivalents.
Interdiction de frais : les bureaux de placement ne peuvent plus exiger le moindre paiement des demandeurs d’emploi.
Régularisation obligatoire : un délai de six mois est accordé aux entreprises de placement pour se conformer aux nouvelles règles, notamment en matière de déclaration du personnel et de couverture sociale.
Lutte contre les conflits d’intérêts : il est interdit aux entreprises utilisatrices de recourir à des sociétés de placement avec lesquelles elles entretiennent des intérêts directs ou indirects.
L’objectif est clair : mettre fin aux abus, améliorer les conditions de travail, garantir la transparence et restaurer la dignité du travailleur.
Au Mali, le gouvernement doit trancher : protéger les travailleurs ou protéger des réseaux mafieux qui prospèrent sur la misère sociale. Il est urgent de clarifier le statut des bureaux de placement, d’imposer des contrôles rigoureux, de sanctionner sans complaisance et de mettre fin à l’hypocrisie institutionnelle.
Et un Etat qui accepte que ses propres services exploitent indirectement leurs agents abdique de sa mission fondamentale.